Théâtre Montparnasse
3&, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 22 77 74
Métro : Gaîté / Edgar Quinet
Une comédie de Georges Feydeau
Adaptée par Jean Poiret
Mise en scène par Agnès Boury
Décors de Sophie Jacob
Costumes de Mina Ly
Lumières de Marie-Hélène Pinon
Avec José Paul (Moulineaux), Sébastien Castro (Bassinet),
Philippe Uchan (Aubin), Véronique Barrault (La belle-mère), Guilhem Pellegrin
(Etienne), Caroline Maillard (Yvonne), Florence Maury (Suzanne), Maud Le
Guénédal (Rosa)
L’histoire :
Le docteur Moulineaux a passé la nuit dehors et sa femme, Yvonne, demande des
explications. Moulineaux prétexte qu’il était au chevet d’un mourant, un
certain Bassinet. Mais celui-ci vient justement leur rendre visite… frais comme
un gardon !
Mon avis : Tailleur pour dames est la première
grande pièce de Georges Feydeau. Il n’a que 24 ans lorsqu’elle est jouée au
Théâtre de la Renaissance en 1886. On trouve déjà tous les ingrédients qui ont
fait que cet auteur qui a donné, avec Labiche, ses lettres de noblesse au
vaudeville est régulièrement à l’affiche depuis cent-trente ans.
Cette pièce a été reprise en 1985 pour son centenaire avec
Pierre Arditi dans le rôle de Moulineaux, puis en 1993 avec Jean-Paul Belmondo.
Le parti pris de cette nouvelle adaptation est de s’en être
tenu au plus près de la version écrite par Jean Poiret. L’esprit de Poiret y
apporte une réelle modernité. Modernité dans laquelle se sont engouffrés avec
une évidente gourmandise les huit comédiens qui la portent aujourd’hui. Transcendée
par la complicité de ses protagonistes, la mécanique de la pièce bénéficie d’un
rythme incroyablement soutenu. Les situations, peu crédibles si l’on se montre
un tantinet cartésien, s’enchaînent sans aucun temps mort. Si bien qu’on laisse
immédiatement de côté toute velléité de pinaillage pour ne profiter que du jeu
des comédiens. Quiproquos farfelus, dialogues décalés, apartés savoureux,
rebondissements saugrenus… on ne nous laisse aucun répit.
La pièce repose totalement sur les épaules d’un José Paul au
summum de la maîtrise de la discipline si millimétrée du boulevard. On a très
vite une certitude : les mânes de Jean Poiret ont pris possession de son
corps. Le mimétisme, confondant, est tout à fait réjouissant. C’est fin,
subtil, et totalement assumé. Un bel hommage direct à ce remarquable auteur et
adaptateur.
José Paul qui, au passage, porte fort bien l’habit, ne ménage
pas sa peine. Il est de toutes les scènes, se dépensant sans compter, mais jamais
dans l’excès. Il est toujours juste. Il est parfait dans ce rôle d’insecte empêtré
dans la toile qu’il a lui-même tissée. Stakhanoviste de la mauvaise foi, il
empile les mensonges comme un enfant emboîte candidement ses Légos sans pouvoir
maîtriser une seule étape de la construction qu’il est en train d’ériger et
sans savoir à quoi ça va ressembler au final. En fait, il pose ses briques avec
acharnement sur des sables qu’il sait mouvants. Plus il s’agite, plus il s’enfonce.
José Paul peut se donner à fond dans cette débauche d’énergie
aussi morale que physique parce qu’il sait pouvoir compter sur une sacrée
bandes d’acolytes. L’investissement de chacun et chacune est tellement bien
huilé que cela donne un effet de troupe.
Les trois autres personnages masculins sont véritablement
épatants. On ne présente plus Sébastien Castro. Il est à Moulineaux ce que le
bout de scotch est au capitaine Haddock : impossible de s’en débarrasser.
Sébastien Castro excelle dans ces personnages de loser sympathique, craintif et
veule, manipulable, avec toutefois juste ce qu’il faut de malice pour surnager.
Tel un bouchon dans un torrent, il est balloté, il flotte tant bien que mal,
mais il ne coule jamais… J’ai adoré le jeu de Philippe Uchan. Quelle palette !
En effet, son personnage doit passer par tant de nuances. Il est tour à tour
arrogant, suffisant, pédant, macho, balourd, mais tout aussi inquiet, lâche,
crédule, volage. Son éventail de postures et de mimiques, d’une précision
chirurgicale, est entièrement au service de la pièce et de ses partenaires…
Guilhem Pellegrin incarne lui l’archétype du majordome de comédie. Il se mêle
de tout, il ne veut comprendre que ce qui l’arrange, il possède une haute
opinion de lui-même et, en même temps, il est totalement dévoué à son maître.
Une très jolie prestation.
Quant aux femmes, emmenées par une tonitruante et haute en
couleurs Véronique Barrault, elles tirent fort bien leur épingle du jeu. Il est
vrai que Georges Feydeau soignait plus particulièrement ses personnages
masculins au détriment, souvent, de la gent féminine (surtout dans ses
premières pièces. Mais Caroline Maillard, en épouse docile et malgré tout ce qu’elle
a subir, si peu velléitaire, Florence Maury en bourgeoise coquine et un peu
nunuche, et Maud Le Guénédal en femme libérée sont des rouages indispensables
pour que la pièce fonctionne parfaitement car ce sont elles qui sont les causes
de ce dérèglement et les instigatrices de multiples rebondissements.
Et puis, j’ai failli oublier de souligner la beauté des
costumes. Il est très agréable de voir évoluer des comédiens aussi bien mis.
Enfin, la mise en scène efficace d’Agnès Boury imprime cette
cadence ultra moderne qui offre à ce Tailleur
pour dames plus que centenaire un très agréable bain de jouvence.
Gilbert « Critikator » Jouin
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire