jeudi 20 octobre 2011

Les Bonobos


Théâtre du Palais-Royal
38, rue de Montpensier
75001 Paris
Tel : 01 42 97 59 76
Métro : Palais-Royal

Une comédie de Laurent Baffie
Mise en scène de Laurent Baffie
Décors de Stéphanie Jarre
Avec Laurent Baffie/Alain Bouzigues (en alternance) (Ben), Marc Fayet (Alex), Caroline Anglade (Angélique), Jean-Noël Brouté (Dani), Camille Chamoux (Léa), Karine Dubernet (Julie)

Le propos : C’est l’histoire de trois potes qui se connaissent depuis l’enfance : Alex l’aveugle, Dani le sourd et benjamin le muet.
Même si nos trois personnages ressemblent beaucoup aux trois singes de la Sagesse, leur irrésistible envie de copuler les range définitivement dans la catégorie des bonobos ! Mais comment faire pour avoir une sexualité non tarifée quand on est handicapé ? La solution est simple, il suffit de ne plus être handicapé…

Mon avis : Le Baffie Bouzouk* a encore frappé ! Mine-de-rien, il est tout doucement en train de se constituer une véritable dramaturgie avec des pièces originales, décalées, insolentes et formidablement drôles. Après Sexe, magouilles et culture générale et l’inénarrable Toc toc, il revient avec une nouvelle histoire née de son esprit aussi fécond que tordu : Les Bonobos.
Laurent (Outang ?) est, on le sait, un passionné de tout ce qui touche la faune. C’est un zoophile quasiment incollable. Mais cette fois, c’est dans la symbolique qu’il est allé chercher son sujet. Tout le monde connaît cette statuette réunissant trois singes assis : le premier se cache la bouche, le deuxième les yeux et le troisième les oreilles. Ne rien dire, ne rien voir, ne rien entendre, c’est la marque de la sagesse. Gandhi, qui avait faite sienne cette maxime, ne se séparait jamais d’une petite reproduction de ces trois fameux primates.

Or donc, nous voici en présence de Ben-le-muet, Alex-l’aveugle et Dani-le-sourd. Ils se sont liés d’amitié depuis tout jeunes, quand ils fréquentaient un établissement pour handicapés. Eux, accéder à la sagesse n’est pas leur préoccupation première. Leur obsession est uniquement organique : ils veulent baiser. Bien sûr, ils peuvent assouvir leur libido quand ça leur chante, mais uniquement auprès de professionnelles dûment tarifées. Et ça commence à leur coûter bonbon à nos Bonobos. Très complices et solidaires, ils décident de tenter leur chance sur la toile en provoquant une espèce de speed dating. Mais ils sont convaincus que leur handicap va être un frein dans leur démarche de séduction. Alex a une idée qui, pour saugrenue qu’elle soit, va peut-être leur permettre de gommer leur foutu handicap le temps d’un rendez-vous. Et, ensemble, ils vont imaginer pour chacun d’eux un stratagème particulièrement ingénieux, des astuces que je vous laisse le bonheur de découvrir…
Evidemment, ce qui paraît imparable sur le papier n’a plus les mêmes applications sur le terrain. Ce qui donne lieu à des situations cocasses générant une avalanche de gags et de quiproquos.

Après le premier tableau qui est donc celui de l’exposition (on apprend qui est qui et comment chacun va devoir faire comme s’il n’avait aucun problème), vont s’enchaîner une succession de tableaux les mettant en scène avec les trois jeunes femmes qui ont répondu à leur annonce… Dès lors tout part en vrille. On pouffe toutes les vingt secondes. Certaines répliques nous échappent parce que la précédente a provoqué l’hilarité générale. Moi qui éclate rarement de rire, je me suis surpris à glousser de contentement et à essuyer une larme incontrôlable. Derrière moi, un type beaucoup plus démonstratif balançait de grands coups de pied dans mon fauteuil et tapait des mains de joie comme un enfant en s’esclaffant bruyamment. Il lui arrivait même de répéter tout haut certaines blagues qu’il trouvait encore plus savoureuses que d’autres… Tout ça pour vous dire que personne ne peut résister à cette excellente comédie, très intelligente, qui repose à la fois sur l’humour de situation et sur des dialogues pleins de spiritualité. Et, il le faut le souligner, sur un casting impeccable.

Les trois mecs comme les trois filles jouent leur partition avec une justesse qui ne les rend jamais ridicules. Car il y a beaucoup d’humanité dans cette histoire. Ce sont six personnages en quête d’amour. Et toute la tendresse de Laurent Baffie (tendresse qu’il s’acharne à essayer de dissimuler depuis des décennies) transpire de ces relations un peu bancales. Le sentiment de solitude est atténué par la volonté de faire rire, mais il est présent tout au long de la pièce. Les mecs se la jouent gloriole, les filles y mettent plus de sensibilité, mais la recherche est la même.
Baffie, Fayet, Brouté forment un très crédible trio de copains. Leur amitié est profonde, tangible. Elle leur permet de se faire des crasses inhérentes à leur handicap qui ne nous paraissent jamais déplacées. Ils sont les premiers à en rire. Là aussi réside le talent de l’auteur qui sait amuser avec des infirmités qui, a priori, ne prêtent pas le flanc à la plaisanterie. C’est même vachement sain.
Quant aux filles, elles sont franchement épatantes. Elles sont très différentes, autant physiquement que psychologiquement. Les trois sont touchantes et drôles. On ne peut pas les dissocier car chacune dans son registre et à sa manière va contribuer à nous amener au bouquet final… Il ne faut surtout pas partir avant la fin !
Les décors, signés Stéphanie Jarre, jouent, à leur façon, un rôle dans la pièce. Comme nous changeons plusieurs fois d’appartement et de lieu de rendez-vous, la décoration est très révélatrice de la personnalité de son occupant. Les petits détails abondent et il y a quelques trouvailles, particulièrement savoureuses, qui elles aussi provoquent le rire. Il faut avoir les yeux partout dans cette pièce. Et sur les personnages et sur ce qui les entoure.

Je ne me sens pas le droit d’en déflorer plus sur Les Bonobos. Le plaisir de la découverte est trop agréable. Cette pièce devrait s’installer un moment au Palais-Royal. Elle est appelée à faire un énorme succès et, paradoxalement, grâce au… bouche à oreille. On ne peut rester muet, sourd et aveugle devant une comédie de cette qualité, et la sagesse est de la recommander à tous vos amis.

Bachi-bouzouk veut dire « mauvaise tête » en turc. Ça lui va bien au rebelle du PAF, à celui qui ne veut rentrer dans aucune case et qui, en revanche, les collectionne, les têtes de Turc…°

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Quel bonheur que cette superbe plume qui ne masque rien de son ressenti.