Théâtre
Michel
38, rue des Mathurins
75008 Paris
Tel : 01 42 65 35 02
Métro : Madeleine /
Havre Caumartin / Auber
Une pièce de Didier
Caron
Mise en scène par Didier Caron et Christophe
Luthringer
Décor de Marius Strasser
Lumières de Florent Barnaud
Costumes de Christine Chauvey
Son de Franck Gervais
Avec Christophe
Malavoy (Léon Dinkel) et Tom
Novembre (Hans Peter Miller)
L’histoire :
Nous sommes au Philarmonique de Genève dans la loge du chef d’orchestre de
renommée internationale, Hans Peter Miller.
A la fin d’un de ses
concerts, ce dernier est importuné à maintes reprises par un spectateur
envahissant, Léon Dinkel, qui se présente comme un grand admirateur venu de
Belgique pour l’applaudir.
Cependant, plus
l’entrevue se prolonge, plus le comportement de ce visiteur devient étrange et
oppressant. Jusqu’à ce qu’il dévoile un objet du passé…
Qui est donc cet
inquiétant monsieur Dinkel ? Que veut-il réellement ?
Mon
avis :
Pour sa première pièce dramatique, Didier Caron a fait fort, très fort. Jusqu’à
présent, il nous avait séduits avec des pièces de mœurs chorales dans
lesquelles il glissait subtilement de sérieuses réflexions, cette fois il
réduit considérablement la voilure en ne convoquant que deux acteurs sur scène.
L’exercice était délicat car il ne pouvait pas se reposer sur le nombre et
distraire notre attention avec un ou deux personnages plus amusants que les
autres. Là, il s’agissait d’étayer, d’apurer, de gratter la chair au plus près
de l’os… Que Didier Caron se coltine au drame n’a en fait rien de surprenant.
C’est une suite et un désir logiques. Déjà, dans Le Jardin d’Alphonse il avait abordé quelques thèmes plus profonds
comme la relation parents-enfants et les comportements passés inavoués… Il est
donc en parfaite cohérence intellectuelle.
Fausse
note
est une réussite totale. Tant dans sa construction, dans la psychologie de ses
personnages et dans ses dialogues. Il nous place dès le début dans un état
d’esprit où la curiosité se le dispute au malaise. On sent tout de suite que la
visite Léon Dinkel (Christophe Malavoy) n’est pas anodine. Il est trop patelin,
trop poli, trop doucereux, trop flatteur pour être sincère. On voit bien qu’il
a une idée derrière la tête, on sent venir le coup fourré. Et le moment qu’il a
choisi est le plus opportun car Hans Peter Miller (Tom Novembre) est trop
fatigué, trop pressé de rentrer chez lui et trop obnubilé par sa récente
promotion pour être sur ses gardes. Il est donc très facile pour Dinkel de
jouer avec ses nerfs et de le manipuler.
Progressivement, grâce à
des informations livrées au compte-gouttes, Dinkel se fait à la fois de plus en
plus précis et de plus en plus mystérieux. Si bien que le suspense ne cesse de
grandir jusqu’à devenir oppressant tant pour nous que pour ce
« pauvre » Miller. Pourtant, la suite est totalement prévisible. Nous
ne sommes pas idiots : on devine que c’est le passé en la personne de
Dinkel qui vient de frapper à la porte de sa loge. On pressent que la guerre et
le nazisme ne sont pas encore très loin pour cette génération.
Au fur et à mesure que
les éléments du puzzle se mettaient en place, on voyait poindre une tragédie
ancienne, indélébile. Mais la force de Didier Caron est de ne pas nous emmener
au dénouement en ligne droite. Il s’ingénie à brouiller les pistes ou, plutôt,
à brouiller les sentiments de l’un et de l’autre. Il nous embarque dans une
direction puis, soudainement, il en prend une autre, nous laissant
décontenancés. On a à peine le temps de comprendre sa logique, qu’il nous sème
de nouveau sur le chemin de la compréhension. Il est pervers le garçon !
En fait, il agit sur nous de la même façon, avec le même machiavélisme que
Dinkel vis-à-vis de Miller. Il est comme un pêcheur ; il nous a ferrés, et
profitant de ce que nous sommes accrochés bien solidement, il laisse parfois un
peu de mou pour nous détendre et, sans prévenir, il nous redonne un grand coup
de tension dans les branchies. Bonjour le confort intellectuel ! Car,
jusqu’au bout, Dinkel et lui vont nous balader…
Fausse
note
est un formidable jeu de piste(s), un affrontement en huis-clos
particulièrement stressant. Personnellement, j’ai songé plusieurs fois au thème
de Il était une fois dans l’Ouest et
à la confrontation entre Henry Fonda et Charles Bronson.
C’est là qu’il faut
parler de la double prestation de Christophe Malavoy et Tom Novembre. Quelle
performance d’acteurs !.Christophe Malavoy joue tout en nuances et
sobriété. Il est sûr de son fait, totalement habité par la mission qu’il s’est
fixée, il a préparé son plan on ne peut plus méthodiquement. Dans cette
bataille, c’est lui qui possède tous les as. Alors, il peut se permettre de la
jouer avec un certain flegme. Plus Miller s’énerve, plus il est calme.
L’opposition de styles est frappante… En revanche, le jeu imposé à Tom Novembre
est bien plus complexe. Il doit être sans cesse en réaction. Il passe par tous
les états d’âmes : agacé, contrarié, impatient, en colère, désorienté,
impuissant, résigné, vicieux, vaincu… Il est impressionnant dans tous les
registres. A la fin, il nous livre une composition qui nous laisse complètement
scotchés au fauteuil.
Ce binôme de comédiens
est confondant d’authenticité.
Fausse
note
nous offre une partition parfaite, remarquablement écrite, composée et
interprétée. Elle aborde des thématiques aussi fortes que la responsabilité, la
relation père/fils, le rapport à la foi (superbe diatribe à ce propos dans la
bouche de Dinkel), la vengeance, le pardon, la résilience… Il est interdit d’en
dévoiler la fin, ou plutôt les fins, car Didier Caron nous trimballe jusqu’au
bout.
Même le titre, Fausse note, donne lieu, vous le verrez,
à plusieurs interprétations. En tout
cas, elle mérite un10 sur 10.
Gilbert
« Critikator » Jouin
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