mardi 24 mai 2011

Mer


Théâtre de l’Atelier
1, place Charles Dullin
75018 Paris
Tel : 01 46 06 49 24
Métro : Anvers

Une pièce de Tino Caspanello
Traduite du sicilien par Bruno et Frank La Brasca
Mise en scène par Jean-Louis Benoit
Avec Léa Drucker et Gilles Cohen

Ma note : 6,5/10

L’histoire : Une nuit noire, sans lune, un homme se retire au bord de la mer, noire elle aussi et immobile. Il est venu pêcher. En fait, il est venu s’isoler. Il en a l’habitude. Sa compagne, cette nuit-là, le rejoint. Elle veut savoir pourquoi il s’échappe ainsi, pourquoi il vient, là, s’échouer là au bord de cette mer sans poissons. Elle aimerait qu’il rentre à la maison. Ils se parlent, mais les mots ne leur sont d’aucun secours. Ils se parlent mais ne se disent rien. Ou si peu de choses…

Mon avis : Le décor est on ne peut plus succinct, mais c’est normal puisqu’on se trouve en bord de mer et qu’il fait nuit : un ponton qui surplombe une onde qu’on devine et, dans le fond, une porte qui donne sur la plage. Et c’est tout. Un jeu de lumière sur un rideau transparent apporte un peu de profondeur et laisse parfois entrevoir une silhouette, ou figée, ou déambulant…
Un homme est vautré sur le ponton. On sent qu’il est bien, qu’il est peinard. Les poissons peuvent dormir tranquilles. Il serait même sans doute contrarié si ça mordait car ça le dérangerait dans sa douce oisiveté… Hélas pour lui, cet état béat ne va pas durer. La porte s’ouvre et Elle arrive. On voit tout de suite qu’Elle veut nouer la conversation. Elle lui pose les questions les plus banales qui soient, portant sur le dîner, l’horaire de rentrée, si Elle doit attendre ou se coucher sans lui, etc… Lui, visiblement ennuyé par cette irruption, se contente de marmonner des réponses évasives, pressé qu’il est de se débarrasser d’Elle… C’est alors que la pauvre porte va devenir pendant un bon moment le troisième personnage de la pièce tant elle va être sollicitée par une jeune femme terriblement intrusive.
En même temps, on la comprend la dame. Elle s’ennuie sans lui. Elle n’a pas envie de se retrouver seule dans cette maison du bord de mer. Surtout de nuit… Alors, elle fait mine de partir, ferme la porte, la rouvre, s’en va, revient, attend sur le chemin, trouve une nouvelle question tout aussi insignifiante que les précédentes. Et Lui, tour à tour ému et excédé, il la trouve ou touchante, ou (surtout) chiante. Mais dans l’ensemble, il ne la rabroue pas.

La mer est aussi étale que l’est leur couple. Ça clapote à peine, il n’y a pas le moindre remous, pas la moindre vague. Ça doit faire un sacré bout de temps qu’ils n’ont pas chaviré ensemble. C’est le calme plat. Le temps a entamé son oeuvre érosive. Ils cohabitent, c’est tout… Ils se sont sans doute aimés dans le temps. Il y a des attitudes qui ne trompent pas, des élans ébauchés qui retombent parce que mal ou pas entretenus. Il n’y a pas de reproches, pas de colère. A peine un peu d’énervement parfois, qui meurt aussi vite qu’il est né, comme de l’écume.
C’est Elle qui, la première, et parce qu’elle est la plus bavarde, reconnaît qu’elle voudrait dire des choses mais qu’elle ne « trouve pas les mots ». Leur absence de communication ne repose finalement que sur un manque de vocabulaire… Un peu plus tard, ce sera lui qui déplorera : « j’ trouve pas les mots »… Ce qui fait que nous, dans la salle, on comprend mieux qu’eux-mêmes combien ils ont besoin l’un de l’autre, mais qu’ils ne savent tout bêtement pas comment se le dire…

Piécette (elle dure à peine une heure), Mer nous fait passer un moment très particulier en ce sens où nous sommes tous concernés. Un jour ou l’autre, à un moment de notre vie et parfois même toute une vie, on a des problèmes de communication, surtout pour les thèmes et les sujets les plus élémentaires du quotidien. Elle peut sembler un brin dérisoire parce qu’elle ne comprend aucune envolée lyrique, aucune analyse psychanalytique, aucun verbiage sentencieux. Sa force réside au contraire dans son extrême simplicité, dans son utilisation des mots de tous les jours que l’on répète en boucle parce qu’ils vous semblent essentiels.

Pour pouvoir faire passer ce sentiment partagé de grande solitude, de repli sur soi déjà gravement fossilisé, tout en parvenant à distiller ça et là de brèves lueurs de tendresse, il fallait tout le talent de deux comédiens particulièrement investis. Gilles Cohen et Léa Drucker nous offrent un exercice de style réellement ardu ; à savoir, comment intéresser un public à une vie de couple aussi insignifiante et insipide. Ils y parviennent grâce à leur jeu. Lui, il est un peu bourru mais facilement conciliant. Il ne va pas chercher le conflit, il s’efforce de l’éviter. Il s’autorise même spontanément des ébauches d’élan affectueux envers sa compagne. O pas très souvent, juste une ou deux fois, mais ils ont l’avantage d’exister. On devine que c’est un brave garçon, plutôt rêveur et détaché du matériel… Quant à Elle, elle est bien plus pugnace. Sa volonté de repriser la chaussette de le leur couple passablement effilochée est touchante de maladresse. Comme elle ne sait pas exprimer ses sentiments, elle parle ; mais elle parle pour ne rien dire. Elle s’agite, brasse de l’air en une valse-hésitation qui nous fait gentiment sourire. Mais, au moins, elle agit. Elle tente des choses. C’est elle qui les provoque, qui souffle sur les braises, et qui va, on l’espère pour eux, parvenir à recréer entre eux un lien affectif…
Léa Drucker et Gilles Cohen sont formidables de banalité. Ils jouent des gens simples, sinon frustres, avec… simplicité, et ils nous les rendent très vite attachants. S’ils connaissaient l’usage des mots, nul doute que ce couple saurait vivre en harmonie. C’est un peu la confirmation, non pas par l’absurde, mais par le handicap de la parole, de l’importance et de la nécessité du dialogue. C’est, en quelque sort, leur ultime bouteille à la Mer avant le naufrage et l’engloutissement…

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