mercredi 14 septembre 2011
Collaboration
Théâtre des Variétés
7, boulevard Montmartre
75002 Paris
Tel : 01 42 33 09 92
Métro : Grands Boulevards / Bourse
Une pièce de Ronald Harwood
Texte français de Dominique Hollier
Mise en scène de Georges Werler
Avec Michel Aumont (Richard Strauss), Didier Sandre (Stefan Zweig), Christiane Cohendy (Pauline Strauss), Stéphanie Pasquet (Charlotte Altmann), Patrick Payet, Sébastien Rognoni, Eric Verdin
L’histoire : Deux artistes au sommet de la gloire, deux géants : Richard Strauss et Stefan Zweig ! Le premier, proche du régime nazi et se croyant tout puissant et intouchable, non concerné par la politique. Le second craignant au contraire cette politique et la violence qu’elle allait secréter... Ils s’admiraient. Ils créeront ensemble un opéra bouffe inspiré de Ben Johnson, La Femme silencieuse, immense succès arrêté par le régime nazi dès la seconde représentation, le nom d’un juif étant resté sur l’affiche malgré l’interdiction…
Mon avis : Quelle pièce ! Quelle intensité ! Quelle profondeur ! Et quels acteurs !...
La pièce commence en 1931. Nous sommes à Garmisch, en Bavière, dans l’appartement du célèbre compositeur Richard Strauss. Une sommité, une star. Et qui le sait, et qui s’en rengorge. Bien qu’il se lamente devant la maniaquerie de sa femme Pauline question propreté d’être « plus un « mari » qu’un grand compositeur ». Car c’est un sacré personnage la Pauline, une femme très perspicace et qui n’a pas sa langue dans sa poche. Elle le connaît par cœur son brillant époux et elle ne se prive pas de le taquiner tout en lui apportant un soutien et une aide aussi aimants qu’efficaces. Cette relation, dans laquelle aucun des deux n’est dupe, permet beaucoup d’humour – et d’amour – dans le couple…
Pour son prochain opéra, Richard a pour rêve absolu d’avoir le fameux écrivain Stefan Zweig. Mais il le juge inaccessible. Heureusement, Pauline est là qui sait le pousser à tenter sa chance. Et Zweig accepte. Et Zweig vient leur rendre visite…
C’est la rencontre de deux hommes qui nourrissent un immense respect l’un pour l’autre. Mais qui sont terriblement dissemblables. Zweig, c’est l’élégance faite homme. Une élégance tant physique et vestimentaire que morale. Il est franchement austère et un tantinet misanthrope. Strauss est plus rustre, c’est un faux modeste, un excessif, un ogre. Alors que Zweig, très humble, se montre en permanence dans le doute. Plus il hésite et plus Strauss, toujours sûr et content de lui, se montre exigeant et directif. Mais, heureusement, leur talent respectif les réunit et cimente une réelle amitié…
Le premier tiers de la pièce repose sur cette approche, sur la façon dont ces deux monstres sacrés vont pouvoir cohabiter, se comprendre et travailler ensemble. C’est une sorte de round d’observation très bavard, saupoudré de quelques réflexions savoureuses, mais, avouons-le, dans lequel il ne se passe pas grand chose. Pourtant, ce premier tiers était indispensable pour poser la psychologie des deux principaux protagonistes et de jauger le rôle important que tenait Pauline auprès de son mari. Mais j’ai quand même vu un couple, profitant d’un baisser de rideau, s’éclipser en douce. Ils ont eu franchement tort de ne pas attendre l’année 1933 sur laquelle le rideau se rouvrait…
C’est là que la pièce prend soudain une toute autre dimension. En effet, la grande Histoire y fait soudain irruption à travers l’agression que subit Charlotte, l’assistante de Zweig, molestée dans la rue par deux adolescents. Tout simplement parce qu’elle est juive. Très lucide, l’écrivain sait qu’avec la montée du nazisme, son pays entre de plain-pied dans une nouvelle ère. Il essaie de le faire comprendre aux Strauss, mais ceux-ci sont trop tournés vers eux-mêmes, trop égoïstes, trop gâtés pour se sentir concernés. Devant le désir de Zweig d’ « agir selon une exigence morale », Strauss promet de ne jamais le lâcher quoi qu’il arrive. Hélas, les ukases anti-juifs vont bientôt les rattraper et un immonde chantage oblige Strauss à accepter à contrecœur le poste de Président de la Chambre de Musique du Reich. Il est d’autant plus coincé qu’on lui a fait comprendre qu’en cas de refus sa belle-fille, juive elle aussi, pourrait en pâtir…
En dépit de son statut et de l’admiration que lui porte Hitler, Strauss n’a plus aucune marge de manœuvre. Il a beau clamer que « la musique n’a que faire des régimes politiques », il lui faut subir les diktats du nazisme et… collaborer.
La pièce devient alors l’histoire de ces deux hommes face à la grande Histoire. Pour un Zweig intègre, révolté et… juif, c’est à la limite plus facile. Il se sait exposé, il vomit ce régime et ses exactions, il peut au moins se résoudre à l’exil. Mais Strauss est immergé dans le système. Même s’il n’y a que « composer » qui compte pour lui, il est piégé. Ce qu’on lui impose devient kafkaïen. Il a bien quelques sursauts, car c’est foncièrement un honnête homme, mais il est impuissant.
Cette fois, nous sommes totalement happés par les drames qui se nouent devant nous. On comprend ces deux hommes, on les estime et on les plaint. Ce sont des victimes.
Avec eux, nous allons traverser les années de guerre. 1934, 1935, 1942, 1945… pour nous retrouver enfin à Munich en 1948.
Portée par un formidable duo Aumont-Sandre, remarquablement épaulé par une brillante Christiane Cohendy, cette pièce se révèle très, très forte. D’abord parce que ces personnages ont existé et que l’auteur a su rester fidèle à l’histoire. Ensuite parce qu’elle met en scène deux monstres sacrés, deux immenses talents, un dans la musique, Strauss, l’autre dans la littérature, Zweig. La différence de style de ces deux hommes, tant physique que morale, est la colonne vertébrale de cette tragédie. Car c’en est une, et une terrible. Didier Sandre, tour à tour frémissant et exalté donne à Stefan Zweig un formidable épaisseur. Michel Aumont apporte sa générosité et son tempérament pour nous faire comprendre et finalement aimer un Strauss particulièrement haut en couleurs.
Il faut voir Collaboration. Un titre qui se lit dans deux sens : il y a la collaboration purement professionnelle entre Strauss et Zweig, et il y a la collaboration contrainte et forcée du musicien avec le régime nazi. On sort du théâtre des Variétés ému et bouleversé. Et on se surprend, à travers ces deux destins, à croire encore en l’homme.
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