Lucernaire
53, rue Notre-Dame des Champs
75006 Paris
Tel : 01 45 44 57 34
Métro : Vavin / Notre-Dame
des Champs
Ecrit et mis en scène par
Isabelle Jeanbrau
Musique composée et interprétée
par Daniel Jea (guitare) avec à la batterie France Cartigny ou Bertrand Noël ou
Maxime Aubry
Avec Benjamin Egner (le père), Karine
Huguenin ou Sandra Parra (la
fille), Matthias Guallarano (le
fils), Thibaut Wacksmann (l’oncle), Cécile Magnet (la grand-mère)
Présentation : Un noyau familial – le père, ses deux enfants,
l’oncle, la grand-mère – subit brutalement la disparition de la mère. Pour ne
pas en pleurer, les adultes s’engouffrent dans un tonitruant déni familial. La
désespérance mise au service d’une joie fausse qui veut tuer la mort. Quand
vingt années ont passé les enfants, devenus adultes, viennent réclamer l’urne
de la défunte pour l’enterrer. Mais personne n’est fichu de savoir où elle est
passée…
Mon avis : Quelle jolie pièce ! Nous sommes tous
tellement concernés par son sujet : comment gérer le décès d’un proche ;
à la fois personnellement et collectivement…
A la lecture de son résumé, on
pourrait craindre un mélo morbide, mais il n’en est rien. Tout ici est traité
simplement, naturellement. En fait, c’est une phrase du père qui pourrait en
synthétiser l’esprit : face à la mort d’un proche, « Chacun réagit
comme il peut ».
La pièce est divisée en deux
parties. La première expose la maladie puis la disparition de la mère, Anna.
Les enfants, Diane et Matthieu, sont encore jeunes. La mort est pour eux un sujet
abstrait. Ils sont encore dans l’insouciance. Le père essaie de les protéger « comme
il peut ». Avec une maladresse touchante, il fait de son mieux. En revanche,
la grand-mère, la maman d’Anna est dans une souffrance absolue. Elle ne
supporte pas que sa fille parte avant elle ; ce n’est pas « dans l’ordre
des choses ».
La deuxième partie nous entraîne
vingt ans plus tard. Les enfants sont devenus des adultes, le père a refait sa
vie mais la mère et le frère d’Anna sont toujours aussi présents. Diane et
Matthieu, désormais responsables, désirent apporter une sépulture à leur mère.
Mais, pour cela, encore faut-il mettre la main sur l’urne qui contient ses
cendres. Or, personne ne sait où elle est…
Le jeu et la mise en scène du Déni d’Anna sont d’une extrême finesse
et d’une grande sensibilité. J’ai tout de suite été happé par la façon dont
chacun gère le drame puis l’absence et comment il évolue. Construite avec une
succession de saynètes plus ou moins longues, la pièce est très rythmée. On ne
s’embarrasse pas de gros décors pour signifier où l’on se trouve. Une table,
deux petits lits, un réfrigérateur, deux pierres tombales… suffisent amplement.
Ce qui est le plus captivant, c’est
le jeu des cinq acteurs. Tout en subtilité. Tout autant que les mots, les
comportements respectifs ont une grande importance. La gestuelle propre à
chacun est dessinée au scalpel. Les détails son essentiels car ils nous
apprennent beaucoup.
Le pivot, l’âme de la pièce, c’est
le père. C’est son attitude qui exacerbe les réactions de son entourage. La
prestation de Benjamin Egner est époustouflante. Il compose un homme qui
ensevelit son chagrin sous l’hyperactivité. Il pousse à l’extrême une
maniaquerie chronique qui lui permet, en se concentrant sur les banalités du quotidien,
de décaler sa douleur. C’est un brave homme qui ne sait pas quoi faire pour
faire plaisir. Du coup, il en fait des tonnes et ça irrite tout le monde. Il
est fascinant. Fascinant et… drôle. Car on rit souvent dans cette pièce au
sujet si délicat. Certes, ce sont des rires brefs, mais ils sont tellement
sincères et spontanés.
Au côté de cette formidable
locomotive qu’est Benjamin Egner, chaque comédien se fond dans son personnage
avec une justesse impressionnante. Pour moi, Karine Huguenin et Matthias
Guallarano sont indissociables. Enfants, puis adultes, ils font preuve d’une
complicité sans faille. Ils passent d’un âge à l’autre sans aucun artifice. Il
leur suffit de changer subrepticement de timbre de voix, de démarche, de
contenance, et on oublie les enfants dociles et primesautiers qu’ils
interprétaient quelques secondes auparavant.
La composition de Cécile Magnet dans
le rôle de la grand-mère est également très aboutie. Submergée par sa souffrance,
elle pleure, geint, s’insurge violemment contre l’apparente désinvolture de son
gendre. Une seule chose lui apporte une parenthèse de répit dans son chagrin :
savoir ce qu’il va y avoir à manger. Il lui suffit de courber un peu l’échine et
de se déplacer plus lentement et, elle aussi, elle prend vingt ans de plus.
Quant à Thibaut Wacksmann, il nous fait presque peur avec sa fureur rentrée. Sa
façon de bouger nerveusement les jambes nous montre qu’il essaie de se contenir
et puis, soudain, il explose, devient d’une agressivité insupportable avec sa
mère. Sa voix forte et cassante, sa rudesse, son intolérance, constituent un formidable
contrepoint avec l’attitude psychorigide et la bienveillance naturelle de
François, le veuf de sa sœur…
Et puis, il y a un sixième
personnage qui a son importance dans cette pièce, la musique. Une guitare et
une batterie ponctuent et colorent les intermèdes. C’est mélodieux, discret,
agréable à entendre. Bref, indispensable au climat du spectacle.
Finalement, cette pièce est une
sorte d’hymne à la vie. Grâce au jeu des comédiens, à la mise en scène nerveuse
et inventive, la mort est tenue à distance. L’émotion se le partage avec le
rire. Le déni d’Anna emplit
parfaitement sa mission car elle est profondément et simplement humaine. D'ailleurs, la meilleure conclusion est une déclaration que formule Diane à la fin de la représentation : "On meurt tous un jour ou l'autre, ce n'est pas une raison pour mal vivre"...
Gilbert "Critikator" Jouin
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