53, rue Notre-Dame des Champs
75006 Paris
Tel : 01 45 44 57 34
Métro : Vavin / Notre-Dame
des Champs
Une pièce d’Harold Pinter
Mise en scène par Christophe Gand
Scénographie de Goury
Décor de Claire Vaysse
Costumes de Jean-Daniel Villermoz
Lumières d’Alexandre Icovic
Avec Gaëlle Billaut-Danno (Emma), François
Feroleto (Robert), Yannick Laurent (Jerry),
Vincent Arfa (le
« déménageur », le serveur)
L’histoire : Jerry et Emma
se retrouvent deux ans après leur rupture. Elle est la femme de Robert,
éditeur, vieil ami et, plus que tout, partenaire de squash de Jerry. A partir
de là, on remonte le cours de cette intrigue amoureuse entre trois amis. Dans
cette histoire à rebours, Pinter tisse les énigmatiques liens amoureux et
amicaux du trio où chacun construit sa propre vérité : des séparations aux
rencontres, des aveux aux mensonges, des secrets aux trahisons.
Mon avis : Le sujet de Trahisons,
il faut le savoir, a été directement inspiré à Harold Pinter par sa propre vie.
En fait, il y évoque en filigrane la longue liaison qu’il a entretenue avec une
célèbre présentatrice de la télévision britannique… Sur le plan de l’adultère,
il sait donc de quoi il parle.
L’originalité de cette pièce,
c’est sa chronologie inversée. Elle débute en 1977 pour nous faire remonter le
temps jusqu’à 1968. Habituellement, on suit une intrigue amoureuse depuis sa
naissance jusqu’à son terme, ici c’est le contraire. Pinter s’empare d’une peau
de chagrin et s’évertue à la reconstituer pour lui redonner tout son éclat. En
fait, il retricote. C’est cette mécanique à rebours qui retient tout notre
intérêt. Notre esprit, comme sous perfusion, reçoit régulièrement les
informations au compte-gouttes. Chaque tableau est un élément qui nous permet
de recomposer ce puzzle de neuf pièces.
Trahisons n’est pas pour moi une des meilleures pièces de Pinter.
Justement, peut-être, parce qu’il est concerné au premier degré. Elle manque un
peu de souffle, de cette forme de recul et de détachement qui autorise le
cynisme (même s’il l’effleure parfois avec le personnage de Robert). Si bien
que les dialogues en souffrent. Les banalités et les lieux communs abondent
volontairement (par exemple, les protagonistes prennent régulièrement des
nouvelles des enfants de l’autre couple). Personnellement, si j’ai trouvé
parfaitement idoine et réjouissant l’échange de banalités lors des
retrouvailles d’Emma et Jerry (premier tableau), j’ai déploré que l’auteur en
use et en abuse par la suite. Il en résulte une espèce d’atonalité qui, à force,
devient lassante.
Pourtant, en dépit de ce manque
de percussion des dialogues, on parvient à s’intéresser à l’intrigue grâce au
jeu des comédiens. Finalement, ce sont leurs interprétations qui nous séduisent
et non la partition trop monocorde que Pinter a composée. Tout le mérite leur
revient. Ils sont excellents tous les trois.
Outre la prestation irréprochable
des acteurs, plusieurs éléments importants viennent au secours de la pièce. Il
y a d’abord son profil sociologique. Les trois personnages évoluent dans des
milieux privilégiés, érudits et dynamiques. L’édition pour Robert et Jerry, une
galerie de peinture pour Emma. La vie est facile, l’argent ne pose pas
problème, on voyage et… on boit beaucoup. Et puis, il y a son époque. Le fait
que l’action se déroule entre 1968 et 1977 n’est pas anodin. Ce sont des années
qui, pour les femmes, ont été extrêmement fondatrices. En travaillant, Emma n’est
pas tributaire économiquement de son mari. Et avec la révolution sexuelle toute
récente, elle y a gagné son indépendance et sa liberté de choix. Ceci est
essentiel pour comprendre le comportement de la jeune femme.
Enfin, autre point positif de ce
spectacle, les enchaînements. Les changements de décors sont effectués à vue
dans une sorte de chorégraphie orchestrée par le son d’un piano, de violons,
d’une trompette ou d’une contrebasse. C’est très agréable tant sur le plan
visuel qu’acoustique.
Revenons aux comédiens. Yannick
Laurent fait de Jerry un individu complexe. Le seul courage dont il a fait
preuve, c’est celui de draguer l’épouse de son meilleur ami. Il s’inscrit
ensuite dans une ligne masculine plus générale en se montrant émotif, faible,
pusillanime, craintif même. Il ne pense qu’à l’aspect plaisir de cette relation
extra-conjugale. Mais lorsqu’il faut prendre ses responsabilités, il n’y a plus
personne… François Feroleto crée un personnage aux antipodes de celui de Jerry.
Il dégage une force tranquille, affiche un flegme tout britannique ;
manipulateur, mufle assumé, ce n’est pas un sentimental. Un tantinet désabusé,
rien ne semble l’affecter… Enfin, Gaëlle Billaut-Danno donne à Emma toute sa
frémissante féminité. Emma vit sa vie comme elle l’entend. Elle se montre tout
aussi passionnée que raisonnée. Lucide et directe, elle n’entend pas se laisser
imposer quoi que ce soit par ses mari et amant. Elle tient à garder son libre
arbitre. Un rôle subtil car il lui faut se montrer tout autant sensuelle et
désirable que prudente et réfléchie.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire