Théâtre de Paris
Salle Réjane
15, rue Blanche
75009 Paris
Tel : 01 42 80 01 81
Métro : Trinité
Une comédie romantique d’Amanda Sthers
Mise en scène par Anne Bourgeois
Scénographie d’Edouard Laug
Lumières de Laurent Béal
Costumes de Mina Ly
Musiques de Jacques Cassard
Avec Nicole Calfan et Rufus
L’histoire :
Lui fut colonel. Elle, institutrice. Les deux sont retraités, seuls, beaux et
odieux dans leurs égoïsmes, ce qui les fait ressembler à des enfants.
A travers le mur mitoyen de leurs deux appartements, ils se
disputent pour défendre leur droit au silence, à la musique, aux odeurs, à la
vie… et s’envoient frénétiquement des lettres de protestation qui deviennent
bientôt le terrain de jeu d’une haine grandissante.
Jusqu’à ce que la demoiselle rompe l’équilibre de la discorde
par une vengeance absurde et néanmoins terrible : profitant d’une absence
de son irascible voisin, Elle déplace le mur qui les sépare et lui vole un peu
de son espace…
Mon avis :
Quelle jolie pièce ! Quel duo ! A la fois un vrai moment de grâce et
un grand numéro d’acteurs.
Décidément Amanda Sthers confirme ses grands talents d’auteur
moderne. On constate qu’elle les connaît bien ses contemporains. Elle maîtrise
parfaitement les psychologies tant féminines que masculines et, surtout, elle
possède un sens aigu des dialogues vifs et imagés, ainsi que l’art des formules
qui font mouche.
Mur est donc annoncé
comme étant « une comédie romantique ». C’est tout à fait vrai. Tous
les (bons) ingrédients y figurent. Deux personnages hauts en couleurs avec des
caractères bien affirmés se retrouvent à devoir gérer, chacun avec des armes
qui lui sont propres, un conflit de voisinage… Tout est plausible, ou presque
(je reviendrai un peu plus tard sur ce « presque »).
Le décor est on ne peut plus explicite : côté jardin,
la pièce où vit le colonel en retraite ; côté cour, celle où vit l’institutrice
à la retraite. Cette mise en scène permet d’aller très vite dans échanges. Car,
dès le début, nous assistons à un ping-pong épistolaire dans lequel les
échanges sont de plus en plus violents et les balles de plus en plus chargées
de poudre…
L’hostilité entre les deux solitaires est de plus en plus
palpable, la malignité et la pugnacité de l’une poussant l’autre à ébullition.
Mais, au moins, ça les occupe !
Rufus est remarquable en vieux militaire acariâtre et
bougon, rigide et entêté, sûr de son bon droit, un tantinet hâbleur et
profondément misogyne. Il nous distille tout un arsenal de mimiques, de gestes
et de poses tellement expressifs (mais toujours empreints de subtilité) qu’il
déclenche sans cesse les éclats de rire.
Toute en nuances, Nicole Calfan, charmeuse et féminine en
diable, campe une vieille demoiselle que la vie n’a pas toujours gâtée mais qui,
restée positive, s’impose quelques challenges pour enjoliver son horizon comme
réussir à jouer parfaitement La Lettre à
Elise au piano… Elle est lumineuse !
L’antagonisme entre ces deux êtres que tout oppose va peu à
peu s’édulcorer, s’estomper et ce sont les affres de la solitude qui vont
construire une passerelle. D’un affrontement extrême va naître un tout aussi
impérieux besoin de l’autre… Rufus et Nicole Calfan vont ainsi basculer de ce
qui ressemble au départ à une Guerre des
Rose entre voisins en un véritable bain de jouvence qui va les amener à se
comporter maladroitement tels des adolescents ressentant leurs premiers émois
amoureux. Cette évolution dans les sentiments impose aux comédiens une
incroyable palette de jeu. Et ils s’en acquittent avec une justesse et une
finesse en tous points remarquables.
Quant au « presque » que j’ai évoqué plus haut, il
concerne le postulat quelque peu irrationnel imaginé par Amanda Sthers : permettre
à l’institutrice de pouvoir repousser le mur mitoyen pour ainsi diminuer l’espace
vital de son irascible voisin tout en augmentant considérablement le sien. Il
fallait cette métaphore audacieuse pour relancer la pièce et lui donner grâce à
cette licence une autre dimension.
Cette pièce a également pour effet immédiat de nous donner à
réfléchir et on sort du Théâtre de Paris en se promettant de prêter plus
attention à ses voisin, a fortiori s’ils sont âgés et seuls.
Au lieu de séparer, ce Mur
est réunificateur. Et vu, pendant et après, les manifestations d’enthousiasme
du public, on prend énormément de plaisir pendant une heure et quart. Les sourires
d’Alain Delon, Gérard Darmon ou Philippe Lellouche, présents ce soir-là dans la
salle, n’ont fait que le confirmer…
A noter aussi la qualité des séquences musicales, genre de
musique jazzy bastringue, de ragtime pour film muet burlesque.
Gilbert « Critikator » Jouin
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