jeudi 10 mars 2016

Joyce Jonathan "Une place pour moi"

Polydor / Universal Music
  
Après avoir d’abord été Sur ses gardes (ce qui est logique lorsqu’on se lance dans la chanson), Joyce Jonathan, rassurée par le succès, a démontré qu’elle avait du Caractère. Et pas qu’un peu ! Aujourd’hui, six ans après ses débuts, elle sort un nouvel opus au titre à deux niveaux de lecture : Une place pour moi
Doit-on l’entendre dans une forme affirmative ? Oui, si elle estime qu’elle s’est désormais à la fois bien installée dans le peloton de têtes de nos meilleures artistes féminines, et parfaitement calée dans une vie personnelle tout à fait acceptée… Ou bien faut-il y ajouter un putatif point d’interrogation ? Oui aussi, surtout si on lit attentivement le texte de cette chanson-titre où elle évoque son manque d’assurance face à certaines situations et ses inquiétudes quant à « la place » qu’elle occupe au sein du couple.

Joyce Jonathan est complètement en phase avec son temps, avec son époque, avec son âge. Tout ce qu’elle écrit fait sens chez les jeunes gens de sa génération, et plus particulièrement chez la gent féminine. En effet, Une place pour moi est un livre ouvert. Joyce y décrit avec sensibilité et acuité (presque) tous ses états d’âme et ses états d’esprit. Ses études de psychologie lui permettent d’analyser avec beaucoup de finesse les méandres de sa vie amoureuse ou sociétale. Niveau introspection, elle est inégalable. Elle possède l’art de trouver les mots, la formule et les images qui traduisent ses sentiments les plus intimes. Des sentiments qui, par le truchement de ses chansons, touchent le plus grand nombre et s’avèrent universels. Ses joies, ses peines, ses souffrances, ses interrogations, ses rêves, ses inquiétudes, sont largement partagés par Les filles d’aujourd’hui
Il est d’ailleurs révélateur que Les filles d’aujourd’hui, duo qu’elle interprète avec Vianney, soit la chanson qui ne soit pas écrite à la première personne. Dans les onze autres, elle emploie systématiquement le « je ». Elle est donc impliquée dans tout ce qu’elle confie et raconte… Il y a dans le livret de cet album, une particularité que j’ai particulièrement appréciée, c’est que chaque titre est daté. La première chanson a été écrite en février 2014, et la toute dernière fin juillet 2015. Ce sont dix-sept mois de sa vie qui nous ainsi livrés, dix-sept mois au cours desquels elle est passée par différentes phases.


Les trois chansons écrites début 2014 tournent autour d’un seul thème : la rupture. Elle évoque ses sensations de mal-être, de « vide » ; même si la raison tente de l’emporter sur la déprime, elle ne peut éviter langueur et mélancolie (Je plonge). Ce déséquilibre affectif, on le retrouve dans Une place pour moi. Puis, la lumière commence à poindre au bout du tunnel. Elle cherche à comprendre les pourquoi de la séparation et commence à l’accepter. Une page vient de se tourner, la suivante, toute blanche, s’appelle solitude et, bien qu’elle soit encore un peu  obsessionnelle, elle assume (Je ne veux pas de toi).

Ce n’est que plus de neuf mois plus tard qu’elle est capable de reprendre la plume. Visiblement, le cœur n’est pas complètement cicatrisé. En janvier 2015, elle dresse un constat de son échec amoureux. Encore en pleine tourmente morale, les mots qu’elle emploie sont durs : « solitude, jalousie, aigreur, rancoeurs »… Elle subit encore la torture chinoise de la goutte d’eau. Le même leitmotiv « Tu m’as remplacée » lui vrille toujours la tête (Des fuites d’eau)… Pourtant, à peine deux jours plus tard, changement radical de ton et d’humeur. Même si elle culpabilise bizarrement d’aller mieux et « d’être heureuse », on devine que le temps a commencé son œuvre. L’hiver va faire place au printemps. La fleur de la rédemption ne va pas tarder à bourgeonner (Sans toi)… La fleur de la rédemption s’épanouit. Joyce entre en réaction. Elle pense toujours à lui, mais elle reprend son destin en mains. Le mot « pardon » n’est pas cité, mais on le devine en filigrane. Elle va jusqu’à se déclarer forte pour deux (Je tiens les rênes)…

Avec le mois de mai, le printemps est là. L’amour, l’amour, l’amour brille de nouveau. Le soleil sèche ses « jours de pluie » et réchauffe son « désir », un sourire vient effacer sa « triste mine ». Profession de foi, déclaration d’amour, elle se trouve à cette délicieuse croisée des chemins où l’on cherche à définir sa propre identité à travers l’autre jusqu’à s’engager sur la voie de la révélation. Le chemin qu’elle a emprunté semble être le bon… Le mois de juin 2015 est prolifique. Trois chansons ! Dans Si un jour, le mot « si » est essentiel. Toujours cérébrale, elle étudie sa relation avec pragmatisme, livrant une sorte de texte « le couple, mode d’emploi », basé sur le dialogue et la franchise… Le titre suivant, Je cours, en est le prolongement logique. Là encore, elle s’immerge dans l’analyse comportementale. Cette chanson, qui ressemble fortement à du Françoise Hardy, balance et navigue entre gestion du couple et de la solitude. Pour tolérer ce mouvement perpétuel, elle ne trouve son échappatoire que dans la course, remède pour se vider le cœur et la tête…


Enfin, la fleur de la rédemption fleurit. Forte d’un superbe aphorisme, « Le bonheur, c’est pas le but mais le moyen », Joyce a enfin le droit de se laisser aller à l’optimisme, à plus de légèreté. Elle ouvre seulement les vannes et se détend. Le bonheur est une chanson joyeuse et entraînante. La plus positive de l’album… Maintenant que les vannes sont ouvertes, Joyce peut se lâcher et déclarer en souriant : « Je me jette à l’eau ». Elle va pouvoir s’y laver et se débarrasser enfin de toutes ces scories qui lui ont pollué le cortex. C’est la résurrection, c’est une femme neuve qui « repart à zéro » et qui, pleine de bonnes résolutions, reprend goût à la vie et fait confiance à l’avenir.

Bref, vous l’aurez compris, j’ai beaucoup, beaucoup aimé ce troisième album de Joyce Jonathan. Son écriture est intelligente, efficace et ses mélodies sont au diapason. Une place pour moi est une tranche de vie d’une jeune femme de 25 printemps. A la fois très personnelle et complètement universelle. C’est un album homogène, très féminin, fort d’une analyse très pointue des relations de couple. Joyce est une fine observatrice, elle est en permanence dans la réflexion et dans l’introspection. Ce n’est sans doute pas facile à vivre au jour le jour mais, en tout cas, ça génère de fort jolies chansons. On ne peut qu’aimer sa grande sincérité, son hyper lucidité et apprécier la confiance qu’elle nous fait en partageant avec nous cette parenthèse de vie.
Je suis convaincu que, vu sa façon d’appréhender son quotidien, elle va avoir très vite de la matière pour écrire, composer et nous proposer d’autres pages du roman de sa vie.

Pour l’anecdote, mes trois chansons préférées sont Je plonge, L’amour, l’amour, l’amour et Je cours

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