Théâtre La Bruyère
5, rue La Bruyère
75009 Paris
Tel : 01 48 74 76 99
Métro : Saint-Georges / Pigalle
Une pièce de Ira Levin
Adaptée par Gérald Sibleyras
Mise en scène par Eric Métayer
Lumières de Gaëlle de Malglaive
Décor d’Olivier Hébert
Son de Vincent Lustaud
Costumes de Cécile Adam
Avec Nicolas Briançon (Sidney), Cyril
Garnier (Clifford), Virginie Lemoine
(Myra), Marie Vincent (Helga), Damien Gadja (Pierre)
L’histoire : Sidney Brown est un auteur dramatique qui a connu
son heure de gloire, mais son étoile est aujourd’hui ternie. Il est en panne
d’inspiration. Il a reçu la pièce d’un de ses admirateurs, Piège mortel. Le jeune auteur voudrait avoir l’avis du
« maître » qui est le premier à lire la pièce. Sidney, rongé par
l’aigreur et le cynisme, tient par-dessus tout à relancer sa carrière. Il
envisage même de tuer le jeune homme pour lui voler son œuvre. Le jeune auteur
est convoqué pour travailler sur la pièce. Myra, la femme de Sidney, a peur.
Son mari serait-il vraiment capable de commettre un meurtre ? La réponse
est oui… Mais qui choisira-t-il comme victimes ?
Mon avis : Grand amateur de polars, j’ai pris énormément de
plaisir avec l’intrigue démoniaque de ce Piège
mortel. Cette pièce est digne du grand maître du suspense, Alfred
Hitchcock. Par moment j’y ai retrouvé l’ambiance de ce remarquable film qu’est La corde. Son traitement, d’ailleurs,
est très cinématographique.
La scène du théâtre La Bruyère n’étant
cette fois pas dissimulée par un rideau, on a tout loisir d’observer le décor.
Un décor qui, on s’en apercevra, a un rôle à jouer. Notre attention est tout de
suite attirée par le mur en briques de ce cottage cossu car il est tapissé d’une
quantité d’armes pour la plupart anciennes. On y distingue entre autres une
hallebarde, un chat à neuf queues, un fléau d’armes, une arbalète, une hache,
une dague, une masse, un fusil, différents révolvers, un garrot, un poing
américain… Tout un arsenal symbolisant la violence, le combat. Bref, cette
collection d’objets uniquement destinés à estourbir et, surtout, à trucider son
prochain ne manque pas de nous fasciner et de nous inquiéter.
Le propriétaire de ces charmants
bibelots est Sidney Brown, un célèbre dramaturge spécialisé dans le polar.
Quand débute la pièce, il n’est pas dans son meilleur état. Ça fait dix-huit
ans qu’il n’a plus connu le succès, niveau inspiration, il est en panne sèche,
et niveau finances, il est grave dans la dèche… Ce n’est donc pas le garçon le
plus jovial du monde. Il a pourtant la chance d’avoir à ses côté Myra, une
femme aimante et accommodante. En dépit de ce soutien affectif inaltérable,
Sidney est grognon. Il se montre aigri, odieux, cynique, et se vante même d’être
quelqu’un de particulièrement « vicieux ». Or, il a peut-être une
opportunité de se sortir de ce marasme : il vient de recevoir par la poste
le manuscrit d’une pièce intitulée « Piège mortel » dont il est
convaincu qu’elle ferait un tabac. Et, comme il est totalement dénué de
scrupules, il commence à fomenter un plan machiavélique pour s’approprier cette
œuvre. Il a même l’impudence de faire partager son funeste projet à son épouse…
Voilà, la décision est prise.
Sidney va s’installer dans le wagonnet du train fantôme qu’il a lui-même
construit et se lancer sans aucune retenue sur les rails du crime. Va-t-il
réussir à contrôler sa trajectoire ? Le train va-t-il s’emballer ?
Des embûches vont-elles se dresser sur son parcours infernal ?
Vous ne le saurez qu’en restant
jusqu’au bout scotché dans votre fauteuil à vous demander comment cette sombre
histoire va se terminer.
On ne peut rien raconter de cette
pièce totalement amorale et délicieusement angoissante tant les
rebondissements, les surprises et les nombreuses péripéties viennent en
permanence brouiller le scénario que l’on essaie d’imaginer. Piège mortel pourrait s’écrire au
pluriel. On est embarqué dans un thriller haletant dans lequel tout nous
échappe. Alors on laisse tomber toute tentative d’élucidation pour ne s’abandonner
qu’au plaisir de se laisser mener par le bout du nez. Tant de machiavélisme, ça
en devient jouissif, jubilatoire.
Les comédiens sont formidables
car ils jouent leurs personnages avec un réalisme impressionnant. Nicolas
Briançon est absolument brillant dans ce rôle où il jongle avec toutes les
facettes de la turpitude humaine. Il est tour à tour arrogant, charmeur,
trivial, sournois, simulateur. Il faut le voir affecter le chagrin, c’est un
grand moment de comédie, tout en nuances et en subtilités… Cyril Garnier, que l’on
découvre dans un registre plus dramatique, lui donne une réplique parfaite. Lui
aussi excelle dans le double, voire le triple jeu. L’opposition de leurs
registres apporte énormément de relief à la pièce… Virginie Lemoine est
touchante de fragilité. Elle est la seule personne d’« aimable » dans
cette distribution… Quant à Marie Vincent, elle apporte au rôle d’Helga une
forme de folie propice à nous libérer un peu de la tension qui nous étreint.
Pourtant, son personnage est mon
seul petit bémol. J’estime – mais cela n’engage que moi – qu’Helga devrait parfois
se comporter avec un peu moins extravagante, surtout vers la fin. Si elle était
moins délirante, elle se montrerait encore plus menaçante, plus inquiétante… C’est
là mon seul hiatus par rapport à une mise en scène réellement réussie car,
comme je l’ai signalé plus haut, nous sommes dans un film ; un film avec
cascades, effets spéciaux, bande son, ruptures de rythme… Le montage est
impeccable.
Sincèrement, Piège mortel mérite un grand succès populaire. J’ose le néologisme
de « bi-polar » tant on est happé par cet étourdissant jeu de dupes
dont nous sommes nous aussi les victimes. Des victimes consentantes, certes,
car on aime frissonner, avoir peur, être angoissé et surpris. Allez-y vite,
vous aussi vous serez mortellement piégés par cette histoire conçue par un
cerveau particulièrement tordu…
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