lundi 28 janvier 2008

La forme des choses


Petit Théâtre de Paris
15, rue Blanche
75009 Paris
Tel : 01 42 80 01 81
Métro : Trinité/Blanche/Saint-Lazare

Une pièce de Neil Labute
Avec Julie Delarme (Evelyn), Jérôme Foucher (Adam), Marie-Julie Baup (Jenny), César Méric (Philipp)

Ma note : 7,5/10

L'histoire : Evelyn, une jeune étudiante aux Beaux-Arts, ennemie de l'hypocrisie et du mensonge, s'apprête, en signe de protestation contre la censure, à tagger une statue de dieu grec. Mais cette initiative n'est pas du goût d'Adam, le jeune gardien du musée, étudiant également. Maladroitement, il essaie de lui faire changer d'avis. En discutant avec elle, ce grand timide réalise qu'il l'a déjà vue, dans son deuxième job d'étudiant, une vidéothèque. Et ils commencent à sympathiser, si bien que le jeune homme tombe amoureux de cette jeune femme franche, directe et délurée...
Plus leur relation avance dans le temps, plus Adam s'épanouit. Sa déroutante métamorphose va troubler ses amis, Philipp et Jenny...

Mon avis : Le Petit Théâtre de Paris a encore frappé ! On y a vraiment le chic pour programmer des pièces originales, pleines d'humour et qui donnent néanmoins à réfléchir. C'est encore une fois le cas avec cette remarquable pièce adaptée de l'américain.
Quelle sensation agréable que de réaliser que l'on rit... intelligemment ! Ici, si les "choses" ont une "forme", elles ont aussi du fond. Beaucoup de fond !

Neil Labute utilise un langage moderne, adulte, sans fioritures. Les profils psychologiques de ses personnages sont parfaitement dessinés, ce qui nous aide à anticiper sur certaines de leurs réactions. Evelyn est une rebelle, elle a de la culture et du talent, mais c'est également une jeune fille libre, bien dans sa tête et dans son corps. Adam est gêné aux entournures par un physique ingrat, une gaucherie chronique, mais il est loin d'être idiot. Philipp est une sorte de macho qui transforme son manque d'assurance en agressivité et en vulgarité (genre assez répandu). Jenny est une gentille fille, aimable et tolérante, parfois limite nunuche, mais pourtant jamais dupe.
Ce sont donc ces quatre traits de caractère qui vont s'affronter devant nous.
Cette pièce est servie par des dialogues percutants et vifs. Les (bonnes) répliques fusent avec, parfois, quand il le faut, un langage assez cru. Pour donner du rythme à une histoire que l'on voit évoluer dans le temps, les décors, constitués de panneaux glissants et pivotants, sont changés à vue. En un instant, on sait dans quel endroit on se trouve et l'action peut s'enchaîner en une succession rapide de tableaux.
J'insiste vraiment : les mots sont primordiaux dans cette pièce. Comme tout repose sur les non-dits et les mensonges, les questionnements et leur formulation sont essentiels. Avec une certaine dose de cynisme, on se pousse dans ses derniers retranchements, on joue avec l'autre au risque de le perdre. La leçon première de La forme des choses est que "tout est subjectif". Les formes sont un leurre, on peut leur faire dire ce que l'on veut. Et encore plus quand elles ont analysées à travers le prisme de l'art.
Et puis il y a la force de l'amour. Que n'est-on capable de faire quand on est mû par ce sentiment exaltant ? Mais, comme pour le décor, notre coeur n'est-il pas agrémenté de panneaux coulissants très pratiques pour se protéger ?
Cette pièce est une ascension progressive, qui nous amuse d'abord, puis qui nous happe et nous fascine. Jusqu'à une apothéose en forme de feu d'artifices ("artifices" dans le sens psychologique du terme) qui nous laisse aussi pantois qu'admiratifs. Un pur régal !

Julie Delarme tient la scène avec une énergie indomptable. Son extrême lucidité et ses sentences péremptoires font presque peur. Dure et tendre à la fois, elle est tout aussi attachante qu'agaçante. En tout cas, elle a une sacrée présence.
D'ailleurs, le casting est imparable. On ne peut s'imaginer d'autres comédiens à la place de ce quatuor impeccable. Jérôme Foucher est en quelque sorte le héros involontaire de la pièce. D'abord aux antipodes de Julie, il va s'efforcer de se hisser à son niveau. Il le fait avec une sobriété remarquable et sa métamorphose est d'autant plus impressionnante qu'il n'en rajoute jamais.
César Méric joue tout en force, tout en violence, trahissant ainsi ses doutes et ses manques. Quant à Marie-Julie Baup, on aimerait l'avoir pour amie tant elle est douce et compréhensive ; et jolie.

Bref, La forme des choses est une pièce dont la fin nous rend tout choses et pourtant nous met réellement en forme. C'est agréablement jouissif que de se faire ainsi mener aussi intelligemment par le bout du nez...

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