samedi 15 février 2014

Je préfère qu'on reste amis

Théâtre Antoine
14, boulevard de Strasbourg
75010 Paris
Tel : 01 42 08 77 71
Métro : Strasbourg Saint-Denis

Une pièce de Laurent Ruquier
Mise en scène par Marie-Pascale Osterrieth
Lumières de Laurent Castaingt
Décors de Pierre-François Limbosch
Costumes de Charlotte David
Musiques de Jacques Davidovici
Avec Michèle Bernier (Claudine) et Frédéric Diefenthal (Valentin)

L’histoire : ‘Je préfère qu’on resta amis » c’est la phrase qu’il ne fallait pas prononcer. La réponse toute faite que Claudine ne voulait jamais entendre ; et surtout pas de la bouche de Valentin à qui, ce soir-là, elle a enfin décidé de dévoiler son amour.

Mon avis : J’ai vu toutes les pièces de Laurent Ruquier. Il y en a que j’ai beaucoup aimées, d’autres moins. Au niveau de l’écriture, je tiens Je préfère qu’on reste amis pour la plus aboutie, la mieux ciselée. Il nous a pondu là une vraie comédie romantique, mais pas romantique avec la bouche en cœur et les violons, bellâtre suffisant et couguar enamourée… Une histoire d’amour jamais sirupeuse avec des mots de tous les jours, moderne, incisive, rythmée et terriblement drôle… Mais pas que drôle. Il y a distillé ça et là quelques plages d’émotion qui nous prennent bien à la gorge. Et, surtout, il a dessiné deux très beaux caractères de femme et d’homme ce qui lui permet de les mettre en opposition aussi bien dans la tendresse que dans la violence. Car Claudine et Valentin sont rarement au diapason. Tout au long de la pièce, ils évoluent en parallèle, en décalage, et on passe notre temps à se demander si ces deux parallèles vont finir à se croiser à un moment. C’est très, très bien construit, tout à fait cohérent et plein d’humanité. Les personnages existent, on y croit. Chacun d’eux propose (ou oppose) à l’autre une argumentation qui se défend.

C’est du concentré de Ruquier. Il y a mis le meilleur de tout son savoir-faire. Pas une seule fois, il ne s’est laissé aller à son pêché mignon, le calembour gratuit. Ici les jeux de mots, les vannes, les saillies viennent toujours à propos. De même a-t-il réussi à y placer son amour de la chanson en faisant interpréter à cette midinette de Claudine quelques extraits qui, plutôt que de figer l’action, s’inscrivent joliment dans le propos et le soulignent. Ces chansonnettes font partie intégrante de l’action. En plus, elles nous donnent à découvrir un talent de chanteuse que Michèle Bernier nous avait jusque là bien caché.
Les dialogues sont remarquablement troussés. La pièce, fort bien construite avec ses rebondissements inattendus, nous fait passer du rire à l’émotion, de la folie douce à la raison. La mise en scène, tonique, offre son lot de surprises de bon aloi. Excellente idée que cette double succession de monologues devant le rideau au cours desquels Claudine et Valentin se livrent à leur propre analyse de la situation.


En même temps, cette pièce, pour remarquablement écrite qu’elle soit, vaut également par la prestation de ses acteurs. On sait que Laurent Ruquier a écrit le rôle de Claudine à l’intention de Michèle Bernier. La connaissant par cœur, il savait parfaitement ce qu’il pouvait lui faire dire et jouer. Il lui a fait du sur mesure. Michèle peut donner libre cours à sa fantaisie débridée, à son énergie dévastatrice mais également laisser apparaître sa grande fragilité et son côté fleur bleue. Quand on vous dit que c’est une comédie romantique !
On savait tout l’étendue du talent et de la sensibilité de Michèle, mais encore fallait-il qu’on lui adjoigne un partenaire qui puisse lui rendre la pareille. Frédéric Diefenthal nous offre une composition à la fois toute en finesse et en autorité. Comme son personnage a, contrairement à celui de Claudine qui ne cache rien, quelques zones d’ombre, il doit faire appel à toute une palette de sentiments. Sans cesse aiguillonné, poussé dans ses retranchements, il fait preuve d’une sacrée vitalité, d’une profonde honnêteté et d’un fameux sens de l’humour… La sincérité avec laquelle Michèle et Frédéric jouent leurs personnages est d’ailleurs un des autres grands atouts de la pièce.

Quand je parle d’autres atouts, je pense au décor qui est d’une beauté enchanteresse. On peut jeter des fleurs à Pierre-François Limbosch. Evoluer dans un tel décor doit sacrément aider les comédiens à se sentir romantiques.
Le seul problème que j’ai rencontré hier soir (jour de la Saint Valentin, s’il vous plaît) c’est que les gens rient tellement et se mettent spontanément à applaudir qu’ils couvrent la fin de certaines répliques. C’est d’un frustrant ! A moins que ça soit fait exprès pour que l’on se procure le livret de la pièce à l’issue du spectacle… Non, sincèrement, il y a des réparties qui sont vraiment d’un très, très haut niveau.
La pièce dure 1 h 40 et on ne voit pas le temps passer. Ça se sent, Laurent Ruquier préfère qu’on reste ravis.

Gilbert "Critikator" Jouin


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