Lucernaire
53, rue Notre-Dame des Champs
75006 Paris
Tel : 01 45 44 57 34
Métro : Notre-Dame des
Champs / Vavin
D’après Cervantès
Mise en scène de Jean-Laurent
Silvi
Création technique de Robin
Laporte
Costumes de Joan Bich
Avec Sylvain Mossot (Don
Quichotte), Axel Blind (Sancho Pança), Barbara Castin (L’intervieweuse / la
princesse Micomicona), Anthony Henrot (Le maître de cérémonie / Cardénio)
Présentation : Si l’on vous dit « cheval », « Moulins »,
« Sancho Pança », vous direz « Don Quichotte », sans doute.
Vous êtes instruits. Et si l’on vous demande un peu plus que ça, la fameuse « Dulcinée »
peut vous venir à l’esprit. Et après…
Tout le monde connaît le chef d’œuvre
de Cervantès, bien entendu. Mais soyons francs, combien l’ont lu ?
C’est un plongeon dans l’histoire,
et dans le ton, de cette parodie de romans de chevalerie qui a passionné le monde
entier qui vous est proposé. Quand un gentilhomme campagnard décide de remettre
la chevalerie errante en état, des siècles après, pour redresser les torts et
ressusciter l’Age d’Or, ou quand le monde l’apprend… souvent à ses dépens.
Mon avis : J’avoue que je ne connaissais que la partie émergée
de l’énorme iceberg Don Quichotte
de Cervantès. C’est qu’il faut se les coltiner les deux tomes de chacun près de
600 pages ! J’étais donc très curieux de découvrir à quelle sauce le
célèbre « chevalier à la triste figure » allait être accommodé dans
ce qui était sous-titré comme étant une « farce épique ». J’aime bien
ces deux mots, « farce » et « épique », et de les voir
ainsi associés m’était plutôt alléchant. Et puis, le fait qu’elle soit
programmée au Lucernaire était un gage de qualité intellectuelle…
La scène est quasiment vide. Des
cubes sont les uniques éléments de décor,
ce qui permet de donner libre cours à notre imagination et se mettre ainsi en
phase avec les délires fantasmagoriques de Don Quichotte. Dès qu’il nous
apparaît, il est tout à fait conforme à l’image de son héros tel que l’a décrit
Cervantès. Longue silhouette, le cheveu hirsute, le regard clair tantôt résolu,
tantôt halluciné, et une très belle voix grave. Il a le geste et le langage
grandiloquents. Il n’y a que l’endroit où on le découvre qui nous désarçonne un
tantinet : il se trouve sur… un plateau de télévision où il est interviewé
par une accorte journaliste. C’est déjà complètement anachronique et absurde et
c’est très bien comme ça.
Cette trouvaille de mise en scène
est une très bonne astuce, d’autant qu’elle va revenir régulièrement. Les
questions que pose la jeune femme nous aident en effet à synthétiser l’œuvre et
à en présenter les principaux personnages vus par Don Quichotte. Ensuite, la
pièce va alterner entre entretiens et « fragments » des aventures du
chevalier errant. Ce découpage original permet de donner du rythme aux
différents tableaux.
Les différents fragments mettent
en lumière l’opposition des personnalités de l’Hidalgo et de son écuyer Sancho
Pança et, surtout, l’évolution psychologique de ce dernier. Les deux caractères
sont remarquablement dessinés. Quichotte est habité, exalté, inconscient du danger,
limite paranoïaque (paranoïa : sentiment d’avoir raison contre le monde
entier). En même temps, il est totalement sincère dans sa mission de sauver le
monde, la veuve et l’orphelin… Quant à Sancho, c’est le bon sens paysan. Il est
simple (mais pas simplet), pragmatique, conciliant. C’est un brave homme qui a
toujours envie de bien faire. Parfois pourtant, Quichotte se montre tellement
persuasif en commentant ses visions à la façon d’un reportage sportif qu’il
réussit à les faire se concrétiser dans l’imaginaire de Sancho. Ce qui donne
lieu à de jolies scènes. Pour moi, la plus forte, c’est celle où Sancho se
révolte. On voit alors combien les péripéties, souvent douloureuses ou
violentes, qu’il a traversées l’ont enrichi intellectuellement… La séquence qui
donne lieu à un invraisemblable dialogue de sourds entre Quichotte, Sancho et
Cardénio constitue elle aussi un grand moment de comédie burlesque.
Il y a certes des moments un peu
plus laborieux, des gags répétitifs, des baisses (rares) de régime, quelques
outrances. Mais dans l’ensemble le pari est réussi. De toute façon, même si Don
Quichotte est une œuvre populaire, elle n’est pas si accessible que ça. Il faut
rester attentif et concentré. L’énergie dépensée par les acteurs nous y aide
amplement.
Les deux comédiens qui incarnent
Don Quichotte et Sancho Pança, Sylvain Mossot et Axel Blind, sont impeccables,
tant physiquement, que dans leur jeu. Ils forment un formidable duo. Et ils
sont remarquablement épaulés par Barbara Castin et Anthony Henrot.
Il est vrai que c’était une
sacrée gageure que de compacter ainsi, 400 ans après sa sortie, le pavé de
Cervantès. L’esprit du livre est tout à fait respecté. On en a simplement
extrait le suc. Ça nous suffit amplement pour comprendre le message.
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