En avril dernier, le Point Virgule a fêté ses 34 ans
d’existence… La petite salle du Marais a servi de rampe de lancements à la
plupart de nos têtes d’affiche de l’humour actuelles : Jean-Christophe
Alévêque, Marie Bigard, Florence Foresti, Elie Kakou, Chantal Ladesou, Jean-Luc
Lemoine, Alex Lutz, Michel Muller, Pierre Palmade, Anne Roumanoff, Jean-Jacques
Vannier…
C’est un creuset, un véritable laboratoire. A un mètre du
public, il s’y produit cette sorte d’alchimie qui peut transformer le plomb de
l’anonymat en l’or du vedettariat. C’est une auberge espagnole où chacun peut
apporter son humour ; un port d’attache à partir duquel le néophyte peut s’élancer
pour voguer, si reconnaissance il y a, sur les vagues du succès. C’est un petit
champ en friches pour comiques en herbe. Sa terre est si fertile que les
bourgeons du talent y éclosent tout naturellement…
Bon, ça va ! Assez de lyrisme gnangnan et de métaphores
approximatives... Le Point Virgule est un lieu unique, incontournable. Les
artistes, comme le public, lui doivent énormément.
Depuis maintenant cinq ans, Le Point Virgule a décidé de se
délocaliser et de présenter dans ces salles prestigieuses que sont L’Olympia et
Bobino « ses coups de cœur de l’année, les humoristes les plus doués de
leur génération ».
Le cru 2012 n’a rien à envier à ses prédécesseurs. Pierre-Emmanuel
Barré, Nicole Ferroni, Fills Monkey, Louis-José Houde, Donel Jack’sman, Bérengère
Krieff, Noémie de Lattre, Oldelaf, Benjamin Verrechia, Walter, sont tous d’un
très, très bon niveau. Décidément, l’humour francophone se porte bien, très
bien. Le public ne s’y trompe pas qui se presse à ce(s) rendez-vous désormais
très courus.
Alors que nous a-t-on concocté cette année ? Comment s’est
déroulé le spectacle ? Analysons-le dans l’ordre d’entrée en scène des
impétrants.
Le rideau s’ouvre sur un « pagnorama » collégial,
musical et dansé fleurant bon l’exotisme. Ils sont là, tous les onze,
témoignant d’un bel esprit de troupe qui ne se démentira plus tout au long de
la soirée. Après ce préambule haut en couleurs, c’est Pierre-Emmanuel Barré qui
se charge d’annoncer le menu avec son ton si particulier, caustique et un
tantinet provocateur. Et nous entrons dans le vif de sujet.
On ne se moque pas du monde car c’est carrément Wonderwoman
qui surgit sur la scène. Enfin, Wonderwoman ! Solange, plutôt… Enfin,
Nicole Ferroni, quoi… Elle, on ne la présente plus. Ses nombreuses et
remarquables prestations chez Ruquier dans On
n’demande qu’à en rire sur la 2, lui ont conféré une belle et légitime
popularité. Elle est drôle, chroniquement drôle ; dans la moindre de ses
mimiques, la moindre de ses postures. Elle n’a pas peur du ridicule, au
contraire elle s’y vautre avec la jubilation d’un moustique dans un camp de
nudistes. Elle allie le cartoon à l’autodérision. Elle est d’un autre monde,
elle vient d’ailleurs. Et elle nous le prouve avec ses deux sketchs, tous deux
fort bien écrits et interprétés avec une folle générosité. Un sacré personnage
la Nicole !
C’est une autre fille qui lui succède, Noémie de Lattre. Elle
s’était déjà permis quelques irruptions intempestives pour nous jouer quelques
virgules pas très au point, volontairement bien sûr. Dans son premier sketch, elle
se glisse dans la peau d’une jeune femme qui accepte un dernier verre à 3
heures du matin. Hélas, elle se retrouve avec un type d’une maniaquerie
maladive qui lui pourrit tous ses espoirs d’un sensuel tête-à-tête. L’incompréhension
s’installe, la tension monte et le désir part en fumée. Enfin, pas vraiment ;
surtout pas en fumée… Dans le second, on retrouve la même jeune femme qui
rentre chez elle complètement bourrée (au moins 7,5 sur l’échelle de riche
bière) et qui prend ses chats pour confidents. C’est un sketch très subtil sur
la solitude, le désert affectif et sur la chasse aux connards… Excellente
comédienne !
Le garçon qui se présente ensuite, Benjamin Verrecchia, je
ne le connaissais absolument pas. Et il fut une superbe découverte. J’ai beaucoup
aimé la finesse de son écriture et son jeu, très physique, fait de nuances et
de ruptures. Il campe un personnage « normal » qui nourrit une totale
aversion pour les gens cultivés. C’est remarquablement observé et analysé,
plein de judicieuses métaphores, et vraiment très drôle… Tout comme l’est aussi
son deuxième sketch dans lequel il traite de sa hantise des maladies et décrit par
le menu une émission très cul-cul extraite du Magazine de la santé de France 5…
Ce garçon a un énorme potentiel.
Retour du présentateur de la soirée, Pierre-Emmanuel Barré,
cette fois pour nous présenter son univers. On n’attend pas de ce beau gosse
élégant des propos aussi trash. Le contraste n’en est que plus convaincant. Il
est délicieusement cynique, se complaît dans le name-dropping féroce (Christophe
Maé, Benjamin Biolay, Johnny…), il adore jongler avec le pire (les attentats, la
Shoah, les génocides). Quand il cesse d’être subversif, c’est pour jouer les sadiques,
allant même jusqu’à élever la pédophilie au rang de joyeux hobby. J’ai adoré !
Je le range dans le même registre grinçant que Gaspard Proust, d’ailleurs
présent dans la salle.
Apparaissent alors les Fills Monkey. Eux, c’est du sans
paroles. Tout est dans le geste et l’onomatopée. Chacun juché derrière sa
batterie, ils se livrent à un vigoureux duel. Ils se narguent, vont dans la
surenchère, se prêtent à des situations très visuelles, comme un jeu à quatre
mains. Ils troquent leurs baguettes pour des nunchakus, des raquettes de tennis
et des battes de base-ball. Ils nous livrent une jolie prestation qui a dû
représenter un sacré nombre d’heures de répétitions. Du beau travail.
Autre très bonne surprise, Oldelaf. J’attendais ce garçon
car j’avais entendu parler de lui sur France Inter. Son registre à lui, c’est
la chanson romantique. A priori romantique. Avec son air de loser débonnaire,
il nous vante les qualités de Bérénice
dans une bluette en apparence pleine de fraîcheur et d’innocence qui, petit à
petit, dérive sur des allusions sournoisement perfides. Son deuxième titre, La Tristitude, est corrosif et drôle à
souhait et, surtout – comme le premier d’ailleurs - remarquablement écrit. Ce
parolier talentueux se double d’un excellent mélodiste et il fait ce qu’il veut
avec sa voix. Dans une discipline difficile et rare, la chanson drôle, il
mérite le plus large public…
C’est un Québécois qui lui succède, Louis-José Houde. Facile,
chaleureux et sympathique, c’est un conteur né. Avec une écriture très imagée
et force détails croustillants, il nous raconte ses vacances gagnées à la
Guadeloupe et un coup de soleil astronomique. Il faut le voir sur la longueur d’un
spectacle pour voir s’il tient la distance.
Et puis s’avance Walter… Là, j’étais en terrain connu. J’ai
vu son spectacle au Point Virgule et j’avais adoré le décalage entre l’image qu’il
donne et ce qu’il dit. Walter, c’est le roi de la pirouette, de la chute qui
vient après ce qu’on a cru être déjà la chute. Il a l’art consommé de toujours
en rajouter une touche. C’est un adepte du double effet « Kiss Cool »,
voire du triple axel. J’aime sa façon d’être, son flegme très british alors qu’il
est Belge. Parfait iconoclaste, il profère les énormités avec une élégance rare.
Il a l’effronterie raffinée. C’est vraiment un tout bon.
Bérengère Krieff, qui succède à Walter, ne fait pas comme
lui dans la retenue. Avec sa bonne bouille expressive, son aisance physique,
cette blondinette dispose d’un potentiel évident. C’est une fille qui parle de
problèmes de filles en se moquant beaucoup d’elle-même. De sa gourmandise et de
sa passion irréfrénable pour le chocolat en particulier. Au point de lui consacrer
un sermon… Toutefois, par rapport à ses camarades de promotion, elle apparaît
un peu plus légère au niveau du texte. C’est gentillet, mais ce n’est pas
suffisant. Elle a tous les atouts pour réussir, il lui reste à muscler son jeu.
C’est Donel Jack’sman qui boucle la boucle. Pourtant ce ne
doit pas être facile de la lui faire boucler. Quel tchatcheur ! Lui aussi
est un habitué de On n’ demande qu’à en
rire. On sait qu’il est bon ; il excelle dans le stand-up. Eminemment sympathique,
il dit les choses avec un grand sourire, mais il les dit. Et il n’est pas
vraiment tiède. Témoin de son temps, il possède beaucoup de recul et un sens
aigu de l’analyse. Il n’a pas peur de balayer large, passant de la politique au
film X avec la même justesse de vue, la même pertinence.
Et avant que le célèbre rideau rouge de l’Olympia ne se
ferme sur cette très agréable soirée, toute la troupe est de nouveau réunie
pour se livrer à une chorégraphie trépidante et bien orchestrée avec effets
spéciaux à la clé.
Le temps d’une soirée, le Point Virgule s’est métamorphosé
en point d’exclamation…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire