Théâtre de Paris
15, rue Blanche
75009 Paris
Tel : 01 48 74 25 37
Métro : Trinité
Roman écrit par Antoine Blondin
Mise en scène de Stéphane Hillel
D’après le film réalisé par Henri Verneuil, dialogué par
Michel Audiard
Adaptation théâtrale de Stéphan Wojtowicz
Lumières de Laurent Béal
Scénographie d’Edouard Laug
Costumes de Brigitte Faur-Perdigou
Avec Eddy Mitchell (Albert Quentin), Fred Testot (Gabriel
Fouquet), Evelyne Dandry (Suzanne), Gérard Loussine (Landru), Chloé Simoneau
(Marie-Jo), Stéphan Wojtowicz (Esnault)
L’histoire :
Gabriel Fouquet arrive un soir d’automne dans l’hôtel tenu sur la côte normande
par Albert Quentin. Une amitié va naître entre les deux hommes. L’un boit,
l’autre ne boit plus…
Mon avis : Sacré
défi à relever que de porter au théâtre Un
singe en hiver, roman magistral d’Antoine Blondin, et film culte d’Henri
Verneuil dialogué, qui plus est, par Michel Audiard ! Ce film a beau dater
de plus de cinquante ans, les personnages particulièrement hauts en couleurs
d’Albert et Gabriel, respectivement incarnés par Gabin et Belmondo, sont encore
gravés dans nombre de mémoires. Il fallait donc tenir compte de tous ces
paramètres pour cette adaptation théâtrale.
Disons-le tout net, cette pièce repose uniquement sur les
dialogues et le jeu des deux protagonistes principaux, Eddy Mitchell et Fred
Testot... L’ambiance est parfaitement recréée. Dès qu’on pénètre dans la salle
du Théâtre de Paris, on se retrouve sur un bord de mer typique du Calvados avec
ressac et cris de mouettes. Il ne nous suffit plus que de rentrer dans le
village à la suite de Gabriel Fouquet par un soir d’orage pour faire connaissance
avec Tigreville, son hôtel Stella et ses débits de boisson.
Grâce à un jeu de décors glissants, à l’instar de Gabriel,
un garçon qui a de la cuite dans les idées, on va pratiquer l’exercice
aventureux des bars parallèles. Et, en dépit de son effarante consommation de
Picon-bière, on peut dire qu’en tant que comédien, Fred Testot tient la
route ! Il a une vraie présence. Même si, parfois (est-ce volontaire ?),
il a des intonations à la Belmondo, il ne le parodie pas. Il possède
remarquablement son rôle, psychologiquement et physiquement (quelle
démonstration de flamenco !). Moins matamore que Bébel quand il fait le
singe en ibère, il tire plus sur la corde sensible. Il se prend certes pour un
toréador, mais c’est lui qui porte les cornes. D’où cette souffrance
inaltérable qu’il cherche en vain (en vin ?) à noyer dans l’alcool.
Heureusement, il a en lui une forme de fierté qui l’empêche de tomber dans la
tragédie. Gabriel a la picole buissonnière, réjouissante, partageuse, propice à
l’imaginaire. Des qualités qui ne peuvent que séduire cet alcoolique repenti
d’Albert.
Albert, c’est Eddy Mitchell… Suite à une promesse fait à sa
femme quinze ans plus tôt, Albert s’est rangé des bitures. Il fut pourtant un
sacré leveur de coude. Lui aussi avait l’ivresse onirique et flamboyante. Il en
a gardé une certaine nostalgie, mais avec le sens de l’honneur d’un ancien
fusilier-marin, il a définitivement renoncé à la bibine. Définitivement ?
C’était sans compter avec l’irruption dans son hôtel de Gabriel. L’effet miroir
est implacable. Albert sent monter en lui une irrésistible bienveillance, une
compréhension. Une solidarité même. Et un ardent désir de compagnonnage. Quand
on veut rêver de Chine, il est nécessaire de se remettre au jaune, au pastis,
quoi…
Eddy Mitchell attaque son rôle en sourdine. Ses gestes et
ses mots sont mesurés, contrastant avec les délires et la fougue de Gabriel.
Eddy commence son récital par une ballade ; mezzo voce. Puis, on le voit
prendre progressivement le rythme, se mettre à l’unisson, pour finir carrément
rock’n’roll. Il est très à l’aise dans ce registre-là, celui de la déconne
altière, celui des seigneurs de la défonce… Il y est à l’aise comme un glaçon
dans le whisky.
L’atout ce cette pièce, ainsi que je l’ai formulé plus haut,
c’est la qualité des dialogues peaufinés par Stéphan Wojtowicz. Il a eu la
malice de faire un cocktail avec les mots de Blondin et ceux d’Audiard. Il a
secoué et il a obtenu du « Blondiard » ! C’est vraiment de la
belle ouvrage pour les amateurs de jolies formules à la fois truculentes et
pleines de poésie… Stéphan Wojtowicz, qui campe d’ailleurs gaillardement
Esnault, le patron du Café Normand…
Bien sûr, les autres rôles sont un peu écrasés par les deux personnages
principaux. Mais chacun y apporte une touche personnelle. Les deux femmes sont
sympathiques, positives, touchantes, pleines de tendresse et de compréhension.
Gérard Loussine est toujours aussi bon et il compose, au moment du bouquet
final, un parfait troisième larron.
Il y a peut-être ça
et là quelques petites longueurs (par exemple l’histoire du pull over rapportée
par Landru), mais on se laisse facilement happer par cette belle histoire d’amitié
et par l’émotion qui nous gagne sur la fin.
J’ai eu le bonheur de fréquenter Antoine Blondin, de lui
rendre visite chez lui, rue Mazarine, et d’y petit-déjeuner d’un grand
Bourgogne en parlant rugby à côté du canapé ou Guy Boniface avait passé une de
ses dernières nuits. Je suis convaincu que, bien que modeste, il eût fortement
apprécié cette adaptation de son roman.
Gilbert « Critikator » Jouin
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