Petit Montparnasse
31, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 22 77 30
Métro : Gaîté / Edgar Quinet
Une pièce d’Andrew Payne
Mise en scène par Patrick Kerbrat
Décor de Jean Haas
Lumières de Laurent Béal
Avec Swann Arnaud (Cole), Anne Bouvier (Karine David),
Patrice Kerbrat (Frank), Robert Plagnol (Stratton)
L’histoire :
Quand arrive enfin le jour de la signature du contrat après des mois de
négociations, Stratton, Cole et Frank apprennent que leur interlocuteur
habituel, retrouvé nu en salle de réunion, a été viré manu militari et remplacé
par la soi-disant responsable de ce comportement pour le moins étrange, Karine
David. Ils doivent alors mettre en place une nouvelle stratégie pour atteindre
leur but premier : faire signer un contrat défavorable à la partie
adverse…
Mon avis : Andrew
Payne est un sadique ! Il doit avoir quelque part des comptes à régler
avec ses congénères, une hiérarchie et la bureaucratie tant il prend un plaisir
pervers à plonger ses personnages dans des situations terriblement éprouvantes.
Et, par voie de conséquence, il se régale à nous embrouiller, nous les
spectateurs, à nous mettre sous tension et à essayer de deviner comment un tel
imbroglio va se dénouer… Dans son esprit ô combien tordu, l’âme humaine n’est
pas bien jolie, jolie…
Si le titre de la pièce, En
réunion, n’est pas des plus attractifs, il a au moins le mérite de nous en
annoncer le thème. Andrew Payne met sa loupe déformante (l’est-elle tant que ça
finalement ?) sur les stratégies que va devoir adopter un trio pour amener
« les gens d’en face » à signer un contrat de la plus haute
importance pour leur boîte. Non seulement leur principal interlocuteur vient de
leur claquer dans les doigts suite à un pétage de plombs abracadabrantesque,
mais le temps leur est également compté. En plus, le nouvel intermédiaire qui
leur est imposé est… une femme ! Ce qui change tout sur le plan
relationnel car ils vont devoir se mettre inconsciemment en mode séduction.
Andrew Payne est un as pour dessiner les profils
psychologiques de ses personnages et à se focaliser surtout sur la désormais
fameuse « part d’ombre » de chacun. Ce sont des gens qui nous
ressemblent et il nous est facile de nous projeter à leur place en fonction de
leurs différents comportements. Il a l’art en outre de faire interférer la vie
extérieure avec la vie professionnelle, ce qui ajoute encore aux difficultés…
Les quatre personnages sont identiques dans un seul
domaine : ils sont dévorés par l’ambition. Sinon, ils ne se ressemblent en
rien. Stratton (Robert Plagnol) n’est pas un garçon porté sur la fantaisie. Il
est sérieux, maniaque, psychorigide (on le devine aussi hypocondriaque), émotif
et, pour ne rien arranger, il est torturé par les intrusions permanentes d’une
épouse un tantinet dérangée et les méfaits causés par leur
« psychopathe » de fillette. Difficile pour lui d’être à 100%
concentré sur son travail. Bien sûr, cette faiblesse le dessert tant vis-à-vis
de ses collègues que de sa hiérarchie…
Cole (Swann Arlaud) est complètement à
l’opposé de lui. Il est plus jeune, décontracté à la limite de la désinvolture,
fonceur, mais nerveux et impulsif, il arbore un look plutôt négligé et il parle
un langage résolument « djeun ». Son principal atout – et il le sait
– c’est d’être formidablement intelligent ; c’est grâce à lui que le fameux
contrat est aussi remarquable. Il a cependant lui aussi son talon d’Achille en
la personne de sa petite amie, qui travaille dans la même société et se fait
remarquer pour sa frivolité…
Frank (Patrice Kerbrat) est sans doute le plus complexe
du trio. Il est le supérieur immédiat de Stratton et Cole et leur intermédiaire
avec la direction qui tire toutes les ficelles depuis sa tour de contrôle du
10è étage. Il pratique un humour très british, adore les formules ampoulées,
mais il est capable de passer sans transition de la plus grande sympathie à la méchanceté
la plus rude. Lui, on n’arrive pas à le cerner. Il est sûr qu’il pratique un
double jeu. Mais dans quel but, et pour qui ? Il a un petit côté
manipulateur qui provoque notre méfiance. Alors que Stratton et Cole nous
semblent moins tordus, plus prévisibles.
Et enfin, il y a Karine David (Anne Bouvier). Qui est-elle
vraiment ? Elle nous apparaît comme une jeune femme sûre d’elle-même et de
son pouvoir de séduction. Toujours souriante, elle est du genre insubmersible.
Et la décision finale lui appartient…
Une fois que ces quatre-là vont être mis en présence, la
pièce va devenir un grand jeu d’échecs. Tous les coups vont être permis. Les
cachotteries, les manipulations, l’agressivité, la diplomatie cauteleuse… Tout
le monde, ou presque, va y laisser des plumes… L’auteur érige une sorte de jeu
de construction dont il nous fournit peu à peu les éléments. A nous de deviner
ce qui peut s’emboîter… ou pas. La tension ne cesse de monter. Les nerfs,
particulièrement ceux de Stratton et de Cole sont mis à rude épreuve. Puis, entre
Cole et Karine s’instaure un drôle de jeu du chat et de la souris…
Pour moi, En réunion
eût gagné en efficacité avec une vingtaine de minutes en moins. On se sent
soudain moins attentifs à partir du moment où Karine raconte son histoire. Elle
est trop longue et n’apporte pas grand-chose à l’intrigue. En fait, le dernier
quart de la pièce est un peu bavard, comme si l’auteur voulait nous faire
languir. Et pour ce qui concerne la fin, elle m’a laissé sur ma faim.
Reste quand même un texte acide à souhait servi par un
épatant quatuor de comédiens.
Robert Plagnol, que j’avais découvert et qui m’avait
enthousiasmé dans Rue de Babylone, connaît
son Andrew Payne sur le bout des doigts (il a adapté et joué toutes ses pièces).
Il donne à Stratton autant de froide détermination que de fragilité. Il n’est
pas calculateur comme les autres. C’est le bon employé-type. Mais, pris dans un
engrenage dont les mécanismes lui échappent et perturbé par les multiples
interventions dévastatrices de sa femme, il se débat petit à petit comme un
insecte pris dans une toile d’araignée…
Swann Arlaud est la révélation de la
pièce. On l’a beaucoup vu depuis dix ans à la télévision et au cinéma, mais En
réunion est sa première expérience théâtrale. Il est parfait dans le rôle de
Cole. A la fois agaçant et charmeur, fougueux et mal élevé, sûr de lui et
vulnérable, il provoque la plupart des éclats de rire de la pièce…
Patrice
Kerbrat réussit à faire de Frank un personnage inquiétant. Sous ses dehors
bonhomme, il se révèle mystérieux, ambigu et, parfois, violent. C’est un animal
à sang froid que l’on devine redoutable. On se prend à attendre chacune de ses
apparitions car elles font à chaque fois rebondir l’intrigue…
Anne Bouvier a le
rôle le plus délicat. Elle est très attendue. Comme elle est décisionnaire dans
la destinée du fameux contrat, elle est d’emblée crainte et détestée. Elle doit
faire face à trois mâles prêts à tout pour la faire signer. Elle leur oppose
son sourire permanent, sa sensualité, son intelligence. Mais va-t-elle tenir le
coup jusqu’à la fin ?
En dehors de l’avoir trouvée un peu longue, la pièce est un
régal pour qui aime le cynisme et l’humour noir. J’ai trouvé particulièrement réussi
le fait que chacun des trois hommes ait son vocabulaire propre. Aucun d’eux ne
s’exprime comme les deux autres. C’est réellement très judicieux et très
efficace.
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