Petit Montparnasse
31, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 22 77 74
Métro : Gaîté / Edgar Quinet
Une pièce de Marc Delaruelle
Mise en scène par Georges Werler
Décor d’Agostino Pace
Costumes de Sonia Bosc
Lumières de Jacques Puisais
Son de Jean-Pierre Prévost
Avec Geneviève Casile (Alma Mahler),
Julie Judd (Alma Mahler jeune),
Stéphane Valensi (tous les rôles masculins)
L’histoire : Alma Mahler attend son éditeur pour corriger les
épreuves de ses mémoires.
Ainsi sont évoqués ses
exceptionnels maris (Mahler, Gropius, Werfel), certains de ses turbulents
amants (Klimt, Kokoschka ou le père Hollnsteiner)…
A la fin de la soirée, c’est la
célèbre Vienne toute entière qui aura défilé devant nos yeux.
Mon avis : L’idée de l’auteur est imparable : quel
meilleur prétexte pour Alma Mahler que de relire l’épreuve de son
autobiographie en présence de son éditeur américain pour nous raconter sa
vie ?
Dès le début de la pièce, on est
dedans. Alma Mahler est tellement incarnée par Geneviève Casile qu’on a plus la
sensation de se trouver au cœur d’un reportage télévisé genre « Un jour,
un destin » qu’au théâtre. Tout de suite, la forte personnalité d’Alma
envahit « l’écran ». Quelle bonne femme !
Comme la pièce est sous-titrée
« éternelle amoureuse », on va bien sûr se focaliser sur les
nombreuses liaisons de la dame. Dans la réalité de la fiction, Alma est
octogénaire. Elle s’est installée à New York après le décès de son troisième
mari, Franz Werfel. Elle y vit depuis près de vingt ans et elle a décidé de
rédiger ses mémoires… Alma Mahler est l’archétype de la vieille dame indigne. A
son âge, on ne s’embarrasse plus de conventions. Anticonformiste, autoritaire,
tonitruante, malicieuse, un tantinet parano, elle utilise un langage cru et imagé ;
bref, elle a la dent dure et appelle un chat un chat et ça l’amuse. Au grand
dam de son éditeur qu’elle malmène sans vergogne. Visiblement, elle tient
scrupuleusement à la vérité. A « sa » vérité. On sent qu’elle
n’invente rien, n’enjolive rien. Son extravagante franchise nous permet de
croire en son histoire et de nous y plonger avec délectation… Quelle
composition de Geneviève Casile !
Or, il n’y a pas que la présence
incomparable de l’actrice pour nous emporter et faire de cette pièce un joli
moment de théâtre. Il y a également sa construction, sa mise en scène et
l’apport indispensable de ses deux partenaires, Stéphane Valensi, qui endosse
tous les rôles masculins, et Julie Judd qui donne sa fraîcheur et sa fougue à
la jeune Alma.
Comme je le stipule plus haut,
cette pièce est traitée à la manière d’un téléfilm. On remonte la vie d’Alma
Mahler dans son ordre chronologique en utilisant brillamment le procédé du
flashback. En cela la mise en scène est d’une totale limpidité. Nous ne sommes
jamais décontenancés, nous sommes en permanence de plain-pied dans l’action. Le
passé apparaît derrière des rideaux transparents. Les dialogues s’entrecroisent,
on vit hier tout en restant aujourd’hui, les époques se mêlent habilement, toujours
sous le regard acéré, rigoureux et impitoyable de la vieille dame. C’est d’une
fluidité parfaite.
L’octogénaire prend un malin
plaisir à passer en revue les hommes, maris et amants, qui ont jalonné son
existence. Elle dresse en quelque sorte sa "liste de Schindler" (son nom de jeune fille). Son analyse est aussi crue que son langage. Elle ne leur fait de
cadeaux, elle ne s’en fait pas non plus. Se définissant comme une « guerrière »,
elle donne à ses rencontres qu’elle nomme ses « fadaises amoureuses »
une certaine relativité. Pionnière du féminisme, elle s’est toujours voulue
libre et conquérante. Un amant entrait dans sa vie alors qu’un mari n’en n’était
pas encore sorti. C’était une adepte gourmande et enjouée du double foyer. A la
seule condition que le grillon de ces foyers soit un artiste…
Les tableaux se succèdent ;
les fripons de l’Alma défilent. Sans scrupules, elle passe de l'un à l'autre. A Vienne que pourra !... Alma-la-vieille
est heureuse de ranimer Alma-la-jeune. Non seulement, elle se plaît à lui voir revivre
ses premiers émois, ses premières folies, ses premières mésententes, mais elle
se permet même de les commenter, voire de les télécommander. Ainsi peut-on voir
dans une même scène l’octogénaire assister aux ébats passionnés de celle qu’elle
était soixante ou cinquante plus tôt.
Pivot haut en couleurs de cette
pièce, Geneviève Casile est admirablement secondée par ses deux partenaires.
Julie Judd est épatante. Sa partition est uniquement d’interpréter une jeune
femme ardente et passionnée. Elle s’en acquitte avec une impressionnante
générosité. Cette impétuosité de la jeunesse est nécessaire pour concrétiser l’image
de la femme qu’était Alma Mahler de 20 à 40 ans. Julie Judd est une flamme qui
irradie la scène.
Quant à Stéphane Valensi, il lui
suffit d’une pièce de vêtement pour entrer dans la peau d’un des hommes qui se
sont brûlés à l’incandescente et frivole Alma. Il nous traduit le caractère de chacun
avec une aisance confondante. Le fait qu’il campe tous les personnages
masculins ajoute encore au rythme de la pièce. L’action ne souffre ainsi d’aucune
déperdition. Et nous, on comprend tout…
Alma Mahler, éternelle amoureuse est une superbe pièce de théâtre,
joyeuse, moderne, vivante. Elle m’a donné l’envie de relire l’histoire de cette
femme hors normes qui aura eu cette spécificité que d’entretenir des relations tumultueuses
et passionnées qu’avec des célébrités du monde des arts de la première moitié
du 20è siècle.
Gilbert « Critikator »
Jouin
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