Théâtre Montparnasse
31, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 22 77 74
Métro : Gaîté / Edgar Quinet
Une pièce de Jean Anouilh
Mise en scène par Christophe Lidon
Décor de Catherine Bluwal
Costumes de Pascale Bordet
Lumières de Marie-Hélène Pinon
Avec Sara Giraudeau (Jeanne), Olivier Claverie (Le
Promoteur), Stéphane Cottin (Warwick), Marie-Hélène Danède (La mère de Jeanne,
la Reine Yolande), Joël Demarty (Beaudricourt, Le Connétable), François Dunoyer
(le père de Jeanne, l’Inquisiteur), Jacques Fontanel (Boudousse), Maëlia Gentil
(Agnès), Bernard Malaka (Cauchon), Davys Sardou (Charles)
L’histoire : Jeanne d’Arc… Un mythe. Une jeune fille
innocente et pleine de bon sens, diablement forte et courageuse… La petite
bergère, seule, face à la justice des hommes, va revivre son épopée devant les
juges. Avec son esprit aiguisé et son sens de l’humour, Jean Anouilh dresse,
loin des représentations habituelles de Jeanne, le portrait d’une femme
passionnée et éternellement moderne, devenue immortelle en incarnant la
liberté, l’intelligence, la sagesse du peuple, l’indépendance face à la sottise
bornée des puissants et des institutions établies dans leurs certitudes.
Mon avis : Quel bonheur que cette histoire de Jeanne d’Arc
revisitée par l’œil, l’esprit et la plume aiguisés de Jean Anouilh ! C’est,
à mon avis, une vision qui pourrait être la plus proche de la réalité tant les
comédiens sont crédibles.
Cette pièce mérite d’être vue pour trois raisons
essentielles.
D’abord, il y a l’écriture de Jean Anouilh. Très moderne,
elle allie le lyrisme à l’impertinence, l’émotion et l’ironie, le réalisme à l’irrationnel,
la tragédie au burlesque. Et puis il y a l’aspect satirique. Les institutions,
qu’elles soient politiques ou religieuses, sont très habilement brocardées. Les
dialogues sont ciselés, sans fioritures ; les répliques sont cinglantes,
sournoises, faussement ou franchement candides. Après Colombe (dans laquelle
jouait déjà Sara Giraudeau), L’Alouette ne fait que confirmer l’immense talent
de dramaturge de Jean Anouilh.
Ensuite, il y a la mise en scène et le jeu des comédiens. Là
aussi, on va à l’essentiel. Le décor est on ne peut plus succinct. Hormis cette
immense rosace qui envahit l’espace en fond de scène, il n’y a ça et là que
quelques sièges. Ce sont les changements de lumières et les projections qui
vont apporter le facteur temps ou émotionnel de l’instant. On voit même une escadrille
d’oiseaux traverser le ciel vosgien de Domrémy… La mise en scène est nerveuse,
variée, parfois académique, parfois fantaisiste. Ce qui fait qu’on ne s’ennuie
jamais… Et puis les costumes sont bien jolis… Enfin, il y a la qualité de jeu
de tous les acteurs de ce drame. Ils sont tellement complices qu’on dirait
avoir affaire à une troupe. En plus, certains d’entre eux sont amenés à tenir
plusieurs rôles. Il leur suffit d’adopter une gestuelle particulière et de
prendre un accent (par exemple, paysan pour les parents de Jeanne, ou rouler
les « r » pour le Connétable) et l’affaire est jouée ; et bien
jouée… Ils sont dix et ils sont tous, chacun dans son ou ses registres,
formidables. Toute la pièce – je l’ai formulé précédemment – est d’un très haut
niveau sur le plan de la dramaturgie. Malgré tout, il y a deux scènes qui, à
mon goût, se détachent du lot et proposent un grand moment de comédie, l’une
par son intensité, l’autre par son humour. La première, particulièrement haute
en couleurs, est la confrontation entre Jeanne et Robert de Baudricourt. La
seconde est le tête-à-tête primesautier entre la jeune Lorraine et son roi, le
futur Charles VII ; on y frise le vaudeville. Ces deux scènes constituent
une véritable gourmandise pour les amateurs de théâtre... Mais il y a également un chanoine pervers, un père frustre, un Anglais plein de morgue, une fiancée très chatte et très arriviste, une mère touchante de tendresse (quoi que...), une reine intrigante, un Cauchon pas tout à fait haïssable, un Inquisiteur rigide et bouffi de certitudes, un Boudousse savoureux... Bons, ils sont absolument tous bons.
La troisième raison de courir voir cette pièce – et non la
moindre – est la prestation carrément magistrale de Sara Giraudeau. N’ayons pas
peur des mots, on touche au divin. Complètement habitée, elle EST Jeanne. Quelle
palette de jeu, quelle sensibilité et quel sens de l’humour ! De sa petite
voix flûtée, elle raconte son épopée avec des accents teintés de candeur ou de
bon sens. Lorsqu’elle évoque ses conversations avec l’Archange Saint Michel,
elle restitue le dialogue en jouant sur deux tessitures, ce qui apporte de la
force à l’échange. Jeanne est une parfaite ingénue. Guidée par sa foi, elle a
le pardon facile. Son père la roue de coups ? Sous l’avalanche, elle prie
pour lui. Tout au long de la pièce, elle s’en tiendra à cette confiance aveugle
qu’elle porte au Très-Haut, à ses saints et à ses saintes. Si, par moments, le
doute vient l’effleurer, elle le chasse d’un revers de credo. Même s’Il semble
la laisser tomber, Dieu – omniprésent pendant une heure trois-quarts – a toujours
raison et elle accepte humblement son sort… Pourtant, il arrive que la petite
paysanne se dédouble soudain lorsqu’elle se trouve confrontée à un problème qui
peut l’aider à accomplir l’entreprise qui lui a été confiée. Soudain, c’est la
Missionnée qui prend le dessus. Cette attitude est flagrante quand elle doit
convaincre ce soudard de Baudricourt. Elle apparaît alors matoise et rouée.
Elle a une de ces façons de se le mettre dans sa poche ! Il ne voit rien
venir. Elle le roule dans la farine, obtient tout ce qu’elle veut de lui sans
rien lui offrir en échange et, le pire, c’est qu’il croit que c’est lui qui a
tout manigancé. Au niveau de la persuasion insidieuse, c’est du grand art. Si
cette scène est vraiment délicieuse, elle le doit aussi à la remarquable
réplique que donne Joël Demarty à Sara Giraudeau…
Autre morceau de bravoure, la rencontre à Chinon avec
Charles. Et là, il faut saluer le brio de Davy Sardou. De pièce en pièce, ce
jeune homme ne cesse de révéler un immense talent et ce, dans tous les
domaines. Ici, il excelle dans la drôlerie. Il campe un futur monarque puéril,
futile, craintif et irresponsable, plus porté sur la gaudriole et le bilboquet
que sur les affaires de son royaume. Il est irrésistible. Sa confrontation avec
Jeanne, l’opposition des styles, est un véritable bonbon que l'on savoure en souriant.
Pendant près de deux heures, Sara Giraudeau est tout
bonnement éblouissante. Elle a tout reçu au niveau des gènes et elle en fait le
meilleur usage possible. Aujourd’hui, elle est devenue une incontournable de la
scène française. C’est la quatrième fois que je la vois au théâtre, la
quatrième fois que je suis bluffé et emballé. Elle sait absolument tout faire
sans jamais donner l’impression de jouer tant elle s’approprie ses personnages.
Si, bien sûr, Sara Giraudeau tient la pièce sur ses
charmantes épaules, ses neuf partenaires sont largement à la hauteur pour nous
offrir un grand et beau moment de théâtre. En tout cas, Jean Anouilh aurait été
sacrément fier de cette Alouette-là…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire