Théâtre des Mathurins
36, rue des Mathurins
75008 Paris
Tel : 01 42 65 90 00
Métro :
Auber / Havre-Caumartin / Madeleine / Saint-Lazare
Une pièce d’Hippolyte
Wouters
Scénographie de Cyrielle Clair
Avec Cyrielle Clair (Ninon de Lenclos), Pauline Macia
(Françoise de Maintenon), Sacha Petronijevic (L’abbé Gédouin / le Roi Louis
XIV), Sylvain Clama (le marquis de Villarceaux)
L’histoire :
Elles étaient deux amies… Un amant les a désunies.
A travers leur affrontement, on parcourt un 17è siècle d’où
émerge déjà l’esprit d’indépendance et d’émancipation de ces femmes cultivées,
brillantes et amoureuses, mais lucides…
Mon avis : Hippolyte
Wouters, l’auteur, est un véritable orfèvre. Il a ciselé une pièce en
alexandrins et en cinq actes qui est un petit bijou de finesse et d’intelligence,
et qui est toutefois d’une formidable modernité.
Le premier acte met en présence Ninon de Lenclos sur la fin
de sa vie et son confesseur enamouré, l’abbé Gédouin. Après qu’elle ait badiné
avec lui et gentiment esquivé ses avances, elle décide – car c’est elle qui,
toujours, décide de tout – de lui raconter sans détours son parcours de
courtisane. Le ton est léger, badin, mais il est propice à faire passer une
quantité de messages sur la condition de la femme et sur la Cour…
Comme au cinéma, l’auteur utilise le flashback pour nous
faire remonter le temps d’une bonne vingtaine d’années. Le deuxième acte met en
présence deux femmes qui, bien qu’ayant des comportements et une philosophie de
vie diamétralement opposées, sont néanmoins amies. Elles ont en effet en commun
une grande intelligence et un caractère bien trempé. Basée sur la rigueur et la
foi pour Françoise d’Aubigné et sur la finesse d’esprit et la tolérance pour
Ninon de Lenclos. Autant cette dernière, débordante de sensualité, n’hésite pas
à mettre ses charmes en valeur, autant la future madame de Maintenon se montre
austère… Hélas, leur jolie complicité va être taillée en brèche pour une
rivalité amoureuse, toutes les deux s’éprenant en même temps du même homme, un
séducteur professionnel dénué de scrupules, le sémillant marquis de
Villarceaux.
Les troisième et quatrième actes nous montrent l’évolution
de ces deux femmes. Ardente lectrice de la carte du Tendre ; Ninon préfère
de loin le libertinage au mariage. C’est une femme libre, un féministe de la
première heure, une maîtresse femme qui n’en fait qu’à sa guise. Elle s’amuse
avec les hommes et, maligne, se complaît à les rendre jaloux… Plus Ninon
collectionne les aventures, plus madame de Maintenon, devenue l’épouse du Roi,
devient une femme de pouvoir bigote et revêche. Elle reproche à son ancienne
amie son « étrange façon de mener le
sexe et la raison ». Et, surtout, elle ne supporte pas qu’elle affiche
sans vergogne son impiété. Ninon, qui se qualifié à plusieurs reprises de « rétive », estime que l’on « pénètre mieux l’âme en se faisant l’amour ».
Tout les oppose désormais…
Au cours de leur discussion à fleurets mouchetés, apparaît Louis
XIV. Sa santé déclinante fait de lui un Soleil couchant. Mais son esprit reste
vif et lucide. Trouvant en Ninon de Lenclos une interlocutrice de grande valeur
intellectuelle, il se laisse aller pour la première fois à se confier sur la
difficulté d’être un monarque : « Etre
Roi est une étrange chose », répète-t-il. Se plaignant de n’être
entouré que de flatteurs et d’hypocrites, il déplore d’être « un homme seul » vivant « de certitudes et non de vérités ». Après
ce court mais intense moment d’abandon, ragaillardi par le discours humaniste
et l’écoute pleine d’indulgence de Ninon, Louis laisse les deux femmes
ensemble. Complètement retournée, Françoise de Maintenon est perplexe. Elle n’arrive
pas à comprendre comment une femme « aussi
païenne peut receler des vertus si chrétiennes »… Ce quatrième acte
est d’une grande force.
Le cinquième acte nous ramène vingt ans plus tard dans le
petit salon de Ninon. Au cours d’un très bel échange avec l’abbé, après avoir
de nouveau fustigé l’hypocrisie de la religion, elle nous propose une
conclusion emplie de sagesse : lorsqu’on ne croit pas au bonheur éternel,
c’est ici-bas qu’il faut construire son ciel…
Ninon Lenclos ou la
liberté est une réussite en tous points. Avoir à dire un texte admirable
avec des vers aussi bien troussés doit être un véritable bonheur pour des
comédiens. Et puis il y a le fonds. On y badine certes avec l’amour, mais on se
permet de dire des choses et d’en dénoncer beaucoup. C’est une pièce qui nous
parle de bout en bout. On sourit et on rit souvent car maintes formules ou
traits d’esprit font mouche. L’ironie y est saine et salvatrice.
Cyrielle Clair incarne à la perfection Ninon de Lenclos. Elle
vit, elle vibre. On en oublie qu’elle s’exprime en alexandrins. Il faut voir
cette scène à la fin du troisième acte où elle raconte et joue à merveille ses
émois et ses ébats amoureux. Femme indépendante et témoin de son temps, elle
alterne les moments de totale franchise et ceux où l’habileté diplomatique est
requise. Totalement investie, Cyrielle Clair nous offre plus qu’une magnifique
composition. Elle EST Ninon de Lenclos. Quel beau personnage de femme !
Autour d’elle, chacun emplit parfaitement son rôle. Pauline Macia
campe une Françoise de Maintenon plutôt psychorigide. Elle a une façon presque
mécanique de débiter les vers, ajoutant ainsi à son aspect ascétique et sévère.
Elle incarne l’opposé de Ninon. Mais son intelligence et son esprit d’analyse sont
patents. Et leur bras de fer intellectuel est un pur régal…
Sacha Petronijevic tient le double rôle de l’abbé et du Roi.
Dans chacun il distille une belle dose d’humour. Mais il sait aussi jouer tout
en finesse sur le registre de l’émotion. Son long monologue sur les difficultés
de sa condition de Roi est un des grands moments de la pièce…
Quant à Sylvain Clama, il est tout à fait crédible dans le rôle
du marquis de Villarceaux. Il a de la prestance, du charme et sa belle voix
grave ajoute encore à son pouvoir de séduction. Lui aussi sait être drôle,
particulièrement dans cette scène où il est éperdu de jalousie et se montre de
plus en plus accablé par les confidences polissonnes de Ninon.
Voilà, je vous ai livré mes impressions, mes sensations et
mon grand plaisir à voir et à entendre cette pièce subtile, drôle et
intelligente. Et puis cette petite salle du théâtre des Mathurins est tellement
agréable avec sa proximité avec les comédiens…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire