vendredi 5 octobre 2007

Sa majesté Minor


Un film de Jean-Jacques Annaud
Scénario original et dialogues de Gérard Brach
Avec : José Garcia (Minor), Vincent Cassel (Satyre), Mélanie Bernier (Clytia), Sergio Paris-Mencheta (Karkos), Claude Brasseur (Firos le Teinturier), Rufus (Rectus le Prêtre), Jean-Luc Bideau (Archéo le Patriarche), Taïra (Zima la Bouchère), Marc Andréoni (Zo le Boucher), Bernard Haller (Cataractos le Devin)...
Genre : Comédie
Sortie : 10 octobre 2007

Ma note : 7/10

L'histoire : Quelque part dans une île perdue en mer Egée, aux temps très lointains d'avant Homère... Minor, un orphelin muet qui a été élevé par des cochons, file des jours tranquilles dans la douce et fétide tiédeur de la porcherie en compagnie de sa rose maîtresse, la truie Mauricette. Au cours d'une escapade en forêt mythologique, il rencontre un personnage extraordinaire, le dieu Pan, alias Satyre, qui l'initie à sa manière de bouc aux imprévus du paganisme.
Minor est fasciné par la belle Clytia, la fille du patriarche, promise au poète Karkos. Un jour qu'il s'est perché sur une branche d'olivier pour l'épier, il fait une mauvaise chute et tombe dans un coma profond. Quand, par bonheur, il en sort, il découvre avec ravissement qu'il est doté de la parole. Les villageois sont tellement éberlués que, sur les conseils du devin Cataractos, ils en font leur nouveau roi. Alors, les ennuis commencent...

Mon avis : Attention, ce film est un OVNI. D'ailleurs, juste avant sa projection, Jean-Jacques Annaud en personne est venu nous en avertir, se proposant même de fournir à qui le désirerait toutes les explications nécessaires à la compréhension de son forfait.
Sa Majesté Minor ne peut laisser indifférent. Soit on va détester ce film (il ne sera pas compliqué d'en égrener les motifs), soit on va l'adorer car pour ce qui est de l'audace et de l'originalité, on peut lui lever sa coupe d'hydromel.
Personnellement, je me suis régalé.
Bon, d'accord, on lui objectera qu'il comporte certainement quinze à vingt minutes de trop. Mais, à cette époque, il n'y avait pas de montres et le temps ne comptait
pas. Et puis il nous propose une fin qui nous laisse sur la nôtre, de faim... Donc, mis à part quelques longueurs et cet épilogue complaisant, ce film est un réel bonheur. Pour tenter de le classer, imaginez un shaker dans lequel on aurait mis un quart de Fellini, un quart de Pasolini, un quart de Mel Brooks et un quart des Monthy Python. Secouez avec ardeur (ça pour être secoué, il est secoué !) et vous obtenez ce nectar aux couleurs chatoyantes et très très fortement alcoolisé.
Pour être concret, Sa Majesté Minor est un film truculent, cru, couillu, paillard, déjanté, iconoclaste, trivial, rabelaisien, absurde avec ça et là quelques fulgurances d'une poésie complètement attendrissante (un papillon qui volète pour symboliser l'extase amoureuse ; des fleurs qui s'ouvrent pour symboliser une défloration apparemment très réussie...) et d'une éblouissante esthétique. Jean-Jacques Annaud s'y révèle être un magicien-manipulateur hors pair. La jubilation qu'il a eue à tourner ce film est palpable. Ses images en sont imprégnées ; elles nous éclaboussent d'un bonheur potache, si gentiment irrévérencieux. Et cette jubilation, elle est entièrement reprise et partagée par les comédiens.
Parlons-en des comédiens.
Personne d'autre que José Garcia n'aurait pu relever le défi insensé d'interpréter Minor. Lui seul possède cette folie douce qui l'amène à être crédible dans n'importe quelle situation. Tout autre aurait été ridicule, voire vulgaire. Lui, il apporte une grâce puérile à la posture la plus scabreuse. C'est un gamin que les mots pipi et caca font rire, un gamin à qui l'on pardonne tout. Mais il possède en plus cette dimension d'âme qui, quand cela est nécessaire, sait faire passer l'émotion. Demi-dieu de l'écran délicieusement païen, il atteint ici son Olympe. On subodorait qu'il pouvait tout jouer. Et bien la preuve est donnée qu'il peut tout jouer, et même plus !
Vincent Cassel, en dieu Pan perché sur ses pattes de bouc, est particulièrement jouissif. A voir l'éclat diabolique de ses prunelles, on sent qu'il prend un plaisir énorme à camper ce Satyre sans états d'âme qui ne pense qu'à faite leur fête aux nymphettes ; aux nymphettes, entre autres... A ce propos, les scènes où ces charmantes jeunes femmes apparaissent font furieusement penser aux photos de David Hamilton.
Et puis il y a Mélanie Bernier !!!! Avec son corps de désse et sa voix érotiquement rauque, elle dégage une telle sensualité qu'il lui suffit d'apparaître pour réveiller en quelques secondes le cochon qui sommeille en tout mâle. Alors, comment imaginer qu'un individu qui a été élevé par des cochons ne puisse lui faire part de son émotion autrement qu'en s'astiquant ardemment la saucisse devant elle ? C'est ce qui s'appelle avoir un porc de reine ! Non, trève de balivernes, depuis la découverte de Cécile de France dans L'art (délicat) de la séduction, il y a longtemps qu'une comédienne ne m'avait autant agacé la libido. Elle est tout simplement superbe.
Sergio Peris-Mencheta livre, avec son personnage de Karkos, une composition réellement bluffante. Avec son physique de lutteur grec, il réussit à dégager une sensibilité pleine de douceur et de poésie. Quel noble et brave garçon. "Brave" dans le sens noble du terme. Il faut posséder un sacré sens de l'autodérision pour accepter un rôle qui est en permanence sur le fil du ridicule et qui, pourtant, ne cesse de nous émouvoir.
Il faut saluer aussi la présence d'une brochette de comédiens (Bideau, Brasseur, Haller, Rufus) qui jouent le jeu à fond, au mépris total de leur image. Ils en font des tonnes, ils s'amusent, ils créent, ils donnent. Ils sont tout bonnement inénarrables.

Que dire d'autre sur ce film qui sera forcément culte un jour ?
Les décors sont aussi beaux qu'étonnants. La musique est une réussite totale. Elle est originale, légère, espiègle (ah cette flûte guillerette !). elle fait totalement corps avec l'histoire, l'époque et le paysage. Les dialogues ont la désinvolture de l'anachromisme assumé, passant sans transition de l'éloquence lyrique ou emphatique aux saillies les plus grivoises proférées avec un naturel confondant. Le film est également truffé de références mythologiques, que l'on retrouve saupoudrées ici et là à bon escient (le rocher de Sisyphe, la relation oedipienne entre Minor et Mauricette...)
Et puis il y a le thème.
Sa Majesté Minor est une fable en forme de farce. Mais c'est aussi une parabole qui se permet de faire passer une vraie réflexion sur le pouvoir. Le pouvoir du pouvoir et le pouvoir du sexe (il manque celui de l'argent, mais à cette époque bénie des dieux, il n'existait pas encore). Ce qui me permettra de conclure en affirmant que ce film est tout simplement humain. Pathétiquement humain, burlesquement humain, prodigieusement humain.

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