jeudi 15 février 2007

Zazie


Totem

Ma première rencontre avec Zazie date très précisément du 18 décembre 1992. J'avais été tellement emballé par son premier album, Je, tu, ils que je n'avais eu de cesse que de la rencontrer. Sa personne, son parcours, sa façon d'être et de voir les choses m'avaient immédiatement séduit. Et, depuis, j'avais régulièrement apprécié chaque nouvel album, autant que je m'étais régalé à assister à chacun de ses spectacles. j'en aimais leur convivialité, l'humour fin qui s'en dégageait, la complicité et le goût du partage du partage qu'elle y faisait passer. Sa fragilité aussi, bien qu'elle s'efforçât élégamment de la dissimuler sous la fantaisie... Bref, cela fait quinze ans que je tiens Zazie pour la plus belle plue féminine de la chanson française.
Et puis je suis allé assister à son concert du Rodéo Tour à Bercy. Et là, je n'ai pas reconnu "ma" Zazie. Qui était cette jeune femme qui courait dans tous les sens dans un déluge de décibels tel qu'on ne comprenait plus ces textes pour lesquels on était venu ?... Bref, ce Rodéo m'avait totalement... désarçonné !
Ma déception avait été très grande. J'étais désemparé. Alors, vous imaginez quel peut être mon bonheur à l'écoute de Totem, le sixième album de Zazie. Je LA retrouve complètement. Finalement, avec le recul, je pense qu'elle avait été atteinte d'un syndrome qui affecte souvent la créativité chez les auteurs : celui du bonheur. A l'époque de Rodéo, elle nageait en pleine félicité ; alors que ce nouvel album est fortement influencé par la rupture affective. Après le coup au coeur, il lui a fallu accepter la solitude, panser ses blessures, et se tourner résolument vers l'avenir, vers une nouvelle vie qui apparaît somme toute pleine d'attraits. Rien n'étant innocent chez Zazie - elle a coutume de glisser nombre de messages personnels, voire subliminaux dans ses textes - l'emploi du terme "Totem" comme titre de son nouvel album n'est bien sûr pas anodin. L'utilité d'un totem n'est-elle pas avant tout d'être protectrice ?
Alors, plutôt que de se livrer à une banale analyse de ce fameux Totem, j'ai pensé qu'il serait peut-être plus judicieux, de se référer à certains des titres que j'estime "phares" de ce nouvel opus. Mon hit-parade personnel met quatre chansons en exergue :
1/ Je suis un homme. Là, le titre "Totem" prend toute sa dimension car cette chanson est dominée par une rythmique lancinante de tambourins qu'on imagine indiens. C'est la chanson incantatoire-type. Son but n'est pas de faire tomber la pluie, mais plutôt de faire tomber les hypocrisies à propos de la conduite arrogante, ingrate et destructrice de l'homme par rapport à Dame Nature. En quatre minutes, Zazie fait la synthèse de l'histoire de l'humanité. L'homme a construit son existence sur l'illusion et le paraître. Très autocritique, elle se flagelle avec humilité et stigmatise les dégâts qu'elle et ses congénères ont causés depuis la nuit des temps. Tout est dit dans cette affirmation péremptoire : "L'homme est une erreur de la nature".
2/ L'ange blessé. Cette jolie mélopée, interprétée sur un ton assez plaintif, exprime toute la fragilité de la jeune femme. L'écriture en est suffisamment ambiguë pour se demnder si elle ne serait pas elle-même cet "ange blessé", tout autant que cet homme pour le salut duquel elle implore les cieux. Se regarde-t-elle dans une glace, témoin presque étranger de sa blessure encore saignante ? Toute mécréante qu'elle soit, elle s'en remet aux dieux. Faut-il qu'elle n'aille vraiment pas bien pour mêler ainsi métaphysique et réligion ! Cette chanson, au climat envoûtant, est une sorte de bouteille à la mer - de bouteille à l'amour, plutôt - dont elle sait pertinemment qu'il y a peu de chances qu'elle trouve son destinataire.
3/ Na. Quelle subtile façon de régler ses comptes après la rupture. L'utilisation légère de la comptine pour évacuer sa souffrance de manière apparemment détachée et sur un ton primesautier est imparable. Cet esprit badin et enjoué apporte finalement un effet loupe sur ses petits malheurs de femme. Du coup, le propos en devient hyper réaliste. Elle joue à "même pas mal" alors que, de toute évidence, elle déguste. Parfaitement lucide ("mais qui voudrait d'une fille en colère ?"), elle lorgne sur la reconstruction tout en s'interrogeant sur ses retouvailles inquiètes avec le célibat. Balèze comme introspection !
4/ ça. Jouant avec une voix un peu écorchée, Zazie tente,de manière obsédante, de se rattacher à ce que l'amour apporte de meilleur et d'essentiel en se focalisant sur "les yeux, la voix, les mains, les mots d'amour, la peau, l'odeur..." Fataliste, elle pense que le temps va cicatriser les blessures occasionnées par "les défaites". Cette chanson est comme l'évocation d'un plat dont on sait qu'il avait été un régal et dont on a gardé le souvenir d'une incomparable saveur.

Voici donc les quatre titres de Totem qui m'ont le plus "causé". Mais je crains que ce ne soit qu'affreusement subjectif. En effet, j'ai profondément apprécié chacun d'eux. Des rails, la première chanson très rock'n'roll de l'album, dans laquelle elle utilise la métaphore du chemin de fer pour parler de ses peines de coeur et de la proppension qu'ont les hommes à "dérailler"... Après le train l'avion. Jet lag est une parabole sur les difficultés à se trouver en phase sur les mêmes fuseaux horaires. Le refuge, c'est de s'envoler, de rêver et, surtout, de croire en la vie jusqu'au bout... Duo, chanson interprétée avec le formidable Paolo Nutini (quel organe !), est une sanction : "c'est plus simple de vivre que d'aimer". Quand on a accepté ce postulat, il n'y a plus qu'à se laisser vivre cahin-caha... Flower Power, aux sonorités Sixties et au très joli refrain, est une chanson fort mélodieuse. Elle est la suite logique de Na. Après la pluie vient le beau temps ; "on se relèvera"... Dans Totem, elle se métamorphose en Zazie Claudel. Combien faut-il de souffrance à une sculptrice pour réussir à façonner "cet homme" qui va l'aimer ? Et, surtout, sera-t-elle de taille ?... 07 décembre, toute dans le souffle et la douceur, traite elle aussi de la quête effrenée du bonheur en dépit de ces hommes qui passent leur temps à se défiler. C'est en fait une longue plainte, très aérienne, dans laquelle, grâce au refuge onirique de la nuit, la chanteuse s'invente un monde idéal. Certains appellent ça la solution nocturne. L'interprétation de cette chanson est tellement habitée qu'elle se transforme en une vraie prouesse... J'étais là est, pour moi, la chanson la plus dérangeante, celle en tout cas qui nous met, tous, en face de nos responsabilités. Elle traite en bloc de la notion de culpabilité face à l'enfance martyre, aux attentats, aux inégalités, au sida, aux sans papiers. Zazie part de l'infiniment petit (un enfant battu) à l'infiniment grand (les génocides). Gros malaise car en se morigénant ainsi, en prenant à son compte toutes les souffrances du monde, elle nous renvoie à nos lâchetés. Tout est dit dans cette terrible conclusion, dans ce brutal "Je n'ai rien fait" ?... Yin Yang repose sur le paraître, les on-dit et que ces impressions que l'on dégage et que l'on assume. Zazie a envie de donner et d'être prise, de s'abandonner et d'être comprise. Mais en réalité, on sent en filigrane un tendre appel au secours... Enfin, dans Vue du ciel, elle décide d'oser se dévoiler : "Je suis un garçon manqué". Cette chanson est cousine avec Jet lag pour son interprétation aérienne et toute en douceur, et avec 07 décembre pour le sens et le climat.

Vous l'aurez compris, il y a beaucoup à dire sur cet album tant il est riche. En tout cas, je suis rassuré : Zazie a repris sa place tout en haut de la hiérarchie de nos artistes et, je l'avoue égoïstement, dans ma tête et dans mon, coeur.

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