vendredi 11 juillet 2014

Frangines

Théâtre Trévise
14, rue Trévise
75009 Paris
Tel : 01 48 65 97 90
Métro : Cadet / Grands Boulevards

Une pièce de Juliette Arnaud et Samantha Benoit
Avec Juliette Arnaud (Gabrielle) et Samantha Benoit (Adèle)
Mise en scène de Gil Galliot

L’histoire : Gabrielle, maniaque de l’ordre et dans le contrôle permanent, a choisi un « célibat ambitieux » à Paris ; alors que sa sœur Adèle a opté pour la formule « femme au foyer » dans un petit village du Sud de la France, près de chez leurs parents. Entre elles deux, la communication est périlleuse. D’autant plus lorsqu’Adèle débarque à l’improviste chez Gabrielle pour la convaincre de passer Noël en famille !

Mon avis : Le décor est révélateur du caractère de Gabrielle. Son appartement parisien, dans lequel va se dérouler l’action, est d’une propreté impeccable. Deux grandes bibliothèques témoignent de son amour des livres. On en déduit très vite que la jeune femme est aussi maniaque que cultivée. Sa quiétude d’un soir – à la veille d’un départ pour un long voyage en Asie où elle doit donner une conférence en deux langues – est soudain brutalement bouleversée par l’irruption de sa sœur cadette, Adèle, qu’elle n’a pas vue depuis deux ans. Visiblement, elle n’est pas ravie de la revoir. Mais, à force de comédie, de mensonges, de stratagèmes éhontés, Adèle va réussir à taper l’incruste. La nuit promet donc d’être particulièrement agitée entre deux « frangines » que tout oppose.

Gabrielle, la working girl parisienne, et Adèle, la mère au foyer provinciale, sont aux antipodes l’une de l’autre. La première est carrée, d’une méticulosité qui frise la pathologie, sa vie de célibataire assumée est réglée comme du papier à musique. La seconde est un tantinet immature, exubérante, bordélique et pas du tout inhibée. Gabrielle, qui a refusé de « mourir d’amour enchaîné », ne voudrait pour rien au monde de « la vie d’Adèle »…. Entre elles deux va commencer une sorte de bras de fer dans lesquels les muscles sont remplacés par ces forces de l’esprit que sont la malice, les affabulations, la duplicité, la fourberie, toutes ces armes dont est généralement dotée la gent féminine… Laquelle va l’emporter ? Gabrielle va-t-elle réussir à dormir un peu ?


Les deux jeunes femmes nous embarquent dans un véritable combat à fleurets non mouchetés. Pour piquer, ça pique ! Chacune, en fonction de son tempérament, a sa tactique. Mais il n’est pas toujours aisé de surprendre l’adversaire quand on se connaît par cœur puisqu’on a grandi ensemble…
Juliette Arnaud et Samantha Benoit, qui jouent la pièce qu’elles ont écrites à quatre mains, se sont dessiné deux rôles parfaitement antagonistes. Juliette s’attribue celui du clown blanc et Samantha celui de l’Auguste. Comme elles s’y tiennent dans déraper une seconde tout au long de la pièce, leur confrontation se laisse regarder avec une réelle jubilation. Au calme et à la froide volonté de Gabrielle, Adèle va opposer sa fougue et son brin de folie. Pour se tenir à un tel jeun ininterrompu d’attaque-défense, il faut une sacrée complicité. Sinon, ça ne passerait pas la rampe. Chacune doit faire aveuglément confiance à sa partenaire. Et ça marche remarquablement. C’est huilé. Les dialogues sont joliment troussés, les répliques fusent, les vacheries sont de bon aloi, les formules font mouche. Il n’y a pas de round d’observation, pas une seconde de répit.

La qualité de cette pièce, c’est qu’elle n’est pas que drôle. Les deux filles ont su judicieusement insérer des petites ruptures : lancer ça et là une pincée de nostalgie, glisser un zeste de tendresse. Quand il leur arrive de baisser la garde, on sent que leur enfance partagée n’est pas tout à fait effacée. Elles se sont construites là-dessus. Et, surtout, elles ont grandi en opposition à une mère particulièrement fantasque qu’elles qualifient carrément d’« infernale » mais pour laquelle elles nourrissent néanmoins une affection gentiment moqueuse.
Sincèrement, c’est vraiment bien écrit. Et puis nos deux « frangines » se livrent chacune à une jolie composition. On se plaît à voir jusqu’où chacune est capable d’aller pour déstabiliser l’autre.
Et il faut bien admettre que l’on se sent aussi plus ou moins concerné par les différents exposés sur scène. Chaque famille a ses petits secrets enfouis, ses divergences de vue, ses faits vécus à l’identique mais perçus différemment, ses griefs, ses jalousies… mais aussi un même terreau d’amour qu’il suffit de savoir entretenir pour qu’il puisse ré-éclore au moment propice…

Gilbert "Critikator" Jouin


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