Après demain
C’est un vrai bonheur que de retrouver ce bon vieux Bill
Deraime, artiste rare et authentique comme on croise peu. Son trop de discrétion
m’a toujours quelque peu irrité. On a besoin de mecs comme lui ; de sa
musique et de ses mots. Et de sa voix ! Il y a belle lurette (33 ans) qu’il
a décrété que ce n’était Plus la peine de
frimer et de perdre son âme dans les arcanes superficielles du showbiz pour
s’intéresser au monde qui l’entourait et, plus particulièrement, venir en aide
aux plus déshérités, aux plus paumés, aux plus fragiles, bref, aux exclus. Bill
est un Croisé. Sa bannière est sa guitare, son arme est sa foi, mais il n’a pas
d’armure.
Plus de trente ans après ses débuts, Mister Blues Bouge encore. Il était déjà « indigné » bien
avant que ça devienne une mode. Bill est un frémissant. Il a la révolte douce mais
déterminée. Et, surtout, il est légitime. Il sait de quoi il parle car, toute
sa vie, il s’est mêlé et confronté à la misère humaine. Marginal lui-même, il a
offert son cœur et ses bras à ses compagnons de galère. Après avoir connu l’enfer,
après avoir touché le fond, il a su se relever et il est devenu, à l’instar du petit
joueur de flûte de Hamelin, une sorte de berger qui entraîne derrière lui une
troupe de fidèles, non pas pour les guider vers la mort, mais vers l’Espoir.
Une seule musique pouvait convenir à cet écorché vif empli
de compassion et enclin à la miséricorde, le Blues. Ils étaient faits l’un pour
l’autre. Pourquoi le Très Haut lui aurait-il fait cadeau de cette magnifique
voix éraillée sinon pour le chanter ? Les pères spirituels dont il se
revendique sont Ray Charles et Bob Marley. Raison pour laquelle son œuvre toute
entière balance aux rythmes du blues et du reggae. C’est selon son humeur,
selon le message qu’il a envie de faire passer.
Après demain, qui
sort le 26 mars, est son quinzième album.
1/ Il braille
Premier
titre de l’album, Il braille fait la
passerelle avec l’opus précédent qui s’appelait justement Brailleur de fond. Pour lui, « brailler », c’est
fondamental, c’est vital. C’est le cri « primal », celui qui, par
définition, « permettrait d’extérioriser la douleur psychique ressentie ».
Brailler, c’est une façon de manifester sa révolte contre tous les
dysfonctionnements de la société et les injustices de la vie. Bill a le cri
salvateur, le cri qui libère, le cri dont la puissance fait se fendiller le mur
de l’indifférence. Et s’il emploie la troisième personne, on sent bien qu’il fait
lui-même partie intégrante de la réjouissante cohorte des brailleurs.
2/ La Pieuvre
Celle-là,
je l’adore. C’est du beau, du bon blues. Tout y est. Le ciel est gris, « plombé »,
c’est une de ces journées qui ne donnent pas envie de se lever et de se battre.
Même si, sans doute, « demain ça ira mieux », là il y a un gros coup
de mou. « Quand l’âme est trop laminée », autant rester sous la
couette. Cette complainte suinte la solitude, la désespérance, le renoncement.
C’est le climat du blues, quoi !
3/ Mon obsession
Reggae
fringant pour rendre hommage à un bel amour. Mais il n’est pas fleur bleue le
Bill. Il est sous dépendance. L’amour peut être aussi exaltant qu’il peut faire
souffrir. Quand on sait qu’il est là, que c’est celui-là le bon, il faut le
prendre comme il est et essayer d’en profiter au maximum. Pas de béatitude, pas
de mièvrerie, que du réalisme.
4/ Rien d’ nouveau
Originalité
de cet album : la présence de l’orgue magistral de Jean Roussel sur
certains titres. Ça, c’est nouveau, contrairement à ce qu’annonce le titre de
ce reggae rageur et nerveux qui est un sombre état des lieux. Leitmotiv lancinant,
rien ne change, rien ne bouge. Que c’est dur d’avancer quand on est en
permanence freiné par des « briseurs de rêves »…
5/ Je rêve
L’orgue
encore pour ce reggae doux et paisible. Le rêve en antidote. Quel bonheur que de
sentir qu’on a trouvé une ouverture dans sa prison morale, une éclaircie dans
le ciel plombé de La Pieuvre. Le « besoin
d’aimer » est plus impérieux. Le réconfort est dans « la fraternité ».
Le refuge, voire le salut, sont dans le rêve.
6/ Esclaves ou exclus
Le
thème de cette chanson est un des chevaux de bataille de Bill. Il a toujours « braillé »
contre le Système, dénoncé sa violence et son injustice. La guitare se fait
plaintive. Il s’insurge conte le néo-libéralisme, le roi Dollar, contre tous
ces abus de pouvoir qui génèrent la misère et provoquent une émigration
désespérée. Le constat est terrible, dramatique. Mais derrière l’accusation, on
ressent presque un aveu d’impuissance…
7/ Y’en avait marre
Une
rythmique guillerette et sautillante qui fleure bon les Sixties. Et pourtant, c’est
pour exprimer une grande lassitude. Repris par les chœurs, « marre, marre,
marre » apporte une forme de désespoir jovial. Subterfuge qui permet de
rendre plus digeste ce grand moment de découragement.
8/ Après demain
Cette
chanson mélancolique est un peu une synthèse entre La Pieuvre et Mon obsession.
On a parfois du mal à se tenir debout, on a parfois envie de tout abandonner
mais, heureusement, on a parfois le soutien de cette formidable béquille qu’est
l’amour. L’amour, « rayon de lumière » dans la grisaille du
quotidien.
9/ Les Cactus
Reprise
revigorante, musclée et pleine d’ironie de la chanson de Jacques Dutronc. Bill
se l’approprie sans en dénaturer l’humour et le double niveau de lecture.
Excellent. Maître Jacques doit apprécier cette version.
10/ Le Vieil homme
Retour
de l’orgue pour cette chanson tristounette sur la vieillesse. « 80 ans
demain, plus rien ne le retient ». C’est l’heure du dépôt de bilan, de
dresser l’état des comptes et de mettre en balance ce qui a été positif et ce
qui a été détestable. Une fois encore, c’est l’amour qui a apporté ce qu’il y
avait de mieux.
11/ Death Don’t Have No
Mercy
Magnifique
reprise de la chanson de Gary Davis. Si la vie ne fait pas de cadeau, il y a
des contrés où la Mort en fait encore moins !
12/ Bobo Boogie
Quelle
merveilleuse chose que cette rencontre entre Bill Deraime et San Severino. Leur
complicité et leur complémentarité sont évidentes. Ils sont dans le même trip,
dans la même dérision. Ça donne une chanson trépidante, complètement enjouée. Ça
dépote, c’est radieux, festif à souhait. Qu’est-ce que ça devrait donner sur
scène ! On ne pouvait rêver de meilleure conclusion pour cet album.
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