lundi 25 janvier 2016

L'envers du décor

Théâtre de Paris
15, rue Blanche
75009 Paris
Tel : 01 48 74 25 37
Métro : Trinité / Saint-Lazare / Blanche

Une comédie de Florian Zeller
Mise en scène par Daniel Auteuil
Décor de Jean-Paul Chambas
Lumières d’Alain Poisson
Costumes de Jean-Paul Chambas
Illustration sonore de Virgile Hilaire
Avec Daniel Auteuil (Daniel), Valérie Bonneton (Isabelle), François-Eric Gendron (Patrick), Pauline Lefèvre (Emma)

Présentation : Quand Patrick annonce à ses amis qu’il voudrait leur présenter la jeune femme pour laquelle il a quitté Laurence, tout le monde s’accorde à dire que c’est une excellente idée !
Mais l’apparition d’Emma aura l’effet d’une véritable tempête dans la tête de Daniel et Isabelle…

Mon avis : Cette pièce repose sur un seul et unique effet, mais il est d’une telle force et d’une telle originalité qu’il a largement de quoi nous distraire pendant une heure et demie : les comédiens énoncent tout haut ce qu’ils pensent tout bas dans le tréfonds de leur cerveau. Tout est exprimé dans le titre. Nous sommes les spectateurs clandestins et privilégiés de L’envers du décor. C’est toute la simple relation humaine qui est ici remise en jeu. Personne n’est dupe. On ne dit pas toujours ce que l’on pense vraiment. A cela, il y a plusieurs raisons : l’éducation, l’hypocrisie, la lâcheté, la protection, voire le respect, de l’autre.
Alors, lorsqu’une pièce nous donne à voir – et surtout à entendre – la réalité des choses, le résultat est on ne peut plus croustillant.


L’envers du décor est avant tout une prouesse d’acteurs. Nous sommes dans la configuration de la traduction simultanée à la télévision. Lorsqu’un comédien exprime une phrase, il en délivre en très léger décalage la réalité de sa pensée. Ce qui est alors énoncé ne concerne pas du tout le subconscient, c’est au contraire totalement conscient et assumé.
Tout de suite, j’ai eu en tête l’image du sketch de La Drague interprété par  Guy Bedos et Sophie Daumier avec son double niveau de lecture. Nous sommes en permanence dans cet état d’esprit. Bien sûr, avec le non-dit, on peut tout se permettre et aller très loin dans tous les domaines. Ici, il a plus d’importance et de véracité que la parole émise. Quel régal pour un auteur que de ne plus avoir de limites. Et quel bonheur pour des comédiens que de se prêter à ce savoureux exercice de style ô combien périlleux.

Ce procédé est un redoutable ressort de comédie. On ne peut qu’en rire, y compris à nos dépens. Florian Zeller nous invite à une véritable plongée en abîme dans les réels entrelacs des mentalités masculine et féminine. Daniel, le personnage que joue Daniel Auteuil est plutôt veule, pusillanime et velléitaire. Il louvoie et godille à vue sur l’océan houleux de ses fantasmes. L’effet est impayable… Quant à son épouse, Isabelle (Valérie Bonneton), elle est droite, directe, intransigeante. Leur opposition est une sorte de match de tennis mettant en présence quelqu’un qui lâche franchement ses coups (Isabelle) face à un adversaire qui n’emploie que ruse et coups tordus.


Inutile de préciser que, dans cette pièce, Daniel Auteuil a le beau rôle. Sa prestation est quasiment de l’ordre du one man show. Il fait appel à tous les tons de son immense palette d’acteur. Parfois il gesticule comme de Funès, parfois on entend des intonations à la Galabru. Et j’en reviens encore à Guy Bedos lorsqu’il profère des horreurs machistes dans son sketch Toutes des salopes. Nous sommes dans le même registre. Le mâle n’y apparaît pas sous son meilleur jour. Daniel se pare de nouveau des atours du séducteur, il se croit le plus beau, le chapon redevient coq. Jusqu’à ce qu’une insidieuse et superfétatoire jalousie ne vienne le ronger, si absurde qu’elle va jusqu’à mettre en péril son amitié de quinze ans avec Patrick (François-Eric Gendron)… C’est un véritable festival Auteuil. Il est en pleine clownerie. Les rires fusent, couvrant parfois certaines de ses réflexions intérieures. Il déclenche même les applaudissements en plein milieu d’un monologue !

Bien sûr, ses partenaires, surtout Pauline Lefèvre (pétillante à souhait) et François-Eric Gendron (sobre et conciliant), ne bénéficient pas, loin s’en faut, de la même exposition. Valérie Bonneton, dont le personnage ne pratique pas la langue de bois, a peu d’occasion de se livrer à un grand écart sémantique.
Et puis, au fur et à mesure que la pièce se déroule, lorsqu’on a parfaitement assimilé le principe de son auteur, les dialogues deviennent de plus en plus prévisibles. Il ne nous reste que le plaisir de profiter pleinement de la variété de jeu de Daniel Auteuil, véritablement étourdissant dans le registre de la comédie.

Cette pièce va marcher. Elle va attirer le grand public. D’abord parce qu’on y rit sans discontinuer, ce qui est toujours agréable par les temps qui courent. Mais, pour rester dans le registre recherché par l’auteur, on n’y rit pas sans arrière-pensées. Car tout est là : on y fait en permanence appel à ces fameuses arrière-pensées, à ce qu’on aimerait tant parfois dire tout haut mais que l’on garde enfoui au plus secret de soi.


Gilbert « Critikator » Jouin

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