Théâtre de l’Oeuvre
55,
rue de Clichy
75009
Paris
Tel :
01 44 53 88 88
Métro :
Liège / Place de Clichy
Une
pièce d’Alexandre Dumas
Adaptée
par Jean-Paul Sartre
Mise
en scène d’Alain Sachs
Décors
de Sophie Jacob
Costumes
de Pascale Bordet
Lumières
de Muriel Sachs
Musique
de Frédéric Boulard
Avec
Alexis Desseaux (Kean), Pierre Benoist (Le domestique, Peter Patt, Lord Mewill,
Darius), Sophie Bouilloux (Elena), Jacques Fontanel (Le Comte), Frédéric Gorny
(Le Prince de Galles), Eve Herszfeld (Amy, Fanny, Gidsa), Justine Thibaudat
(Anna), Stéphane Titeca (Salomon)
Présentation :
Kean ou l’histoire d’un fameux acteur
anglais qui triomphe au Théâtre Royal de Drury Lane et que tout Londres, au début
du 19ème siècle, court acclamer.
Mais,
chez Kean, l’homme et le comédien se confondent bien souvent…
Est-il
en vérité lui-même ou bien les divers personnages qu’il incarne ?
Un
soir, submergé par ses passions amoureuses, Kean explose en pleine
représentation d’Othello…
Mon avis :
Lorsqu’on lit, en accroche de ce spectacle : « 8 comédiens, 5 décors,
35 costumes ! » et, en prime, 5 nominations aux Molières 2019… ce
sont des arguments qui donnent vraiment envie de se rendre au Théâtre de l’Oeuvre.
Et lorsqu’on voit, associés sur l’affiche en tant qu’auteur et adaptateur deux
sommités comme Alexandre Dumas et Jean-Paul Sartre, la curiosité est encore
décuplée.
Disons-le
sans détours, le spectacle est largement à la hauteur de ces louanges.
Le
texte de Dumas est brillant et les dialogues, particulièrement percutants, sont
d’une modernité réjouissante malgré leurs… 183 ans !
Même
si l’intrigue tourne autour du théâtre, cette pièce est une comédie humaine car
elle décrit bon nombre de sentiments basiques comme l’ambition, la séduction,
la mauvaise foi, l’obséquiosité, le dévouement, le mensonge et son corollaire, la
soif de vérité. Bien sûr l’histoire se déroule dans une élite. S’y côtoient en
effet un prince, un comte, un ministre, un lord et un roi… du théâtre. Mais
leur condition ne les empêche pas d’avoir des comportements universels.
D’abord,
à tout seigneur tout honneur… Alexandre Dumas n’aurait pas pu baptiser sa pièce
autrement que « Kean » car Kean, même quand il n’est pas en scène, y
est omniprésent. Pendant deux heures, on « bouffe » du Kean et on s’en
régale. Quel rôle ! C’est fascinant.
Kean,
comédien adulé, mythifié, est en fait un cabot d’autant plus magnifique qu’il
est terriblement lucide. Il n’est dupe de rien. Il se livre devant nous à un grand
numéro de schizophrénie assumée. D’ailleurs, il nous l’avoue dès le début :
« Je vis au jour le jour la plus fabuleuse des impostures »… Kean
joue. Il joue tout le temps. Il joue avec les gens, il joue avec l’argent (pour
lequel il nourrit un mépris total), il joue avec lui-même. Il oscille en
permanence entre le jeu et le Je, entre la réalité et l’illusion…
Jouisseur
invétéré, il trouve dans l’alcool un allié pour réussir à gérer cette
encombrante schizophrénie. Quand et à quel moment est-il vraiment lui-même ?
Il est tellement imprégné de ses personnages que la frontière entre eux et lui
est devenue poreuse. En prenant le pseudonyme de Kean, il a relégué Edmond, son
vrai prénom, dans un repli de sa mémoire. En lui cohabitent en permanence Kean,
Othello, Hamlet et d’autres grands rôles… Il nous faudra attendre la presque fin
de la pièce pour que, en frôlant la folie, il redevienne enfin lui-même. Quand
le rideau soudain se déchire, il se dévoile et se révèle. On découvre alors que
la statue du Commandeur possède des pieds d’argile. A lui seul, il synthétise
de sous-titre de la pièce de Dumas, « Désordre et Génie »… Mais, en
filigrane, sans que ce soit réellement énoncé, on sent surtout chez lui un
amour absolu du théâtre.
Epoustouflant
dans le rôle-titre, Alexis Desseaux eût amplement mérité d’être au moins honoré
d’une nomination aux Molières.
Mais
Kean n’est pas seul dans cette superbe aventure théâtrale. Il ne pourrait pas
donner libre cours à ses extravagances s’il n’était pas aussi bien entouré. Ses
sept compagnes et compagnons de scène complices sont si complices que cela
donne un réel effet de troupe. Ce résultat est dû aussi tout au talent du metteur
en scène, Alain Sachs, qui a su fédérer chez les comédiens une énergie et un
enthousiasme qui passent la rampe. Il a apporté à ce Kean la légèreté et le rythme d’un Feydeau. Il a su en édulcorer les
aspects dramatiques en privilégiant l’humour ; un humour acide, certes,
mais on rit très souvent, et de bon cœur. Il est même allé jusqu’à glisser une hilarante
note de burlesque dans la scène de fin d’Othello !
J’ai
beaucoup aimé aussi la composition de Stéphane Titeca dans le rôle de Salomon,
l’homme à tout faire de Kean. Il lui est d’un dévouement total. Il est au-delà
du domestique car il est indispensable à l’équilibre de son maître. Tout en
restant déférent, il se fie à son bon sens pour prendre les bonnes décisions.
Il est le seul personnage normal et sympathique parmi tous les protagonistes de
cette pièce.
Et
puis il y a Justine Thibaudat. Chacune de ses apparitions illumine l’espace. Son
Anna est un rayon de soleil, un blond tourbillon plein de fraîcheur, de vivacité
et de fantaisie. On ne sait jamais si elle est sincère ou si elle n’est qu’une
jeune ambitieuse prête à tout pour obtenir un rôle. Mutine, espiègle, fine
mouche, elle est le parfait prototype de la fausse ingénue… Sa nomination aux
Molières est totalement justifiée car c’est une vraie révélation.
Vous
l’aurez compris : il faut absolument aller voir Alexis Desseaux et ses
partenaires à l’œuvre… à L’Oeuvre !
Gilbert
« Critikator » Jouin
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