dimanche 14 février 2010

Stéphane Guillon "Liberté surveillée"


Théâtre Déjazet
41, boulevard du Temple
75003 Paris
Tel : 01 48 87 52 55
Métro : République

Ecrit par Stéphane Guillon
Mis en scène par Muriel Cousin

Ma note : 7,5/10

L’argument : L’agitateur de Canal+ et France Inter Revient avec un nouveau spectacle. Stéphane Guillon ne se démonte jamais et dégaine ses petites phrases assassines avec pour seul objectif de plaire au public. Il raconte l’air du temps avec une féroce justesse.

Mon avis : Stéphane Guillon, je ne l’ai plus jamais perdu de vue – et d’oreille – du jour où je l’ai découvert, revêtu d’un costume rouge, au théâtre de la Main d’Or. C’était en 2003. La petite salle n’était pas pleine, mais il y avait déjà une super ambiance car Stéphane faisait déjà du Guillon. Il n’a pas changé son fonds de commerce, mais aujourd’hui, mis en lumière par les slogans « Vu à la télé » et « Entendu à la radio », la clientèle se presse dans sa petite boutique des horreurs. Quant à lui, il a énormément gagné en assurance. Il a affiné son personnage. Hier, il proposait, maintenant il impose. C’est à prendre ou à laisser.

Paupière lourde sur un regard clair, il se compose une tête à la Droopy. Attention, c’est un masque ! Souvent, son visage s’illumine d’un sourire ou goguenard, ou satisfait. Goguenard quand il sait qu’il est allé très loin et qu’il savoure les réactions du public ; satisfait quand sa composition et sa formule font mouche. Guillon, c’est la goutte de citron qui tombe sur l’huitre, l’huitre étant la cible politique ou médiatique qu’il s’est choisie. Face à son plateau de fruits d’amer, il ne s’attaque pas aux petites crevettes ou aux bigorneaux. Lui, il fait frissonner d’aigreur les belons ou les Gillardeau. Genre un chef d’Etat ou un directeur général du FMI. Ce qui est croquignolet, c’est que le dénominateur commun entre le sniper et ses têtes de turc, c’est la bonne ville de Neuilly. Stéphane Guillon et Dominique Strauss-Kahn y sont nés à quatorze ans d’intervalle et que Sarkozy en est devenu le maire quand « Phanou » avait 20 ans.

Trêve de digressions, venons-en à ce qui nous intéresse, le nouveau spectacle de Stéphane Guillon, baptisé Liberté surveillée.
Décor minimaliste : un fauteuil rouge, un guéridon et un bureau derrière lequel il viendra s’installer lorsque son sketch prendra des allures de tribune… Le fameux costume rouge est rangé dans la naphtaline depuis belle lurette, Guillon, très élégant, a adopté le noir. Noir comme son humour. Au moins, il annonce la couleur. Lorsque les dernières notes d’une superbe valse lente aux accents tziganes s’éteignent, Stéphane Guillon ne s’autorise pas de round d’observation. Il attaque bille en tête avec une imitation de Sarkozy. Ensuite, il se met à deviser, abordant différents sujets. Il rappelle et analyse les réactions suscitées par ses chroniques sur France Inter, s’attarde sur les difficultés à être humoriste aujourd’hui, il en remet une petite couche sur l’handisport, s’amuse à inverser les idées reçues… Et, évidemment, rend une nouvelle fois hommage à son publicitaire préféré, DSK, qui a fait de lui l’humoriste le plus craint et le plus détesté de France le 17 février 2009…
Mais, dans ce one-man show, Stéphane Guillon ne joue pas qu’au polémiste politico-social, il interprète également des sketchs. Ce qui lui permet de monter qu’avant de faire dans l’humour, il a voulu être comédien. Et là, il fait preuve d’un indéniable talent de composition. Ainsi, quand il incarne une sorte de deus ex machina distribuant leur point de chute à des nouveau-nés, il se montre impitoyable, provoquant ça et là dans la salle quelques « Oh » outrés qui doivent le réjouir… Le deuxième sketch appartient au domaine de la science (politique)-fiction. Sarko arrive au terme de sa seconde mandature et il se livre à une étude de ces deux quinquennats. Tel un prof dans un ampli, il arpente la scène, docte et cynique, illustrant ses argumentations avec des projections d’images sur un écran.
Stéphane Guillon sait aussi se montrer intimiste et humble. Après avoir inspecté le public, et l’ayant sans doute jugé digne de confiance, il décide de lui faire quelques confidences très personnelles. Il a 45 ans, un âge charnière et il commence à appréhender les effets négatifs du vieillissement dont le plus généreusement répandu est la presbytie (sauf chez les aveugles… ça va de soi, aurait souligné Brassens). Puis il bifurque vers les signes d’affaiblissement de la libido, épilogue d’un autre sketch dans lequel il interprète un homme plaqué par sa Catherine. Là, il s’en donne à cœur joie en se vautrant avec délectation dans une misogynie que, malgré tout, on devine plus jouée que réelle (il dit trop de bien de son épouse).
Le sketch suivant fait place à ce qu’est le vrai Stéphane Guillon. Flash back sur son enfance et son adolescence, sur l’époque où on l’appelait encore « Phanou ». Comment de cette tendre évocation il rebondit méchamment sur BHL, c’est tout le mystère de son esprit fécond. Stéphane Guillon n’a pas le droit de dévoiler trop longtemps sa sensibilité.
Quant aux deux derniers sketchs ils sont particulièrement réussis. Les idées de départ sont très originales : un directeur de prison présente l’univers carcéral ; un couple réussit à obtenir une audience avec Dieu pour essayer de Lui marchander leur échéance fatale. Je ne tiens pas à en révéler les méandres, les rebonds et les pirouettes pour vous en laisser découvrir tout le sel… et le poivre.

Si Stéphane Guillon a intitulé son spectacle Liberté surveillée, ce n’est pas anodin. Comme il repousse sans cesse les limites de son champ d’action, comme il a décidé de n’en prendre qu’aux plus puissants (le Président de la République, ses patrons à France Inter…), il a conscience d’être en permanence sur la corde raide. Mais sa liberté est à ce prix. Funambule sur le fil du rasoir, nombreux sont ceux qui sont à l’affût de son moindre faux-pas. Mais, en même temps, encore bien plus nombreux sont ceux qui attendent de lui qu’il continue à dézinguer les institutions et à dénoncer les dysfonctionnements de notre société. Il est libre, certes, mais on peut distinguer sur sa chemise noire le point rouge qui signifie qu’un tireur d’élite embusqué le tient dans sa ligne de mire. Stéphane le sait et ça l’excite encore plus. Son meilleur blindage, ce sont finalement ses principaux détracteurs qui le lui ont offert par leurs déclarations vengeresses.
Stéphane Guillon est le dernier maillon (pour le moment ; j’espère qu’il en viendra d’autres) d’une chaîne réunissant Desproges et Bedos. La filiation est prestigieuse. Le temps joue donc pour lui car le Pierre et le Guy sont aujourd’hui des icônes aussi intouchables qu’encensées. Cynique, insolent, provocateur, non-conformiste, excellant dans l’art de la mauvaise foi, Guillon c’est le poil à gratter dans cortex de l’establishment. Il est donc salutaire cet irréductible Gaulois échappé de son petit village de Neuilly…

jeudi 11 février 2010

Thé à la menthe ou t'es citron ?


Théâtre Fontaine
10, rue Pierre Fontaine
75009 Paris
Tel : 01 48 74 74 40
Métro : Blanche

Une comédie de Danielle Navarro-Haudecoeur et Patrick Haudecoeur
Mise en scène par Patrick Haudecoeur
Avec Nathalie Cerda, Jean-Luc Porraz, Isabelle Spade, Patrick Haudecoeur, Jean-Pierre Lazzerini ou Bob Martet, Edouard Prétet, Sandra Biadalla

Ma note : 7/10

L’histoire : C’est l’histoire d’une troupe de comédiens qui répètent une pièce de boulevard où il est question d’un gentleman cambrioleur qui s’est introduit chez une aristocrate. Tout y est : le cocu, l’amant dans le placard et les quiproquos attendus. Nous sommes à quelques jours de la première et rien n’est prêt. Les techniciens restent flegmatiques, la costumière est à côté de la plaque et la metteur en scène, nébuleuse, est débordée par les événements. Chez les comédiens, l’ambiance est électrique, l’actrice principale est au bord de la crise de nerfs à cause… du jeune premier, le fils du producteur ! Maladroit, timide, naïf et gaffeur, il fait ses premiers pas sur les planches. C’est parti pour être un vaudeville miteux joué par des acteurs calamiteux.
Le soir de la première arrive, et là…

Mon avis : Cette comédie est une pièce gigogne, c’est-à-dire une pièce dans la pièce. Mais on ne le réalise pas tout de suite. Quand le rideau se lève, on se laisse bientôt envahir par l’accablement devant la médiocrité du jeu des comédiens en présence, un couple improbable formé d’une aristocrate affublée d’un horripilant accent anglais et un jeune homme fadasse, pataud et maladroit qui rate systématiquement tout ce qu’il entreprend. Ses apartés face au public sont lamentables, il bloque sur une phrase toute simple… Et lorsqu’il renverse la tasse de sa partenaire, c’est la goutte (de thé) qui va faire déborder le vase et exploser la pièce. Soudain, Une voix jaillit du fond de la salle, une femme remonte la travée du théâtre et grimpe sur la scène. C’est la metteur en scène ! Et là, on comprend tout : nous sommes les témoins (privilégiés ?) des répétitions d’une troupe de théâtre qui prépare une pièce de boulevard. Le gros problème, outre le fait qu’ils ne sont visiblement pas prêts pour la première dont la date approche à grands pas, c’est qu’ils sont tous affligeants. En plus, un technicien (Robert) ne cesse de les perturber avec ses problèmes d’éclairage, quand il ne se permet pas de donner son avis quant à la mise en scène ; et une costumière (Brigitte) à la bourre qui vient régulièrement les déranger pour prendre à la va-vite des mesures inévitablement approximatives.
La comédienne principale (Sophia) est incontestablement celle qui a le plus de métier et qui pourrait éventuellement tirer son épingle du jeu si… si elle n’était pas tout le temps désarçonnée par une succession d’incidents le plus souvent provoqués par ce partenaire (Julien) qui lui est imposé, tout simplement parce qu’il est le fils du producteur. Or, plus mauvais comédien que lui, tu meurs… de rire. Bien que débordant de bonne volonté, il enchaîne gaffe sur gaffe, maladresse sur maladresse. Il y a également le comédien qui joue le mari (Richard). Lui aussi il est gratiné ! Il se la pète grave. Il est pédant, gommeux ; de sa voix outrageusement onctueuse, il pérore, propose des gags foireux, sort des jeux de mots pitoyables… Et puis il y a la metteur en scène (Clara), dotée d’un fort accent belge. Elle n’a aucune autorité sur sa troupe, et quand il y a un problème, elle boote en touche : « C’est un petit détail, nous verrons ça plus tard ». Toujours plus tard, si bien que le soir de la première arrive…

Avec ce deuxième acte, c’est la folie pure qui prend possession de la scène. A son entrée, Julien se pétrifie : il vient de découvrir la présence du public. Il n’avait même pas pensé qu’il allait devoir jouer devant des gens ! Passé ce moment, il se lance. C’est le skieur hors piste qui provoque une avalanche. Car, dès lors, les péripéties vont s’accélérer et prendre une tournure complètement dingue. Rien ne va plus, défaites vos jeux ! Les catastrophes s’enchaînent façon cartoon. La salle hurle de rire. Les hoquets couvrent les répliques…

Si vous voulez vous distraire sans avoir à vous prendre la tête une seconde, Thé à la menthe ou t’es citron ? est le spectacle idéal. C’est potache, mais ça fonctionne. Patrick Haudecoeur est tombé dans la marmite du burlesque quand il était petit. Il possède un art consommé de la situation grotesque et du quiproquo. Avec son air ahuri, il entraîne dans son délire une poignée de joyeux drilles qui ne reculent devant rien pour faire rire…
Mais pour camper d’aussi mauvais comédiens, il faut être sacrément bon. Ils déjouent ou sur-jouent en permanence. Ils ne sont pas une seconde dans la réalité. Ils ont fait leur l’adage « le ridicule ne tue pas », alors ils y vont à fond. Pendant une heure et demie, fascinés par leurs pitreries, vous ne pourrez qu’oublier vos soucis, le mauvais temps, les problèmes de circulation qui vous ont fait arriver ric-rac rue Fontaine après vous être garé à l’arrache. Même la neige qui s’est remise à tomber pendant le spectacle ne pourra effacer ce grand sourire enfantin que vous arborez en sortant… Qu’il soit à la menthe ou citron, ce thé-là, vous pouvez vraiment le consommer sans aucune modération.

mercredi 10 février 2010

Alexandra David-Néel "Mon Tibet..."


Théâtre du Petit Montparnasse
31, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 22 77 74
Métro : Gaîté / Edgar Quinet

Une pièce de Michel Lengliney
Mise en scène par Didier Long
Décor et costumes de Tim Northam
Avec Hélène Vincent (Alexandra David-Néel), Emilie Dequenne (Marie-Madeleine)

Ma note : 8/10

L’argument : Exploratrice, orientaliste, féministe, cantatrice, écrivain, Alexandra David-Néel voyage pendant quinze ans à la découverte des régions inexplorées du Tibet. A la fin de sa vie, autoritaire et fantasque, elle revit avec sa collaboratrice les aventures qui ont marqué son destin d’exception.

Mon avis : L’histoire commence avec l’arrivée dans la maison de Digne de la nouvelle secrétaire d’Alexandra David-Néel, Marie-Madeleine. Le salon n’est pas des plus accueillants. Il est dans un désordre indescriptible. Dans un coin, un fatras d’objets hétéroclites jonche le sol. On y distingue pêle-mêle des livres, une vieille TSF, une malle, un casque, quelques boîtes, des magazines, des classeurs, une béquille, etc… Et, comme mobilier, trois pauvres sièges disparates, une vieille chaise-longue, une petite table sur laquelle trône une Remington… Si le salon n’est pas franchement accueillant, que dire de la réception d’Alexandra David-Néel ? On sent que ça ne va pas être du gâteau pour une Marie-Madeleine impressionnée par l’aura de la vieille dame. Une vieille dame qui apparaît illico bien autoritaire et acariâtre. Il y a de quoi rebuter les meilleures volontés. On savait que la célèbre aventurière possédait un caractère bien trempé, mais son handicap – elle est percluse de rhumatismes qui l’empêchent de se déplacer – ne fait qu’accentuer encore son humeur bougonne. Mais si « la femme aux semelles de vent » ne peut plus se traîner qu’avec l’aide d’une canne et d’une béquille, son esprit, lui, vole avec toujours autant de vivacité et d’intelligence.
Voici donc le décor planté. D’un côté une femme très âgée, tyrannique, misanthrope, ronchon, impatiente, injuste ; de l’autre une jeune femme douce, réservée, patiente, tolérante, avide de savoir. C’est en fait la fameuse recette du tandem si apprécié au cinéma qui est appliquée dans cette pièce. Comment ces deux femmes vont-elles cohabiter, comment leurs sentiments respectifs vont-ils évoluer ?

La construction de cette pièce est remarquable. Elle est composée de va-et-vient incessants entre la maison des Alpes de Haute-Provence et les contreforts de l’Himalaya. On passe sans transition des petites tracas du quotidien (la maladie, les nuisances sonores extérieures…) à l’infiniment grand que sont le Tibet et la spiritualité. Les dialogues sont vifs, percutants, parsemés de métaphores. Le caractère de la vieille dame est à l’encan : avec une mauvaise foi confondante, elle passe elle aussi sans transition de la plus blessante causticité à la prévenance. Le texte est émaillé d’une quantité de réflexions savoureuses : « C’était un voluptueux, j’étais une cérébrale », dit-elle en parlant de son mari ; « Faut-il que l’amour tutoie la stupidité ! » ; « la tendresse est le meilleur terreau de l’amour » ; « Le repos me tue »… Quand ce n’est pas Alexandra David-Néel qui s’envole dans l’évocation de ses souvenirs, c’est Marie-Madeleine qui, voulant satisfaire sa curiosité, lui pose des questions dont les réponses constituent autant de passionnants flash-back. Il n’est pas besoin de connaître la vie de l’exploratrice-féministe-bouddhiste pour apprécier cette pièce à se juste valeur. C’est un bonheur de jeu et d’intelligence. Ce n’est pas ennuyeux une seconde. Alexandra David-Néel a connu un destin hors du commun. C’est une pionnière, une voyageuse infatigable qui, à l’âge de cent ans, se permet de faire renouveler… son passeport ! Un personnage unique !
Et pour le camper ce personnage, il fallait une comédienne elle-même hors norme. Bien servie par ce texte brillant avec ses descriptions emplies d’exotisme, ses répliques assassines, Hélène Vincent est formidable de bout en bout. En dépit de son handicap physique, elle déborde de vitalité. Le corps est usé, mais l’esprit demeure, ne serait-ce que dans la malice de son regard, ou les mimiques de son visage expressif. La performance est telle qu’elle mériterait de décrocher un Molière.
Afin que toute la saveur de ce jeu puisse ressortir dans tout son éclat, il fallait un contrepoids, un révélateur. Et Emilie Dequenne nous livre ici une prestation qui en dit long sur son potentiel. Pas facile d’exister face à cette grande dame qu’est Hélène Vincent. Et bien, elle est épatante. Modeste, calme et dévouée, elle parvient à devenir indispensable à la vieille dame. Elle évite avec grâce les boulets rouges qui lui sont adressés, esquive les propos agressifs, slalome entre les propos malveillants et parfois méprisants… Sa seule rébellion est lorsqu’on évoque son Algérie natale, une Algérie qu’elle revendique française. Alors qu’Alexandra David-Néel est pour la liberté des peuples.

Le tonnerre d’applaudissements qui salue les deux comédiennes à l’issue de la représentation vient couronner un grand moment de théâtre. Ce genre de théâtre qui nous rend plus riche ; plus riche de sensations, d’enseignements, de plaisir (on rit très souvent devant les saillies émises par la centenaire). C’est une pièce tous publics qu’il faut voir et qu’il faut recommander.

mardi 9 février 2010

L'autre Dumas


Un film de Safy Nebbou
Adaptation de Safy Nebbou et Gilles Taurand
D’après la pièce « Signé Dumas » de Cyril Gély et Eric Rouquette
Avec Gérard Depardieu (Alexandre Dumas), Benoît Poelvoorde (Auguste Maquet), Dominique Blanc (Céleste Scriwaneck), Mélanie Thierry (Charlotte Desrives), Catherine Mouchet (Caroline Maquet), Philippe Magnan (Le ministre Guizot), Florence Pernel (Ida Ferrier-Dumas), Michel Duchaussoy (le sous-préfet Crémieux), Roger Dumas (monsieur de Saint-Omer)…
Sortie le 10 février 2010

Ma note : 7/10

Synopsis : Alors qu’Alexandre Dumas et Auguste Maquet, son nègre littéraire, sont au sommet de leur collaboration, Maquet décide de se faire passer pour Dumas afin de séduire Charlotte, une admiratrice de l’illustre écrivain. Entre les deux hommes, l’affrontement est inévitable…

Mon avis : Ce qui passionnant dans ce film, c’est l’antagonisme entre les deux hommes. Autant Dumas est truculent, jouisseur, baffreur, baiseur, fier de lui et sans aucun complexe, autant Maquet est discret, effacé, coincé, fragile, timoré et raisonnable. Le film repose entièrement sur cette opposition entre un génie et un plumitif besogneux. Et la directrice de casting a réalisé le choix parfait en associant ainsi Depardieu et Poelvoorde. C’est simple, Depardieu EST Alexandre Dumas. Il en possède naturellement toute la démesure, l’emphase, les certitudes. Depardieu est magistral dans cette composition. Désormais, il sera difficile d’imaginer un autre comédien dans la peau du célèbre écrivain… Quant à Poelvoorde, il trouve en Auguste Maquet le genre de rôle pour lequel on ne pense pas automatiquement à lui. La performance est d’ailleurs là : Poelvoorde est tout au long du film dans la retenue, dans la sobriété. On ne l’a jamais vu ainsi et ça devrait ouvrir les yeux à d’autres réalisateurs. Poelvoorde n’est pas qu’un pitre, il dispose d’un tel éventail de jeu qu’il peut tout interpréter et se montrer parfaitement crédible.
Il nous fait pitié, on a tellement envie qu’il entre à son tour dans la lumière, que ce soit en littérature, en famille, ou en amour. Mais plus Dumas est tyrannique envers lui, plus il se replie sur lui-même. Ses rares tentatives de révolte sont si timides qu’on les sait d’avance vouées à l’échec.. Or, quand naît le quiproquo, lorsque Charlotte le prend pour Dumas et qu’il croise pour la première fois un regard admiratif posé sur lui, lui, l’honnête homme, il va mentir pour la première fois de sa vie. Pourtant on voit bien qu’il le regrette immédiatement. Mais il est monté dans le wagonnet du Grand huit et, prenant de la vitesse, il ne pourra plus en descendre. Poelvoorde, à l’égal de Depardieu, est formidable de justesse. En comédie, il n’est pas le nègre de Depardieu, il est à son niveau.
Ce qui est bien dans la réalisation de Safy Nebbou, c’est qu’il restitue également fort bien la relation très forte qui existe entre les deux hommes. Si Maquet éprouve visiblement une grand admiration pour son maître ès lettres, Dumas ne peut s’exprimer avec toute sa force qu’en présence de son vassal. Il lui.est nécessaire. Maquet est son filtre, le prisme à travers lequel il son imaginaire prend toute sa dimension. En fait, ils ont viscéralement besoin l’un de l’autre. Les deux profils psychologiques sont vraiment bien dessinés.
Mais il n’y a pas que ce formidable duo dans ce film. Il y a aussi de remarquables personnages féminins. Dominique Blanc tient son rôle avec finesse. A travers son jeu tout en malice, elle nous permet de mesurer combien Céleste est une femme très intelligente. Il faut qu’elle le soit pour exister au côté de ce monstre de Dumas. C’est un bonheur que de voir toutes les nuances qui s’étalent sur sa palette… Mélanie Thierry là encore ne fait que confirmer son évidente présence. Elle campe une Charlotte exaltée, volubile, enjouée ; c’est un véritable rayon de lumière… Catherine Mouchet, sans jamais en rajouter, donne à madame Maquet toute son autorité et son austérité. Ces trois femmes, chacune dans son registre, apportent une belle dimension humaine à ce film.
Sinon, au-delà de la confrontation entre Dumas et Maquet, on profite de la beauté de paysages normands parfaitement mis en valeur et la fête costumée donnée au château de Dumas est un grand moment de cinéma.
L’autre Dumas c’est du beau, du bon, du grand cinéma. Un film de comédiens, un film au casting impeccable. Autant Depardieu est énorme, autant Poevoorde est émouvant. L’ombre et la lumière… La vie, quoi !

lundi 8 février 2010

Nilda Fernandez


Nilda Fernandez… Nilda Fernandez !!! Sacré bonhomme ! Avec ce nouveau CD éponyme, il éclabousse la chanson française de son inégalable talent. C’est un des meilleurs albums que j’aie entendus depuis longtemps. Je suis allé jusqu‘au bout cherchant en vain une chanson qui soit un peu plus faible, un peu moins originale, un peu moins bien écrite… Bernique ! Comme chez Brassens « il n’y a rien à jeter » !
Nilda Fernandez est un être à part ; un des derniers grands aventuriers modernes. Anti-showbiz par excellence, il porte sur le système et ses marchands du temple un regard détaché et plein de malice. Il ne sera jamais le Rastignac de la chanson. Il poursuit son parcours, un pied sur la route, l’autre sur le bas-côté, prompt à emprunter le moindre chemin de traverse. Il ne regarde alors jamais en arrière, il avance, avide de nouvelles rencontres, curieux de nouvelles cultures. Ses pas le mènent en Argentine, en Russie, à Cuba… Il joue même sa carrière à la roulotte russe.
Pourtant, il y aura bientôt dix ans, en dépit de sa façon distanciée de se plier aux règles du jeu, il s’est fait rattraper par la patrouille : Grand prix de l’Académie Charles Cros et Meilleur espoir masculin aux Victoires de la Musique. C’était trop d’un coup. Pas son genre de s’installer dans un confort douillet. Alors, pas très académique, il a gardé les crocs et le statut d’Espoir. Le mot lui plaît. Il préfère être un éternel espoir qu’un con-primé.
Nilda Fernandez est un poète, mais un poète lucide. Il n’est dupe de rien. Don Quichotte n’est pas son modèle. Il va où bon lui semble.

Mais, surtout, là où Nilda Fernandez existe le plus et le mieux, c’est sur scène(*). Seul avec sa guitare, son double, sa prothèse; la maîtresse avec laquelle il s’accorde le mieux, il irradie l’espace de toute sa flamme. Sa voix, si reconnaissable entre toutes, caressante, feulante ou péremptoire, est mélodie. Et puis il y a sa façon d’être, toute simple, sans apparat, et sa manière de communiquer, toute simple, sans apparat. C’est un conteur né au verbe précis et imagé. Il fait de chacun de nous son confident, son complice, son ami. Il faut voir avec quelle ferveur le public – surtout les femmes – aime s’approprier ses mots pour les lui renvoyer amoureusement. Et tout le monde est heureux, nous et lui. C’est ça l’échange, le partage, la messe au sens laïc du terme. Nilda Fernandez, c’est la chanson à l’état brut, à l’état pur, la chanson dans son essence même. Une guitare, de jolies chansons, une voix unique et de l’amour, beaucoup d’amour. Et le tour (de chant) est joué.
Un seul mot le résume en tout cas : talent…
(*)Nilda Fernandez se produira à la Cigale le 12 avril.

Au fait, il serait peut-être temps de parler de l’album, de cette pure merveille. J’en fais des tonnes ? Que nenni ! Du miel pour trompes d’Eustache. Je vous jure que je suis objectif, que je n’ai pas été payé et que je n’ai pas fumé...
1/ Plages de l’Atlantique. C’est LE tube. Une chanson entraînante, mélodieuse à cœur, idéale pour la scène. Elle vous rentre dans la tête sans effraction et elle s’y installe. Refrain absolument imparable. C’est beau, c’est frais. Et puis, il y a quelques délicieuses séquences de guitare(s), ne serait-ce que l’intro.
2/ Plus loin de ta rue. C’est l’autre facette du pseudo matamore, la touche romantique. Interprétée avec une certaine retenue, une forme de pudeur. C’est tout doux, gentiment délicat. Le garçon a la rupture discrète, une manière faux-cul feutrée de prendre la tangente. L’écriture, avec ses variations sur les mots en « anse », est ciselée. Autre réussite, le mariage entre mandoline italienne et guitare.
3/ Laissez-moi dormir. Chanson d’ambiance, très tonique, qui cousine audacieusement avec la musique manouche, guitare énervée bien devant. Ça avance tout le temps, ça dépote. Ça fout la pêche alors que le pauvre gone émigré se désespère de la vie parisienne et de son agitation. C’est vif, léger et primesautier, on ne sent pas la fatigue du gars qui manque de sommeil.
4/ Je lui raconte. Plus qu’une chanson d’amour, Je lui raconte est un véritable poème d’amour. Quelle déclaration ! Quelle écriture ! « Elle prend mes yeux dans sa pupille », « Elle prend mes lèvres dans sa rivière »… On entend rarement des phrases de cette force dans une chanson. C’est magnifique qu’un homme puisse déclarer tout ça à la femme absolue. Et puis quelle sensualité ! Au-delà des mots que l’on savoure, il y a des images que l’on se projette. Et la mélodie, empreinte de douceur, épouse parfaitement l’intention (écoutez la vibration de la basse).
5/ Berceuse. Evidemment, Nilda ne nous a pas concocté une berceuse classique, conventionnelle. C’est une berceuse d’hidalgo qui s’apparente presque à une séguedille. Altière, fraîche et sautillante, je doute fort qu’elle ait des pouvoirs soporifiques sur le bambin. Il l’interprète comme s’il plantait des cotons-tiges en guise de banderilles. Avec une telle berceuse, « ce petit garçon-là » a sa destinée toute tracée : il sera toréador… Aïe, la la la la… A noter le délicat mariage entre l’accordéon et la guitare.
6/ Si tu me perds. Là encore la plume est mouillée à l’encre si sympathique de la poésie. C’est délicieusement mélancolique. Cette fois, c’est la peine qu’il a discrète. Par pudeur et/ou peut-être un peu par fierté, il ne va pas se mettre à pleurer des rivières, fussent-elles l’Amazone, mais juste un petit ru fragile et délicat. C’est plus retenu, mais la douleur est aussi présente. Mais, une fois de plus, il nous sort une pirouette de son sac à malices, en intervertissant le « tu » avec le « je », ce qui a le don de rendre la chanson encore plus troublante… Là aussi, superbe partie d’accordéon.
7/ Où tu habites. Dans cette chanson d’apparence éthérée, Nilda glisse quelques messages qui rendent le texte bien plus profond qu’il ne paraît à la première écoute. Mais à qui donc peut bien s’adresser cette chanson ? J’ai certes ma petite idée. C’est de Dieu qu’il s’agit. C’est son côté Catalan. Il L’interpelle carrément, il cherche où Il pourrait bien se cacher. Et c’est toujours très respectueux… Bien qu’il quémande une réponse, on sent que la démarche est illusoire. Et puis il y a le dernier couplet. Une merveille de subtilité, le raccourci magistral. Après tout, Dieu n’est-il pas sensé être en chacun de nous. A vos miroirs ! Avec les chœurs en anglais, cette chanson prend de fort jolies allures beatlelisantes.
8/ Le baiser sous le lilas. Ici, Nilda joue un peu au grand frère raisonnable et protecteur. Avec son expérience, il sait qu’il ne faut pas trop attendre de la vie, qu’elle comporte une grande part de cinéma et de mensonge. Alors, devant la frilosité et la fausseté des sentiments, il faut savoir apprécier les vraies valeurs toutes simples, comme un baiser sous le lilas. Avec son refrain swinguant, c’est une chanson qui fonctionne très bien sur scène.
9/ Le monde est ce qu’il est. C’est sans doute la chanson la plus réaliste parce que la plus descriptive. Attentif à l’évolution de la nature, Nilda plante un décor. C’est une petite page intime, qui part de l’infiniment petit, qui parle de choses que l’on ne voit presque pas. Quelle est la dimension d’un médiator qui vous échappe des doigts face à l’immensité insondable de l’univers ? Et pourtant, c’est ennuyeux de perdre son médiator. Comme tous les poètes, Nilda sait happer ce qui est beau sur terre, même si ce n’est pas grand-chose. Et tant qu’il y aura une fille qui tourne joyeusement autour d’un feu de brindilles, il y aura de l’espoir en la vie.
10/ Elle m’aimait plus. Cette fois, elle est finie la souffrance discrète. Une fois la rupture avérée, pourquoi envelopper sa peine dans du papier cadeau. Cette chanson est pleine de violence. Une violence qui sourd à travers des mots durs, des mots crus : « on se traîne », « on salit », « on tue », « rauques », « fuyait », « englauque », « morte chandelle »… Il exhale tout le fiel de son amertume. Il saigne de toute sa douleur… Et là encore, pirouette finale. C’est plus fort que lui. Le salut est dans le sursaut. Serait-il devenu un indécrottable optimisme ou un adepte de la méthode Coué ? Positivons !
11/ Derrière ma fenêtre. J’aime bien quand il fait le modeste : « Je regrette de ne pas être poète ni musicien ». Il est gonflé, lui ! Ce doit être du vécu, quand la muse se fait un peu tirer l’oreille et que l’on gratte nonchalamment sa guitare en attendant que Dame Inspiration cesse de bouder. Par défaut d’originalité, il nous étale sa culture, cite une sorte de florilège : Shakespeare, Apollinaire, le pont Mirabeau, les sanglots longs des violons, la fée Carabosse… Derrière ^sa fenêtre, pour meubler son attente, un contemplatif gamberge et dissèque ses états d’âme. Ça donne une chanson légère et amusante avec un arrangement plutôt cocasse et fringant. Une superbe chanson de fin. Rideau !

vendredi 5 février 2010

Michèle Bernier "Et pas une ride"


Théâtre de la Renaissance
19, rue René Boulanger
75010 Paris
Tel : 01 42 02 47 35
Métro : Strasbourg Saint-Denis

One-woman show écrit par Michèle Bernier et Marie-Pascale Osterrieth
Mis en scène par Marie-Pascale Osterrieth

Ma note : 7,5/10

L’argument : Après la trentaine épanouie, la quarantaine toujours aussi épanouie, voici la cinquantaine que l’on aimerait épanouie. Michèle Bernier est de retour avec la ferme intention de mettre une claque au temps qui passe et à tous ceux qui nous le rappellent…

Mon avis : Le Démon de Midi a remisé au placard, dans la naphtaline, ses cornes pointues et sa queue fourchue. A l’horloge biologique de Michèle Bernier, la petite aiguille affiche allégrement le 50. Enfin, quand on dit « allégrement », ce n’est pas le cas de tout le monde. Elle n’aime pas du tout ce chiffre, la Michèle. Mais alors, pas du tout. 50, c’est peut-être la vitesse maximum en ville, mais c’est pour elle le début de la décélération, le moment où l’on joue désespérément du frein moteur en abordant les premiers lacets de la pente descendante… Alors, maso pour maso, Michèle Bernier se projette déjà à la maison de retraite en un film d’anticipation dans lequel elle se vêt des atours d’une madame Doubtfire ; chevelure grise argentée et chien de compagnie… Mais cette image est trop affreuse, trop insupportable et elle bat rapidement… en retraite, balançant sa panoplie aux orties pour nous apparaître en ce qu’elle est véritablement aujourd’hui, une quinqua que l’âge et le temps qui passe horripilent. « je ne veux pas être vieille ! » clame-t-elle, complètement désemparée. Et la voici en train d’énumérer tous les méfaits causés par l’irréparable outrage (redoutable litote dont l’évident constat nous fait avoir une dent contre Racine). Haro sur la dictature de la jeunesse ! Et pourquoi pas succomber à la tentation de la chirurgie esthétique ?
Michèle Bernier va jusqu’à évoquer la mort et les obsèques qui vont avec. Elle va même jusqu’à préconiser l’enterrement… bio.
50 balais, c’est le nettoyage d’automne (il n’est hélas plus question de printemps). C’est le moment de faire le point. Après avoir lorgné du côté d’un futur peu jouissif, elle décide de regarder dans le rétroviseur et de revisiter les cinquante années écoulées. L’angoisse de vieillir fait place à la nostalgie et à la mélancolie.

Vous l’aurez compris, le spectacle de Michèle Bernier est scindé en deux parties. Dans la première, où elle est dominée par l’angoisse de – mal – vieillir, elle régit comme quelqu’un qui a peur, c’est-à-dire avec outrance et véhémence. C’est la Michèle Bernier débordante d’énergie et de tonus, qui prend des accents, des postures hilarantes, qui utilise des accessoires pour étayer ses raisonnements et ses exemples… Dans la seconde partie, c’est Mimi-la-tendresse qui reprend le dessus, qui feuillette son album de famille, des vacances dans la Meuse chez sa grand-mère au départ de son aînée du nid familial. Prise d’un grand élan de générosité, elle a envie de demander pardon à tout le monde, quitte à se flageller l’âme. Elle ne veut offrir que de l’amour… Cette deuxième partie est évidemment très autobiographique, autant drôle qu’émouvante. Elle lui donne du rythme grâce à l’utilisation de trois panneaux sur lesquels elle projette des images illustrant ses propos. Si on rit énormément dans la première partie, on se laisse plus aller à l’attendrissement dans la seconde. En fait, elle nous le fait à l’envers. La plupart du temps, ses collègues humoristes vont crescendo dans l’humour or, elle, elle va crescendo dans l’amour. Ce qui fait que lorsqu’elle arrive au terme de son show, on est en totale empathie avec elle. Et l’on repart avec le sourire du cœur.
Dans Et pas une ride, Michèle Bernier nous déplie tout l’éventail de son talent de comédienne. Elle sait tout faire, traduire tous les sentiments. Elle fait ce qu’elle veut avec sa voix, elle chante, elle danse. Un spectacle total. Avec deux grands pics de drôlerie : la mammographie et la basse-cour… Et maintenant, on se dit qu’il va encore falloir attendre dix ans pour découvrir dans quel état d’esprit elle va se trouver à l’heure de la soixantaine… Tiens-bon Michèle, on t’attend !

jeudi 4 février 2010

Je l'aimais


Théâtre de l’Atelier
1, place Charles Dullin
75018 Paris
Tel : 01 46 06 49 24
Métro : Anvers

Une pièce adaptée et mise en scène par Patrice Leconte
D’après le roman de Anna Gavalda
Décor de Ivan Maussion
Costumes de Cécile Magnan
Avec Gérard Darmon (Pierre), Irène Jacob (Chloé), Noémie Kocher (Mathilde)

Ma note : 7/10

L’histoire : Un homme, Pierre, d’une soixantaine d’années, dans une maison de campagne, seul avec sa belle-fille, Chloé, que son propre fils à lui vient de quitter. Mille morceaux éparpillés. Que Pierre va tenter de recoller…

Mon avis : D’abord, il faut mettre en avant le superbe décor construit par Ivan Maussion. Il est important, car ce salon très encombré – signe de vie - constitue le refuge dans lequel vont cohabiter deux naufragés de la vie, Pierre et sa belle-fille Chloé. Naufragée, Chloé, elle l’est. Et ça se voit. Pour ce qui concerne Pierre, c’est moins évident, c’est bien plus intérieur. D’ailleurs s’il a entraîné Chloé dans cette maison de campagne, c’est pour essayer de lui redonner le moral et, en même temps, prendre à son compte l’abandon de famille dont son fils vient de se rendre coupable. Pas facile à gérer quand on a face à soi une jeune femme pour laquelle vous symbolisez son échec affectif. Touchée, pas loin d’être coulée, Chloé est toute à sa détresse. Elle est maussade, grognon, agressive, abattue. Elle ne cesse de ressasser sa séparation. Elle ne peut absolument pas se faire à l’idée d’avoir été plaquée. Alors Pierre en fait des tonnes au niveau de la prévenance. On dirait presque que c’est lui le coupable. Il se montre patient, compréhensif, aimable, paternaliste. Il gère l’intendance de la maison, fait les couses, cuisine, assure le service… Bref, la Chloé n’a plus qu’à se concentrer sur son gros malheur et se vautrer dans son chagrin.
Et dès qu’elle retrouve un semblant de vigueur, c’est pour régler ses comptes avec Pierre, l’accabler de reproches, lui renvoyer son égocentrisme dans les dents. Pierre encaisse et déborde encore plus d’attentions. Jusqu’au moment fatidique où Chloé lui balance qu’il n’a jamais aimé personne d’autre que lui-même… Alors là, faut pas pousser. Notre Pierre a, enfouie en lui, une intense histoire d’amour adultérine qui ne demande qu’à ressurgir tel un geyser et inonder une Chloé stupéfaite d’apprendre que son beau-père avait aussi un cœur… et un sexe… Et il raconte, il raconte…. Il raconte son idylle flamboyante et lamentable (du moins pour ce qui le concerne) avec Mathilde, jeune femme libre et sensuelle. Il raconte sans prendre parti, façon reportage clinique dans lequel il n’a pas le beau rôle. S’est-il montré respectueux vis-à-vis de sa femme et de ses enfants, s’est-il montré d’une lâcheté toute masculine avec l’attendrissante et dévouée Mathilde ? La seule chose dont on soit sûr, c’est que cette aventure lui a laissé à l’âme une sacrée cicatrice. Une cicatrice que, à force de se faire titiller par sa belle-fille, il a vue se rouvrir violemment. Il fallait que ça sorte et que quelqu’un soit témoin de cette douloureuse résurgence.

Pierre et Chloé, deux beaux rôles pour le théâtre. Gérard Darmon est impressionnant de naturel tout au long de cette pièce. Il est à l’aise dans tous les registres, autant dans la simplicité du quotidien, dans la gestion de la crise, que dans l’aveu et la contrition. Depuis sa folle histoire d’amour avec Mathilde, il a la cœur boiteux et il s’est replié sur lui-même. Les déboires de Chloé vont le remettre face à ses propres souvenirs qu’il avait soigneusement enterrés. La simplicité de jeu de Gérard Darmon est d’une force magistrale qui rend crédible la moindre de ses expressions. Comme l’adaptation du roman d’Anna Gavalda est fort bien dialoguée, Darmon dispose d’une large palette qui lui évite de ne jouer que d’un seul ton. L’humour, sous forme de brèves saillies, est très présent dans ce huis-clos. Il constitue autant de petites bulles d’oxygène salvatrices pour alléger la tristesse ambiante symbolisée par Chloé. Darmon est tout simplement grandiose.
Quant à Irène Jacob, une actrice qu’on ne présente plus, trop rare parce qu’exigeante, une actrice qui fait des choix difficiles avec des rôles très intériorisés, habités, le personnage de Chloé était du sur-mesure pour elle. Or, elle apparaît un peu étriquée dans ce costume. Le problème, c’est qu’il est presque impossible d’en déterminer la raison. Est-ce que c’est Patrice Leconte qui lui a imposé de jouer Chloé quasiment en permanence un ton en dessous ? Certes, c’est une femme en souffrance, mais même ses colères semblent retenues. Elle devrait au contraire exploser face à cet homme qui lui rappelle la trahison de son mari. Et puis elle adopte un ton de voix à la limite de l’inaudible. Elle marmonne trop souvent, ce qui, au théâtre, n’est pas l’idéal pour le spectateur. Personnellement, je pense que ce n’est qu’un problème de direction d’acteur.

Je n’ai pas encore évoqué la deuxième partie de la pièce où, là, la mise en scène est tout-à-fait réussie. Lorsque Pierre évoque sa passion amoureuse et les principaux épisodes qui l’ont émaillée et inscrite dans le temps, Mathilde apparaît en autant de flash-back. Et Mathilde, c’est quelque chose ! On comprend qu’un homme s’en éprenne follement. Noémie Kocher apporte à Mathilde une présence lumineuse. Belle, vivante, exaltée, féminine en diable, débordante de sensualité, chacune de ses apparitions est une plus-value. En plus, comme elle n’intervient qu’à, différentes étapes de leur relation, elle ne porte jamais la même tenue. Ce qui est logique. Et à chaque fois, la costumière, Cécile Magnan, lui a dessiné des robes qui la mettent merveilleusement en valeur. C’est bien sûr intentionnel, mais c’est aussi en opposition et au détriment du personnage de Chloé qui, toute à sa souffrance, néglige toute coquetterie et se comporte plus comme un oiseau mazouté qu’un objet de séduction.

Reste le fond. Je l’aimais est une variation sur le couple et la gestion de l’adultère. Quand on a le bonheur de croiser la passion amoureuse, faut-il ou ne faut-il pas quitter ? Faut-il adopter la conduite du fils de Pierre sans tenir compte des dégâts colatéraux ? Faut-il taire ses sentiments, renoncer à sa liaison, et rentrer dans le rang ? Où est le courage, où est la lâcheté ? Cruel dilemme auquel on ne peut répondre sous peine de s’embarquer dans des analyses fumeuses qui se résument le plus souvent à convenir que, dans ces cas de figure, les femmes se montrent bien plus courageuses que les hommes. Finalement, la conclusion, elle est toute bête, et c’est Pierre qui l’apporte en lâchant ce constat qui coupe court à toute discussion : « C’est pas facile d’avoir tout bon »…