mardi 5 mars 2013

Colorature. Mrs Jenkins et son pianiste


Théâtre du Ranelagh
5, rue des Vignes
75016 Paris
Tel : 01 42 88 64 44
Métro : La Muette / Passy

Une pièce de Stephen Temperley
Texte français de Stéphane Laporte
Mise en scène par Agnès Boury
Décor de Claude Plet
Costumes d’Eymeric François
Lumière de Laurent Béal
Avec Agnès Bove (Florence Foster Jenkins) et Grégori Baquet (Cosmé Mac Moon)

L’histoire : New York, 1964. Au piano d’un club de jazz en vogue, Cosme Mac Moon, pris de nostalgie, évoque les douze années de sa singulière collaboration avec la cantatrice Florence Foster Jenkins.
Riche héritière américaine dans les années 30, Florence Foster Jenkins se pique d’art lyrique, s’improvise soprano colorature et inflige aux plus fameux airs un traitement redoutable par sa fausseté et ses fantaisies rythmiques. Elle devient pourtant incroyablement populaire au fil de récitals et d’enregistrements improbables.
De leur rencontre au dernier concert à Carnegie Hall, Colorature, Mrs Jenkins et son pianiste nous invite à partager le destin à la fois hilarant et bouleversant de deux personnages hors du commun.

Mon avis : Et dire que cette histoire a réellement existé ! Cela en dit long sur le pouvoir de l’argent et sur les mœurs de nos contemporains…
Florence Foster Jenkins possède un talent de chanteuse lyrique inversement proportionnel à l’étendue de sa fortune. Mais l’un va permettre à l’autre d’exister. Elle a déjà dépassé la quarantaine lorsque le décès de son richissime père la met à l’abri de tout besoin. Certains nantis s’offrent une danseuse, elle, elle va s’offrir une chanteuse : elle-même. Elle s’autoproclame carrément « soprano colorature ». Et comme elle en a les moyens, elle commence à se produire régulièrement, à ses Ritz et périls, dans un palace newyorkais.

Vingt ans après sa disparition, Cosmé Mac Moon, son accompagnateur pendant douze ans, se remémore avec une certaine nostalgie leur rencontre et son engagement… Flashback. Et voici Florence Foster Jenkins herself. Elle est assez gratinée. L’argent ne permet pas forcément de s’acheter du bon goût. Disons qu’elle a l’élégance un peu tapageuse ; et le maquillage qui va avec. Quant à elle, elle est totalement inconsciente. Il est essentiel de savoir tout de même que son premier prénom à la Miss, c’est… Narcissa ! Ça ne s’invente pas. Au niveau du contentement de soi, elle est imbattable. Sa voix est un diamant pur et, grâce à elle, elle va conquérir le public.
Même si Cosmé tique, réalisant très vite qu’elle ne pourra jamais chanter juste, comment pourrait-il résister à son offre ? Il ne doit pas gagner formidablement sa vie et une vraie manne lui tombe du ciel. Alors, faisant fi de sa fierté, il accepte le marché pour une seule représentation. Et puis il se retrouve piégé. Financièrement certes, mais également affectivement. Car il est patent que Cosme s’attache à la pseudo cantatrice. En plus, en dépit de ses piètres prestations, elle devient la coqueluche de la haute société. Et les récitals se multiplient au Ritz-Carlton… Leur collaboration durera donc douze ans, connaissant son apothéose en 1944 au Carnegie Hall, le temple américain de la musique. Et nous aurons le privilège ( ?) d’assister à cet ultime concert.

Disons-le tout net, sur le plan auditif, Florence Foster Jenkins nous inflige une véritable Colora(tor)ture. Je m’amusais de voir ma jeune voisine de gauche se boucher systématiquement les oreilles à chaque fois qu’elle se lançait dans ses vocalises improbables. Il est vrai que sur le plan de la puissance et de la fausseté, elle atteint des sommets… Mais elle a droit à de nombreuses circonstances atténuantes. D’abord, le public se presse en masse pour assister à ses « performances », ensuite personne ne lui a jamais dit : « Florence, faut s’ taire », y compris le principal intéressé, Cosmé Mac Moon qui, charitablement, n’ose pas lui dire la vérité sur son talent illusoire. Ce qui fait qu’elle est totalement enfermée dans ses certitudes.

Tandem idéal, Grégori Baquet et Agnès Bove incarnent ces deux personnages à la perfection. Le premier, qu’il soit narrateur ou exécutant, apporte finesse et sensibilité à son rôle de principal témoin. Jamais il n’énonce clairement que Florence est une horrible chanteuse. Il préfère être dans la suggestion, pas dans l’accusation. En même temps, il faut voir, dissimulé par le piano, ses postures accablées sur son clavier. L’artiste qu’il est souffre véritablement. Mais son naturel, plein de tolérance et de fantaisie, prend régulièrement le dessus. Il nous offre là une prestation vraiment très complète.
Pour ce qui concerne Agnès Bove, il faut un sacré talent pour réussir à chanter aussi faux avec autant de sérieux et de conviction. C’est une étonnante prouesse vocale, même si ses cris d’’orfraie et ses aigus venus d’ailleurs nous agressent littéralement les trompes d’Eustache. Elle est à fond dans son personnage. Imperturbable, altière et, surtout, très fière de ses tenues extravagantes (on attend avec gourmandise chacun de ses accoutrements dans ce clou du spectacle qu’est son récital au Carnegie Hall) . Dans la partie finale, pleine d’émotion, il faut voir comme elle joue la stupeur. On est triste pour elle. On ne peut qu’être admiratif devant cette superbe composition.


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