lundi 14 février 2011

Les lois de la gravité


La Manufacture des Abbesses
7, rue Véron
75018 Paris
Tel : 03 42 33 42 03
Métro : Abbesses / Blanche

D’après le roman de Jean Teulé
Adaptation de Marc Brunet
Mise en scène d’Elizabeth Sender
Avec Marc Brunet, Christian Neupont, Hélène Vauquois

Ma note : 7/10

L’histoire : Il est 21 heures. Une femme entre dans un commissariat. Elle vient avouer le meurtre de son mari commis des années auparavant. Mais après avoir écouté son histoire, le policier de permanence refuse d’’enregistrer sa déposition et de l’arrêter. Ces personnages fragiles, fêlés, mais déterminés vont s’affronter jusqu’à minuit/// A partir d’un fait divers, Jean Teulé nous embarque dans un huis-clos original, poignant et drôle.

Mon avis : La bande son nous installe tout de suite dans un climat urbain. Comme nous allons être confrontés pendant plus d’une heure et demie au huis-clos d’un commissariat, les bruits extérieurs sont un rappel permanent à la vie et à la liberté. On sent la ville bruire tout autour et la proximité d’un port. C’est cette atmosphère que va délibérément quitter une femme. Une femme simple, banale, honnête qui, en refermant sur elle la porte de son appartement, a décidé en même temps de clore un important chapitre de sa vie. Tenaillée par le remords et
éprise de justice, elle vient en effet se constituer prisonnière pour le meurtre de son mari commis bien des années auparavant alors que l’enquête avait conclu sur un suicide…
Nous assistons alors à la rencontre de deux solitudes. Maintenant que sa décision est prise, la femme veut aller jusqu’au bout de son sacrifice expiatoire. Le problème, c’est qu’elle se retrouve en face d’un flic désabusé, fatigué, mais surtout formidablement humain. Et, en plus, il n’a visiblement pas envie, vu l’heure tardive, d’ouvrir une main-courante. Ça va donc être la confrontation de deux entêtements, une course contre la montre qui va entraîner ces deux paumés jusqu’au bout de la nuit. De leur nuit ?…

Parce que nous voyons évoluer devant nous deux êtres normaux, deux êtres que la vie n’a pas épargnés. Elle, elle a connu une vie conjugale qui n’était pas une sinécure. Il n’y avait que dans son métier de factrice qu’elle trouvait sa seule source de satisfaction, de plaisir car elle était socialement appréciée… Lui, il est un peu revenu de tout. Il en a trop vu des horreurs et des abjections. Alors que cette brave femme, répondant soudain à une impulsion, ait simplement poussé son ivrogne de mari dans le vide où il menaçait lui-même de se précipiter, il trouve ce forfait plus salutaire que condamnable. C’est plus un réflexe de survie qu’un crime. Et comme l’affaire est classée depuis belle lurette, pourquoi ne pas permettre à cette femme de continuer à vivre en paix ?

Cette pièce est une véritable tragédie. Deux destins vont basculer. Vers la rédemption et la liberté ou vers l’enfermement et le rejet de la vie ? On ne le saura qu’à la fin… Entre temps, ils se seront beaucoup parlé. Elle avec une certaine réticence teintée d’incompréhension ; lui, avec plus de volubilité, parce qu’il veut convaincre. Son ton bourru dissimule à peine la sympathie qu’il éprouve pour ce petit oiseau égaré mais têtu… Il y a aussi son collègue, sorte de planton, un brave flic proche de la retraite, qui apporte une note un peu plus légère dans cette atmosphère tendue et confinée. Il ne comprend pas toujours ce qui se passe, ou feint de ne pas comprendre. Lui aussi, il en a beaucoup vu. Foutu métier !
Ces trois individus sont d’autant plus attachants qu’ils nous ressemblent. On en oublie même souvent que l’on a affaire à des acteurs. Ils sont tout simples. A l’extérieur, ils sont confrontés aux mêmes problèmes que nous, à la même routine. Seulement, elle, elle a tué, et eux ils sont flics. La fonction va-t-elle l’emporter sur le cœur ? La loi va-t-elle se montrer plus forte que les sentiments ? Cette femme n’a-t-elle pas déjà assez souffert ? Il y a criminel et criminel…
L’écueil du pathos a été habilement évité dans ce huis-clos. Il arrive même que certaines situations ou réflexions nous arrachent un sourire, voire un rire ; un rire bref, un peu nerveux, parce qu’on est mal à l’aise et que l’on est en empathie avec ce trio. Que ferait-on à leur place ? Mais on est impuissant. La fin ne leur appartient qu’à eux. Et on ne pourra que l’accepter… Entre temps, on aura passé en leur compagnie un petit « voyage au bout de la nuit », touchant, émouvant, prenant, énervant. Un moment plein d’une banale humanité…

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