lundi 9 juin 2008

Sacré nom de Dieu !


Gaîté Montparnasse
26, rue de la Gaîté
75014 Paris
tel : 01 43 22 16 18
Métro : Gaîté / Edgar-Quinet

Une pièce d'Arnaud Bédouet
Librement inspirée de la correspondance de Gustave Flaubert
Mise en scène par Loïc Corbery
Avec Jacques Weber (Flaubert), Magali Rosenzweig (Marie)

Ma note : 7/10

L'histoire : Une nuit d'orage. Réfugié dans son bureau avec Marie, venue le soigner, Flaubert est exténué. Tout l'atteint ce soir-là : "une crise nerveuse" éprouvante ; Louise, sa maîtresse, qui vient de lui annoncer par courrier qu'elle le quitte ; sa difficulté à écrire Madame Bovary ; jusqu'à la nature même qui se déchaîne... Mais le doute existentiel qui l'effleure est bien vite balayé par un immense coup de sang salvateur qui le "remâte". L'esprit à vif, prenant Marie à témoin, il soliloque sur ses contemporains, sur les fausses valeurs, sur l'amour, sur l'Art, avec une énergie qui lui fait oublier toute prudence...

Mon avis : Ne parlons pas de décor, il n'y en a pas. Une vilaine table noire, deux-trois chaises dépareillées, sont alignées devant un mur sale et noir qui, nous le verrons bientôt, a son utilité. Il va en effet servir de tableau noir pour les coups de craie rageurs d'un Flaubert exalté qui y crache ce qu'il appelle des "maximes". Quelques mots entrecroisés écrits qui vont rester figés face à un impétueux torrent de mots proférés.

En fait, Sacré nom de Dieu ! est un one-man show qui ne veut pas se l'avouer tant la présence de Jacques Weber est énorme, au propre comme au figuré. Magali Rosenzweig n'apparaît que comme une ponctuation chargée d'entrecouper le flot des mots, de créer des ruptures, et de relancer la machine. Pas évident pour elle de trouver sa place et de la justifier.

Qu'elle est riche notre littérature française avec des hommes de cette envergure, de cette acuité spitituelle ! De véritables visionnaires. Ces extraits de la correspondance de Flaubert nous laissent pantois et émerveillés par leur modernité, par leur actualité.
Bonnet noir vissé sur le crâne - un bonnet qu'il va fréquemment triturer, torturer, déplacer, enlever et remettre - We(Flau)ber se présente comme une sorte d'ogre au pied d'argile habité par une saine fureur vis-à-vis d'une impressionnante liste de faits et de comportements qui le navrent et l'irritent. L'acteur est lancé comme un train fou en pleine nuit dont les phares éclairent tour à tour et à toute vitesse des paysages divers et variés qui sont autant de thèmes, philosophiques ou sociétaux. Terriblement lucide, Flau(We)bert se refuse à faire partie du troupeau. Il veut garder son libre arbitre, le droit de gueuler bien fort ce qui ne lui convient pas, ce qui le révolte. La cocotte minute de son cerveau fécond est en ébullition ; rien ni personne ne pourra en endiguer les longs jets de vapeur brûlants de vérité.

Ce texte est un filon doré dont les zébrures illuminent le magma noirâtre et désespérant d'une société moutonnière, résignée et veule. Et dans ce filon émergent de splendides pépites qui nous éblouissent de contentement. Voici quelques uns de ces joyaux pris au vol (mais il y en a tant d'autres) : "L'encrier seul est le vagin des gens de lettres" ; "Ce n'est pas parce que les arbres tombent qu'il faut supprimer les ouragans" ; "Je suis peu sensible aux désolations collectives" ; "L'égoïsme engendre l'imbecillité" ; "A vouloir expliquer Dieu, la bêtise commence" ; "Je veux vivre comme un ours en me foutant de la critique" ; "Flaubert à l'Académie, c'est le loup dans la bergerie"...
Gustave/Jacques balaie large. Avec un langage imagé, souvent vert, il s'indigne et s'emporte. Il s'en prend violemment à un mauvais poète, il dénigre fielleusement sa tête de turc, un certain Lamartine, il démolit allègrement Musset, et il en profite pour donner son point de vue sur la mission de l'écrivain... Visionnaire, il dénonce "la laideur de l'industrie", prévoit le retour des mystiques, raille et stigmatise les bourgeois. Il y a même un passage troublant par son actualité dans lequel on a l'impression qu'il brosse la personnalité de notre président...
Quel grand moment aussi que ce pseudo discours d'entrée à une Académie qu'il rejette de tout son mépris !

C'est riche, très riche. Et nous, pauvres spectateurs, on n'a pas toujours l'opportunité de tout attraper sur le passage de ce TGV vociférant lancé à tout allure. Il est vrai qu'au début, j'ai eu un peu de mal à m'adapter au débit tumultueux des phrases lancées à haut débit par l'acteur, et donc à les saisir. Puis, soit je m'y suis accoutumé, soit - et c'est ce que je pense - Weber a commencé à mieux moduler, à mieux formuler et c'est là que j'ai commencé à prendre mon plaisir. Une autre chose m'a un peu gêné : c'est dans le personnage de Marie. Je trouve qu'elle a un peu trop tendance à hurler et à évoluer avec une énergie trop disproportionnée... Ce seront là mes deux seules critiques. Sinon, vous aurez compris que je me suis régalé.
Et la pièce se termine par un signal inquiétant : "La nuit commence"... murmuré par une Jacques Weber complètement exténué. Il y a de quoi.
Et il ne nous reste plus qu'à exulter respectueusement : chapeau et merci l'Artiste !

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