En tournée
Guy Bedos a baissé le rideau au théâtre du Rond-Point le 20
mai. Mais il va reprendre sa tournée à travers la France… Cet homme a tant fait
pour l’humour hexagonal qu’on ne peut que courir le voir dans ce qu’il annonce
comme son dernier spectacle. Il est physiquement tellement en forme qu’on en
vient à estimer qu’il est encore un peu tôt pour faire ses adieux. Enfin, on
verra bien, la suite lui appartient, lui qui ne veut surtout pas « faire
le match de trop ».
J’ai retrouvé un Guy Bedos tel qu’en lui-même, sans surprise ;
mais avec, toutefois, quelques petits moments où il laisse percer sa tendresse.
Parce que c’est un grand tendre le Guy. Il s’efforce d’essayer de le cacher
depuis un demi-siècle, mais personne n’est dupe. Il suffit entre autre de lire
ses livres ou de l’écouter parler de son épouse et de ses enfants... Donc, pour
ce qu’il prétend être son dernier tour de piste, il se dévoile un peu. Mais pas
trop, rassurez-vous. Cet homme très élégant aux cheveux blancs, qui arpente la
scène (c’est la fameuse cadence de saint-Guy), est toujours aussi bougon,
sarcastique, énervé, vindicatif, indigné, engagé voire enragé.
Maintenant, je me dois d’être sincère et objectif. Si vous ne
l’avez jamais vu sur scène, n’hésitez pas, précipitez vous. Dans le genre
stand-up (un mot qu’il ne doit guère aimer) il n’a rien à apprendre de qui que
ce soit, il maîtrise son sujet sur le bout des griffes. En revanche si vous l’avez
vu, comme c’est mon cas, dans la plupart de ses spectacles, vous risquez de
rester sur votre faim car le plat qu’il nous sert sent un peu le réchauffé. Je
mesure bien mes mots, Bedos c’est Bedos, c’est toujours du haut niveau. Ça l’est
encore cette fois, mais on a une impression de déjà vu et de déjà entendu.
Pour paraphraser Jacques Audiard, je qualifierai ce
spectacle « de rouille et de (Be)dos ». Quasiment tous les thèmes qu’il
aborde ont déjà été traités dans les spectacles précédents, que ce soit ses
relations avec sa mère, les circonvolutions d’une famille complexe (d’Œdipe),
la psychanalyse. Même sa revue de presse, le moment sans doute le plus attendu,
exhalait une certaine tiédeur, emberlificoté qu’il était avec l’élection de
François Hollande. C’était plus fort que lui, il fallait qu’il en revienne à
Sarkozy. Humainement, ça se comprend. Sarko, c’était du nanan pour les
humoristes. La revue de presse tient donc plus du carnet de notes de fin d’études,
du bilan, que de l’analyse ou de la prospective de la nouvelle politique qui
nous attend. L’exercice est délicat, je l’admets. Bedos joue les Grouchy qui
arrivent après la bataille. La défaite de Sarko, c’est Waterloo morne peine
quand l’avènement de François II, c’est le soleil d’Austerlitz… Ses fameuses fiches
à la main, il passe en revue du talc au talc quelques membres du nouveau
gouvernement, mais irrépressiblement, il en revient toujours au battu du 6 mai.
C’est son chewing-gum du capitaine Haddock ; difficile de s’en débarrasser
(« au moins, le nain, il me fournissait du matos… »)
S’il lui arrive de tomber parfois dans la facilité, il y a
toujours par ci par là ses savoureuses fulgurances, son sens aigu de la formule
et son goût pour les aphorismes. Est-il besoin de nous resservir l’excellent
sketch des « Toutes des salopes » ? Surtout que ce tube, il nous
le récite en sur-multipliée, ce qui en enlève un tantinet le sel. Où il excelle,
par contre, c’est lorsqu’il joue au misanthrope xénophobe. Un grand numéro
distillé avec un improbable accent du Midi qui donne à réfléchir sur l’adage
sartrien « L’enfer, c’est les autres »…
En tout cas, il est patent qu’il a beaucoup de plaisir à
être là ; même s’il lui arrive d’user et d’abuser de l’auto congratulation
(« Je ne m’ennuie pas avec moi ! »). En revanche, de mémoire, je
crois que c’est la première fois qu’il prend le temps, au tout début du
spectacle, de remercier le public, « son » public qui lui a permis d’être
toujours là après cinquante de bons et loyaux sévices.
Voilà ce que j’ai à dire de Rideau !. Si le fond est,
cette fois, conventionnel, du moins pour qui le connaît bien, la forme reste
toujours un régal avec son art consommé de la scène et son immuable air de grand
enfant qui s’amuse. Adulte dans ses engagements, mais enfant dans ses
amusements…
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