lundi 12 septembre 2011

Fume cette cigarette


Théâtre des Mathurins
36, rue des Mathurins
75008 Paris
Tel : 01 42 65 90 00
Métro : Havre-Caumartin / Auber

Une comédie d’Emmanuel Robert-Espalieu
Mise en scène par Edouard Molinaro
Assisté de Joëlle Benchimol
Avec Axelle Laffont et Vincent Desagnat

L’histoire : La vie à deux est-elle le premier degré de l’apprentissage de la démocratie ? Ou, au contraire, la prise de pouvoir par l’un ou par l’autre est-elle la conséquence inévitable de la tendre guerre au sein d’un couple en formation ? Fume cette cigarette s’efforce de ne pas répondre à ces questions…

Mon avis : En fait, il ne m’aura fallu que quelques minutes pour comprendre le sens du titre énigmatique de cette pièce. Bon sang ! Mais c’est bien sûr… Il vient de la passion exacerbée que nourrit le héros à l’égard d’Eddy Mitchell, passion qu’il est tout fier d’annoncer à la jeune femme en la compagnie de laquelle il se retrouve pour la toute première fois au restaurant. Occasion de faire plus ample connaissance…
Très vite les deux caractères se dessinent. Autant IL est gauche, timide, gaffeur, maniaque et… exclusif, autant ELLE est fine, malicieuse, enjouée, provocante… et accro à la cigarette. D’ailleurs la conversation va bientôt se focaliser sur cette addiction. Comme ils n’en sont qu’au tout début de leur histoire, il va s’efforcer de se montrer conciliant même si l’on sent que c’est contre nature. En même temps, sans qu’il s’en rende bien compte, sa maladresse, son ton hésitant, sa façon de s’emberlificoter dans ses explications le rendent touchant aux yeux de la jeune femme. Elle, elle sait ce qu’elle veut. Elle a un petit côté amazone et elle n’est pas très encline à s’embarquer dans une aventure avec un mec qui l’empêcherait de respirer… Or, ce mec lui plaît vraiment. Et elle va tenter le coup. Malgré sa dérive intégriste face à une clope dont elle ne peut se passer…

La comédie est fort bien agencée. A travers une succession de saynètes, on suit leur évolution. Soit on assiste à une sorte de noria dans laquelle ils viennent à tour de rôle nous livrer leurs confidences, soit on est les témoins de leurs conversations au fil de leur vie plus ou moins en commun. Du premier désaccord né lors d’un week-end à Bruges à l’inévitable séparation on subit la lente dégradation de leur couple. Et pourtant, grâce aux quelques séquences où ils apparaissent en solo, on sait qu’ils s’aiment. Qu’ils s’aiment vraiment.
Hélas, il ne peut pas supporter d’avoir une rivale. Un paquet de rivales même… Le suspense de la pièce est donc de savoir si l’amour va être plus fort que la névrose. Si leur liaison va avancer « clopin-clopant » jusqu’à partir en fumée, ou si leurs sentiments vont faire un tabac.

Toute la finesse de Fume cette cigarette repose sur cet antagonisme. Le problème n’est pas de savoir s’ils s’aiment, c’est de savoir s’il va réussir à traverser cet écran de fumée qui l’empêche de voir clair et d’être objectif. Pour jouer un jeu aussi subtil, il faut deux comédiens à la fois dissemblables et complémentaires, et surtout très complices. Et là, l’alchimie fonctionne parfaitement. Ils sont vraiment épatants ces deux là, chacun dans un registre propre. Même si on les connaissait déjà, elle pour ses passages délirants à la télévision, lui pour ses prestations au cinéma ou au côté de Michaël Youn, on peut parler de révélation. Le théâtre, ce n’est pas pareil. On n’y a pas droit à l’erreur. Et on peut affirmer qu’ils sont tous les deux armés pour y faire une bien jolie carrière.
Axelle possède de nombreux atouts. Elle est fraîche, mutine, elle a un sourire absolument craquant et elle est très à l’aise avec son corps, ce qui lui permet d’exprimer une sensualité saine et assumée. C’est une féline, à la fois chatte et panthère. Elle peut tout jouer, la drôlerie comme l’émotion. Elle apporte à son personnage une totale crédibilité.
Vincent joue sur un tout autre registre. Il n’abuse jamais de son charme viril. Il aime mettre en avant une certaine fragilité. Son jeu est très, très fin. Autant Axelle se révèle lumineuse et positive, autant il aime jongler avec ses doutes, avec ses hésitations. Ce qui, j’en suis convaincu, a pour effet de le rendre extrêmement attachant aux yeux des dames. Sa palette de jeu est très large. On le savait très friand de gaudriole (Youn oblige), on le découvre tout-à-fait capable de jouer des personnages complexes. Ce gars-là peut sans problème lorgner du côté des personnages shakespeariens ou dostoïevskiens. Il a sans nul doute un sacré potentiel.

Il faut donc le talent conjugué de ces deux comédiens pour nous faire apprécier cette petite comédie d’apparence banale et anodine qui tourne autour du couple et de ses concessions et qui nous en dit mine de rien beaucoup sur les relations hommes-femmes. On n’y rit jamais aux éclats, mais nous sommes en permanence dans le sourire. Ce qui n’est pas plus mal. Enfin, on ne va pas mégoter sur une mise en scène signée Edouard Molinaro. C’est tout de même un sacré gage de qualité, non ?

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