Rive Gauche
6, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 35 32 31
Métro : Edgard Quinet /
Gaîté
Une pièce d’Eric-Emmanuel Schmitt
Mise en scène par Anne Bourgeois
Décor de Stéphanie Jarre
Lumières de Jacques Rouveyrollis
Costumes de Nathalie Chevalier
Musique de Jacques Cassard
Avec (par ordre d’apparition en
scène) : Davy Sardou (Julien
Portal), Jean-Paul Farré (Le mage
Radjapour), Jean-Jacques Moreau (Le
président Delbec), Odile Cohen (Le
docteur S), Michèle Garcia (Marie), Noémie Elbaz (Laura), Günther Vanseveren (Raphaël, Gabriel,
Emmanuel), Roxane Le Texier (un
ange ?)
L’histoire : Aucun client ne sait comment il est arrivé à
l’Hôtel des Deux Mondes. Ni quand il en repartira. Dans ce lieu étrange, tout
devient possible, même les miracles.
Huit personnes s’interrogent, se
disputent, se moquent, s’attendrissent, voire s’aiment. Certains changeront,
d’autres pas, chacun restant le maître de son chemin.
Un suspense métaphysique entre
rêve et réalité, une comédie philosophique où Eric-Emmanuel Schmitt, l’auteur
du « Visiteur », poursuit sa recherche éperdue du sens et pose le
mystère comme raison même d’espérer…
Mon avis : Déjà, le talent d’Eric-Emmanuel Schmitt est de nous
emmener dans un endroit indéfinissable, un endroit dont on se dit : et
pourquoi n’existerait-il pas ? C’est une sorte de no man’s land, une
station spéciale à mi-chemin entre ici-bas et l’au-delà, une antichambre située
entre la vie et la mort. Inutile de dire que le dépaysement est pour nous
total. Le décor immaculé, ultramoderne et aseptisé concocté par Stéphanie Jarre
contribue à renforcer cette sensation. Nous avons l’impression d’avoir le
privilège d’être admis dans un lieu mystérieux et hors du temps afin d’être les
témoins d’une situation paradoxale dont nous pensons quasiment tous qu’elle
puisse se produire…
Sujet on ne peut plus
métaphysique. Vous avez dit « métaphysique »?... En fait, il suffit
de lire une des définitions de ce mot dans le Larousse pour résumer la pièce
« Spéculations intellectuelles sur
des choses abstraites qui n’aboutissent pas à une solution des problèmes réels »…
On y est en plein.
L’Hôtel des deux mondes est un hôtel de passe-passe. C’est un lieu
de transit. Je ne dévoile rien en écrivant cela, car on est rapidement amené à
le comprendre. Tous les « clients » de cet établissement sont des
gens de passage. Ils ne sont plus tout à fait vivants et ils ne sont pas encore
morts. Ils sont tous dans un coma plus ou moins profond. Certains viennent d’y
entrer, comme Julien Portal (Davy Sardou), un autre y séjourne déjà depuis six
mois comme le « mage » Radjapour (Jean-Paul Farré). Par le truchement
de la maîtresse des lieux, le docteur S (Odile Cohen), chacun – et nous avec – est
informé de ce pourquoi il est là et de ce qui l’attend. Subissant alors un
phénomène de décorporation, chacun devient le spectateur impuissant de son propre
destin.
Dit comme ça, on donne
l’impression d’un sujet à la fois rébarbatif et délicat. Le mot coma fait peur.
C’est légitime. Mais l’art d’Eric-Emmanuel Schmitt est de nous faire réfléchir
à ce qu’il peut y avoir juste avant et après la mort tout en nous distrayant
et, même, en nous faisant souvent rire. Tout simplement parce que nous avons
affaire à des personnages qui nous ressemblent, qui sont le reflet de notre
société, et qui se comportent avec les qualités et les travers propres à l’être
humain. On a effectivement un joli panel d’individus.
L’écriture de cette pièce, sa
mise en scène alerte et sa distribution sont impeccables. Le sujet est profond,
son traitement relève de la philosophie, mais il reste léger et accessible.
Comme nous sommes tous concernés, il nous arrive de nous projeter dans telle ou
telle situation, de partager les sentiments ou les réactions de l’un ou l’autre
des protagonistes. Pour éviter tout pathos, l’auteur a fignolé des dialogues le
plus souvent pleins d’humour. En cela, trois des personnages brillent
particulièrement. Le mage Radjapour est un sage. Il est pragmatique,
bienveillant, suffisamment détaché de tout pour accepter les choses avec un
fatalisme réjouissant. Marie (Michèle Garcia) est humble, réaliste et, surtout,
formidablement truculente. Son premier monologue est à mourir… de rire !
Le président Delbec (Jean-Jacques Moreau) est l’archétype du politicien expert
ès compromissions en tous genres. Il nous fait irrésistiblement penser à
quelques (tristes) figures actuelles. Il est sentencieux, cynique, égoïste,
impitoyable. Tellement vrai !
Tout doucement, après nous avoir
fait comprendre la mécanique et la présence ô combien impressionnante de
l’ascenseur qui trône au milieu de la scène, Eric-Emmanuel fait monter
l’intrigue d’un cran en y ajoutant une note de suspense. Qui va avoir le droit
de retourner sur terre ou pas ? C’est terrifiant car il faut se résoudre à
accepter l’arbitraire et même l’injustice… Un peu plus tard, il nous fait
encore franchir un ultime pallier en introduisant dans son récit le plus noble
des sentiments, l’amour. Il est incarné par la vibrante et pétillante Laura
(Noémie Elbaz). Son arrivée apporte soudain de la vie, de la fantaisie, de l'intensité et de la
sensualité. Evidemment, le premier à être séduit est Julien. Lui, le jouisseur
désabusé, le bobo qui a bobo à l’âme, va se trouver régénéré. Sa
« vie » va reprendre un autre sens. Sa métamorphose est
spectaculaire.
Tous les acteurs ont un ou
plusieurs morceaux de bravoure. Le mage, le président et Marie nous offrent des
numéros absolument jubilatoires. On les voit évoluer tout au long de la pièce.
Y compris l’énigmatique docteur S. Son rôle l’oblige à une réelle froideur, à
une distance toute professionnelle vis-à-vis de ses clients de passage. Pourtant,
elle va peu à peu – et contre son gré - fendre l’armure et se montrer
profondément humaine.
Quant à Julien Portal, le nouvel
entrant dans l’hôtel des deux mondes, on s’attache à lui parce qu’il est en
quelque sorte notre guide. On découvre ce lieu ésotérique et les personnages
qui y gravitent en même temps que lui. Comme lui, on est dans
l’incompréhension, puis dans la révolte, puis dans l’angoisse et, enfin, dans
l’acceptation et l’exaltation. Comme d’habitude Davy Sardou joue simple et
juste.
Grâce au rythme apporté par la
mise en scène, on traverse ces deux heures de spectacle avec autant d’intérêt
que d’amusement. Il faut aussi souligner l’importance de la bande-son et des lumières.
Jacques Rouveyrollis a su trouver des effets spéciaux dignes du cinéma. Il su
plus particulièrement mettre en valeur le décor immaculé de Stéphanie Jarre,
nous faisant ainsi immanquablement penser à la fameuse lumière blanche décrite
par les personnes ayant vécu une expérience de mort imminente.
Enfin, les dialogues de cette
pièce sont saupoudrés de déclarations, de sentences, de maximes, de mots
d’auteur qui sont un pur régal et autant de sujets de réflexions. Quand on sort
du théâtre Rive Gauche devenu un instant une curieuse salle des trépas perdus,
on n’est pas plus avancé sur nos questionnements. Mais on a reçu une belle
leçon de vie et on sait que l’on va continuer à cogiter et à en débattre dès
que l’on en aura l’occasion. Y a-t-il une vie après la mort ? Et Dieu dans
tout ça ?
Mystère…
Gilbert « Critikator »
Jouin
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire