vendredi 10 novembre 2017

Intra muros

La Pépinière Théâtre
7, rue Louis Le Grand
75002 Paris
Tel : 01 42 61 44 16
Métro : Opéra

Une pièce écrite et mise en scène par Alexis Michalik
Avec Jeanne Arènes (Jeanne), Bernard Blancan (Ange), Alice de Lenquesaing (Alice), Paul Jeanson (Richard), Fayçal Safi (Kevin)
Musicien : Raphaël Charpentier

Présentation : Richard, un metteur en scène sur le retour, vient dispenser un premier cours de théâtre en prison. Il espère une forte affluence, qui entraînerait d’autres cours - et d’autres cachets -, mais seuls deux détenus se présentent : Kevin, un jeune chien fou, et Ange, la cinquantaine mutique, qui n’est là que pour accompagner son ami. Richard, secondé par une de ses anciennes actrices – accessoirement son ex-femme - et par une assistante sociale inexpérimentée, choisit de donner quand même son cours…

Mon avis : Je me plais à penser que, quand il était petit, Alexis Michalik était féru de Meccano et de puzzles. Ce serait une explication rationnelle pour essayer de traduire ce qui se passe dans son cerveau lorsqu’il imagine la conception d’une pièce. En effet, il n’adore rien tant que d’ajouter un élément à un autre, élément qui, a priori, ne devrait pas s’emboîter avec le précédent mais qui, à l’arrivée, constitue un objet où tout se tient impeccablement. Il possède un esprit labyrinthique dans lequel il aime jouer à se perdre (et surtout à NOUS perdre) alors qu’il sait parfaitement comment gagner la sortie. Oui, visiblement, il aime jouer. Jouer dans toutes les acceptations du terme. C’est un pervers ludique, un sadique réjouissant, un vicelard jubilatoire.

Intra muros est la première pièce d’Alexis Michalik à laquelle j’assiste. En raison du mauvais vouloir d’un attaché de presse incompréhensiblement récalcitrant, je n’avais pas eu le bonheur de voir Le porteur d’histoire, Le cercle des illusionnistes et Edmond. Je suis tellement prétentieux que j’aime bien découvrir les artistes et les dramaturges à leurs tout débuts, pénétrer dans leur univers, l’analyser et, ensuite, les suivre tout au long de leurs aventures successives. Bien sûr, je blague. Je suis suffisamment fataliste pour admettre l’adversité…


C’est donc avec une réelle curiosité et une agréable excitation que je me suis rendu à La Pépinière Théâtre pour goûter enfin à du Michalik. J’ai vite compris ce qui faisait le succès du bonhomme. En fait, il aime bien nous embrouiller. D’abord en traitant plusieurs thèmes à la fois (le théâtre, l’enfermement, l’absence de communication, la filiation, la réinsertion…). Ensuite, en jonglant avec le temps, avec aujourd’hui et hier, en imbriquant la fiction avec la réalité. Et enfin, en nous faisant sans cesse passer du rire à l’émotion et réciproquement… Il est retors, le bougre, il faut le suivre. De toute façon, on n’a pas le choix, il nous emmène là où il veut avec, en permanence, le désir de nous surprendre et de nous captiver. Et dans « captiver », il y a aussi « captif ». Nous sommes pris en otages et, victimes du syndrome de Stockholm, heureux de l’être. C’est vrai, quand on commence à réaliser comment tous les chemins qu’il nous a fait emprunter se rejoignent, quand on découvre que les pièces apparemment disparates de son puzzle se juxtaposent admirablement, bref, quand on a réuni toutes les ramifications et que l’on comprend enfin qui est qui, on est à la fois bluffé et admiratif. Quelle belle et machiavélique histoire de destins croisés !


Certes, il y a quelques petites longueurs (c’est le défaut pardonnable inhérent à tout auteur trop prolifique), mais Intra muros est une pièce extra. Avec ses rebondissements et sa construction démoniaque, elle m’a fait penser aux meilleurs romans noirs et aux pièces policières de Frédéric Dard.
La mise en scène est maline et efficace. Avec sa succession de saynètes plus ou moins longues, le découpage est inventif et rythmé. Pour faire contre-poids avec quelques scènes réellement éprouvantes, Michalik a intercalé quelques plages de détente et glissé de francs moments de drôlerie. Ainsi, dans la salle, l’atmosphère, particulièrement tendue, est souvent transpercée par un éclat de rire. On est surtout fréquemment happé par l’émotion, une émotion positive parce que cette pièce touche profondément à l’humain… Et puis la fin est magistrale, étourdissante. C’est là qu’il nous donne le coup de grâce alors qu’on pensait avoir tout compris. Soudain, le jeu prend le pas sur la réalité, la fiction se substitue à la vérité. C’est la magie du théâtre, le bon plaisir d’un auteur qui se complaît à jouer les illusionnistes, d’un authentique porteur d’histoire…


Enfin, Alexis Michalik est secondé dans son exigence théâtrale par un quintette de comédiens absolument fascinants. Ils sont tous épatants. L’auteur leur a distribué à chacun(e) son moment de bravoure. On est complètement transporté à chaque fois. Le monologue de Kevin (Fayçal Safi), par exemple, m’a littéralement pris aux tripes. Il y a des scènes d’une rare intensité (la rencontre entre Kevin et son petit frère). Chaque prestation confine à la performance d’acteur. L’abattage de Jeanne Arènes qui incarne plusieurs personnages féminins est impressionnant. Ils sont vraiment parfaits tous les cinq. Les rôles, tous évolutifs, sont totalement incarnés. On ne ressent que de la tendresse pour eux. Quelles belles personnes ! Et quels acteurs !!!


Gilbert « Critikator » Jouin

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