jeudi 4 février 2010
Je l'aimais
Théâtre de l’Atelier
1, place Charles Dullin
75018 Paris
Tel : 01 46 06 49 24
Métro : Anvers
Une pièce adaptée et mise en scène par Patrice Leconte
D’après le roman de Anna Gavalda
Décor de Ivan Maussion
Costumes de Cécile Magnan
Avec Gérard Darmon (Pierre), Irène Jacob (Chloé), Noémie Kocher (Mathilde)
Ma note : 7/10
L’histoire : Un homme, Pierre, d’une soixantaine d’années, dans une maison de campagne, seul avec sa belle-fille, Chloé, que son propre fils à lui vient de quitter. Mille morceaux éparpillés. Que Pierre va tenter de recoller…
Mon avis : D’abord, il faut mettre en avant le superbe décor construit par Ivan Maussion. Il est important, car ce salon très encombré – signe de vie - constitue le refuge dans lequel vont cohabiter deux naufragés de la vie, Pierre et sa belle-fille Chloé. Naufragée, Chloé, elle l’est. Et ça se voit. Pour ce qui concerne Pierre, c’est moins évident, c’est bien plus intérieur. D’ailleurs s’il a entraîné Chloé dans cette maison de campagne, c’est pour essayer de lui redonner le moral et, en même temps, prendre à son compte l’abandon de famille dont son fils vient de se rendre coupable. Pas facile à gérer quand on a face à soi une jeune femme pour laquelle vous symbolisez son échec affectif. Touchée, pas loin d’être coulée, Chloé est toute à sa détresse. Elle est maussade, grognon, agressive, abattue. Elle ne cesse de ressasser sa séparation. Elle ne peut absolument pas se faire à l’idée d’avoir été plaquée. Alors Pierre en fait des tonnes au niveau de la prévenance. On dirait presque que c’est lui le coupable. Il se montre patient, compréhensif, aimable, paternaliste. Il gère l’intendance de la maison, fait les couses, cuisine, assure le service… Bref, la Chloé n’a plus qu’à se concentrer sur son gros malheur et se vautrer dans son chagrin.
Et dès qu’elle retrouve un semblant de vigueur, c’est pour régler ses comptes avec Pierre, l’accabler de reproches, lui renvoyer son égocentrisme dans les dents. Pierre encaisse et déborde encore plus d’attentions. Jusqu’au moment fatidique où Chloé lui balance qu’il n’a jamais aimé personne d’autre que lui-même… Alors là, faut pas pousser. Notre Pierre a, enfouie en lui, une intense histoire d’amour adultérine qui ne demande qu’à ressurgir tel un geyser et inonder une Chloé stupéfaite d’apprendre que son beau-père avait aussi un cœur… et un sexe… Et il raconte, il raconte…. Il raconte son idylle flamboyante et lamentable (du moins pour ce qui le concerne) avec Mathilde, jeune femme libre et sensuelle. Il raconte sans prendre parti, façon reportage clinique dans lequel il n’a pas le beau rôle. S’est-il montré respectueux vis-à-vis de sa femme et de ses enfants, s’est-il montré d’une lâcheté toute masculine avec l’attendrissante et dévouée Mathilde ? La seule chose dont on soit sûr, c’est que cette aventure lui a laissé à l’âme une sacrée cicatrice. Une cicatrice que, à force de se faire titiller par sa belle-fille, il a vue se rouvrir violemment. Il fallait que ça sorte et que quelqu’un soit témoin de cette douloureuse résurgence.
Pierre et Chloé, deux beaux rôles pour le théâtre. Gérard Darmon est impressionnant de naturel tout au long de cette pièce. Il est à l’aise dans tous les registres, autant dans la simplicité du quotidien, dans la gestion de la crise, que dans l’aveu et la contrition. Depuis sa folle histoire d’amour avec Mathilde, il a la cœur boiteux et il s’est replié sur lui-même. Les déboires de Chloé vont le remettre face à ses propres souvenirs qu’il avait soigneusement enterrés. La simplicité de jeu de Gérard Darmon est d’une force magistrale qui rend crédible la moindre de ses expressions. Comme l’adaptation du roman d’Anna Gavalda est fort bien dialoguée, Darmon dispose d’une large palette qui lui évite de ne jouer que d’un seul ton. L’humour, sous forme de brèves saillies, est très présent dans ce huis-clos. Il constitue autant de petites bulles d’oxygène salvatrices pour alléger la tristesse ambiante symbolisée par Chloé. Darmon est tout simplement grandiose.
Quant à Irène Jacob, une actrice qu’on ne présente plus, trop rare parce qu’exigeante, une actrice qui fait des choix difficiles avec des rôles très intériorisés, habités, le personnage de Chloé était du sur-mesure pour elle. Or, elle apparaît un peu étriquée dans ce costume. Le problème, c’est qu’il est presque impossible d’en déterminer la raison. Est-ce que c’est Patrice Leconte qui lui a imposé de jouer Chloé quasiment en permanence un ton en dessous ? Certes, c’est une femme en souffrance, mais même ses colères semblent retenues. Elle devrait au contraire exploser face à cet homme qui lui rappelle la trahison de son mari. Et puis elle adopte un ton de voix à la limite de l’inaudible. Elle marmonne trop souvent, ce qui, au théâtre, n’est pas l’idéal pour le spectateur. Personnellement, je pense que ce n’est qu’un problème de direction d’acteur.
Je n’ai pas encore évoqué la deuxième partie de la pièce où, là, la mise en scène est tout-à-fait réussie. Lorsque Pierre évoque sa passion amoureuse et les principaux épisodes qui l’ont émaillée et inscrite dans le temps, Mathilde apparaît en autant de flash-back. Et Mathilde, c’est quelque chose ! On comprend qu’un homme s’en éprenne follement. Noémie Kocher apporte à Mathilde une présence lumineuse. Belle, vivante, exaltée, féminine en diable, débordante de sensualité, chacune de ses apparitions est une plus-value. En plus, comme elle n’intervient qu’à, différentes étapes de leur relation, elle ne porte jamais la même tenue. Ce qui est logique. Et à chaque fois, la costumière, Cécile Magnan, lui a dessiné des robes qui la mettent merveilleusement en valeur. C’est bien sûr intentionnel, mais c’est aussi en opposition et au détriment du personnage de Chloé qui, toute à sa souffrance, néglige toute coquetterie et se comporte plus comme un oiseau mazouté qu’un objet de séduction.
Reste le fond. Je l’aimais est une variation sur le couple et la gestion de l’adultère. Quand on a le bonheur de croiser la passion amoureuse, faut-il ou ne faut-il pas quitter ? Faut-il adopter la conduite du fils de Pierre sans tenir compte des dégâts colatéraux ? Faut-il taire ses sentiments, renoncer à sa liaison, et rentrer dans le rang ? Où est le courage, où est la lâcheté ? Cruel dilemme auquel on ne peut répondre sous peine de s’embarquer dans des analyses fumeuses qui se résument le plus souvent à convenir que, dans ces cas de figure, les femmes se montrent bien plus courageuses que les hommes. Finalement, la conclusion, elle est toute bête, et c’est Pierre qui l’apporte en lâchant ce constat qui coupe court à toute discussion : « C’est pas facile d’avoir tout bon »…
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