Collection : Noir Pacifique
373 pages. 19 €
Ma première rencontre avec
Patrice Guirao remonte au début des années 90. Elle s’est faite par chanteur
interposé car ce que j’ai d’abord reçu de lui, ce sont ses mots, les mots qu’il
a posés sur les musiques d’un certain Art Mengo. Ponctuellement, je le
retrouvais auteur de textes pour Pascal Obispo, Florent Pagny, Johnny Hallyday,
Jenifer, Daniel Lavoie, Natasha St Pier… Et puis, j’ai été enfin amené à
l’interviewer. C’était en 2005, c’était pour les chansons de la comédie
musicale Le Roi Soleil qu’il avait
cosignées avec son « frère de chant », Lionel Florence. Leur binôme était
né cinq ans auparavant pour les besoins des Dix
commandements… J’ai eu un nouvel entretien avec lui en 2013, cette fois
pour le spectacle musical Robin des Bois.
A chaque fois, nos conversations eurent lieu par téléphone car ce bougre
d’homme a cette particularité de vivre à Tahiti.
Ce n’est que cette année que j’ai
pu enfin le rencontrer en chair et en os. C’était pour parler des chansons qui
vont scander la nouvelle comédie musicale Les
3 Mousquetaires qui verra le jour à compter du 29 septembre au Palais des
Sports. Sur le plan humain, ce fut un joli moment d’échange. Nous avons bien
sûr un peu parlé chansons, mais nous avons surtout fait connaissance. Et j’ai
appris qu’il ne se contentait pas d’être parolier, qu’il était également auteur
de polars.
Le mot magique était tombé, entre
nous deux, près de nos deux tasses de café au beau milieu de la table. Des
« polars » ! Moi qui suis un grand amateur du genre – je ne lis
que ça dans le métro – j’ai été immédiatement intéressé. Deux jours plus tard,
je recevais par la poste Crois-le !,
le premier volume d’une trilogie sur les enquêtes d’un jeune détective privé
nommé Al Dorsey.
J’ai pris énormément de plaisir à
la lecture de cet ouvrage. Il comprend tous les codes du genre tout en ayant
ses propres spécificités et son originalité. J’ai d’abord été séduit par le
style. C’est fluide, naturel, jamais ampoulé ou gratuitement littéraire. Romancier
mâtiné de chroniqueur, Patrice Guirao utilise sa plume comme un peintre son
pinceau. Son écriture est très descriptive, tant pour les personnages que pour
les paysages. Et il a l’habileté de saupoudrer les dialogues de certains de ses
personnages (sa mère, Toti…) d’idiomes et de mots en dialecte écrits d’une
telle façon qu’on les entend parler.
Il a surtout réussi à créer un
héros. Son détective, Al Dorsey, n’est ni un super héros, ni un anti-héros. C’est
un jeune mec tout ce qu’il y a de normal. D’abord, Al Dorsey n’est pas son vrai
nom, c’est son pseudo, son nom de scène. En réalité, son patronyme est Edouard
Tudieu de la Valière ! Né d’un père aristocrate et d’une maman tahitienne,
il a pensé plus simple d’adopter un nom d’emprunt pour exercer son métier de
privé. Mais il a toujours en lui une certaine noblesse de cœur et d’éducation.
Al n’est visiblement pas encore
sorti de l’enfance. Il est plutôt immature, dilettante, fort et fragile à la
fois, et si le cordon ombilical qui le relie à sa mère s’est légèrement
distendu, il est loin, très loin d’être coupé. Notre privé prend les affaires
qu’on lui confie comme elles viennent. C’est lui qui s’adapte à elles. Il subit
les événements puis, lorsque les difficultés se présentent, il essaie de les
gérer, voire de les affronter. Il y a en lui une forme de candeur et de
fatalisme, propre sans doute aux habitants des îles. On a un peu tendance à se
laisser porter là où le vent nous pousse. Ce grand ado – il ne se plaît qu’en
short – est viscéralement bienveillant. Il aime les gens, il affecte même une
certaine indulgence vis-à-vis de ceux qui transgressent allègrement les lois.
Si le lieutenant Columbo possède une antique Peugeot 403, Al, lui, roule dans
une vieille 4L. C’est le seul point commun qu’il partage avec la flopée de
détectives plus ou moins privés qui jalonnent la littérature policière depuis
la naissance du genre. Il n’a pas un grand pouvoir de déduction, il n’aime pas
la bagarre, il n’a aucune arrogance (au contraire, il doute souvent), il ne se
considère donc pas comme un surhomme. Raisons pour lesquelles il est si
attachant, si proche de nous.
Toti |
Dans Crois-le !, nous sommes en permanence dans la tête d’Al
Dorsey. C’est là où le style de Patrice Guirao prend toute sa saveur. Certes, l’enquête
reste présente tout au long du récit un peu comme un fil rouge, mais il se
passe tout le temps des petits événements annexes, des incidents collatéraux,
qui amènent naturellement des digressions. Et elles sont savoureuses, ces
digressions. Elles nous permettent de mieux pénétrer la mentalité des
Polynésiens, de découvrir un monde cosmopolite, des paysages particuliers,
bref, une autre façon de vivre…
L’autre point fort du petit
théâtre guiréen, c’est la galerie de personnages qu’il a brossée. Autour d’Al
gravitent des êtres particulièrement hauts en couleurs. Il y a sa maman, « Mamie
Gyani », une figure importante de Tahiti qui possède une sorte de pouvoir
occulte, et qui, au fil du temps, s’est tissé un réseau inoxydable d’une grande
utilité... Il y a son ami d’enfance, Sandona Philibert, dit Sando, devenu
inspecteur de police par défaut, qui a sous ses ordres une bande de rantanplans
joviaux et naturellement inefficaces... Il y a Paul-Arman Lying, dit Toti, le
pittoresque clodo millionnaire… Et puis, surtout, il y a sa fiancée, Lyao-Ly,
un superbe mannequin… manchot (un requin a fait son quatre-heures de son bras
lorsqu’elle était enfant). On la voit peu dans le livre, mais elle est
omniprésente. Et enfin, personnage singulier mais qui occupe une place
prépondérante, Baldwin, le chien de Lyao-Ly.
L’ambiance du livre (des livres
devrais-je dire car il va s’agir d’une trilogie), son exotisme,, son humour permanent, ses personnages colorés,
insolites, truculents, marginaux et, pour la plupart, si sympathiques, apportent
aux aventures d’Al Dorsey un réel intérêt. France Télévision ne s’y est pas
trompée qui a décidé d’en faire une adaptation en six épisodes de 52 minutes.
Le tournage a commencé en juin à Tahiti et Moorea pour une diffusion début
2017.
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