lundi 5 juin 2017

Le jardin d'Alphonse

Théâtre Michel
38, rue des Mathurins
75008 Paris
Tel : 01 42 65 35 02
Métro : Madeleine / Havre Caumartin / Auber

Une comédie de Didier Caron
Mise en scène par Didier Caron
Décor de Sébastien Barbaud
Costumes de Christine Chauvey
Lumières de Sébastien Lanoue
Avec Didier Caron (Daniel), Julia Dorval (Nadège), Michel Feder (Jean-Claude), Romain Fleury (Fabien), Sandrine Le Berre (Magali), Christiane Ludot (Michelle), Karina Marimon (Suzanne), Arnaud Pfeiffer (Serge), Véronique Viel (Zoé)

Présentation : Les Lemarchand se retrouvent pour un déjeuner dans le jardin de la maison d’Alphonse qui vient de décéder. C’est le moment de retrouvailles avec les amis proches, avec d’autres membres de la famille. Jean-Claude, le père, annonce qu’il va léguer la maison à ses trois enfants. Mais sa fille, Magali, n’en veut pas. Pourquoi ? C’est le moment qu’elle choisit pour l’interroger sur une question qui lui taraude l’esprit depuis des années. Malheureusement, la réponse est tout sauf celle attendue. Cette révélation va donner des ailes au reste de la famille et les petits secrets comme les plus grands vont éclater sous le pin parasol du jardin d’Alphonse…

Mon avis : Le jardin d’Alphonse n’a rien à voir avec le jardin d’Eden où Adam et Eve folâtraient, batifolaient et glandaient en toute insouciance. Mais tout cela, c’était avant le coup de la pomme, le pêché et la disgrâce... Ici, les Adam et les Eve sont confrontés aux dures réalités de la vie. Cette pièce, formidablement réussie, est banalement et terriblement humaine. Elle ne cesse de nous mettre face à nous-mêmes.
Au début, tout est réuni pour que cette réception post-obsèques soit des plus agréables : décor bucolique, pelouse parfaitement tondue, on sent l’océan tout proche ; nous sommes en Bretagne. Or, il n’aurait pas fallu que ce soit un pin parasol qui trône côté « jardin » (évidemment), mais plutôt un pépin parasol. En effet, en dépit du temps ensoleillé, les nuages et les embruns vont petit à petit s’accumuler et tout le monde va être mouillé. Alors que tout semble paisible, c’est Magali qui va ouvrir les hostilités et attaquer son père frontalement pour qu’il éclaircisse une bonne fois pour toutes une zone d’ombre se rapportant à la seconde guerre. Son entêtement et son agressivité vont faire boule de neige et ce sont tous les protagonistes de ce déjeuner qui vont soudain éprouver le besoin de régler leurs comptes.


Cette pièce est remarquable en ce sens où les neuf personnages sont affectés du même traitement par l’auteur. Chacun a la même importance. Chacun a son histoire, chacun a son tempérament, chacun a sa philosophie de vie ? Ce qui est bluffant, c’est que Didier Caron a réussi le tour de force de peindre de vrais caractères. Comme dans la réalité, rien n’est tout noir, rien n’est tout blanc. Beaucoup de gris, pour peu de rose.

Au début, chacun montre un trait général de sa personnalité. Magali a son franc-parler, elle est pugnace ; Zoé est complètement allumée ; Serge est cash, vindicatif et acariâtre ; Jean-Claude est conciliant ; Michelle est aimable et bienveillante ; Nadège est une bimbo capricieuse et manipulatrice ; Daniel est silencieux ; Fabien est ambitieux, il ne pense qu’à ses affaires ; et Suzanne est une pipelette intarissable, gaffeuse et haute en couleurs… Mais au fur et à mesure que l’intrigue avance, on s’aperçoit que chacun cache quelque chose de plus secret, de plus intime. Chacun porte en lui une blessure.
On découvre alors que Magali est très vulnérable, que Zoé a plus de profondeur que l’on croyait, que Serge est un estropié du cœur, que Michelle n’est pas tout à fait satisfaite de sa vie, que Nadège est en réalité très fûtée et en souffrance aussi, que Daniel subit une lourde épreuve, que Fabien n’est la success boy qu’il se complaît à camper, alors que Suzanne reste une pipelette intarissable, gaffeuse et haute en couleurs, mais…


On s’intéresse et l’on s’attache à chaque personnage. On a tous en nous quelque chose de l’un(e) d’entre eux, voire de plusieurs. Les Lemarchand et leurs amis forment une famille comme tant d’autres.
La construction de la pièce a ceci de très habile qu’en fonction des absences de l’un ou de l’autre, l’auteur a réussi à dégager des moments de tête-à-tête entre les personnes que nous, spectateurs, nous avons envie de voir confrontés. Les dialogues sont incisifs, mordants, parfois cruels. Les moments de tension alternent avec des séquences pleines d’humour. On est dans la vie.
Dans le testament d’Alphonse, il est bien sûr question d’héritage et de succession. Mais le brave défunt n’aurait pas pu imaginer que chacun allait hériter de vérités qui ne sont pas toujours bonnes à entendre et être le témoin d’une succession de règlements de comptes.


Tous les comédiens sont épatants. Comme ils sont traités à égalité par l’auteur, personne ne tire la couverture à soi. Impossible. Malgré tout, on ne peut occulter le rôle prépondérant que tient Suzanne. Elle est l’élément cent pour cent comique de la pièce. La prestation de Karina Marimon est inénarrable. Elle fait l’unanimité. Tout le monde parle de sa performance. Didier Caron lui a concocté un rôle sur mesure, celui de la soupape. Elle y est magistrale… Mais jamais au détriment de ses partenaires car ils ont tous leur importance et tiennent leur personnage avec une totale crédibilité et une profonde vérité.

Lorsque le portail se referme sur le jardin d’Alphonse, ce sont neuf jardins secrets qui ont été mis au jour. Pour notre plus grand plaisir…

Gilbert « Critikator » Jouin







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