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Zaz dans « son » Paris
Zaz est arrivée tardivement à Paris. Elle avait déjà 26 ans.
Auparavant, les villes de sa vie avaient été Tours, Libourne, Bordeaux,
Angoulême et Tarnos. Mais avec Paris, où elle se plie au dur métier mais ô
combien formateur de chanteuse de cabaret, c’est un véritable coup de foudre.
Elle s’éprend de la capitale, s’y trouve bien, y déniche de nouvelles
collaborations et vit d’autres expériences musicales. Comme tous les
« émigrés », sa passion pour l’endroit où elle se sent adoptée et où
elle est heureuse est bien plus forte que pour quelqu’un qui y est né ou qui y
a toujours vécu. Pour cette amoureuse de la nature, c’est une révélation. Mais,
surtout, Paris est la ville de toutes les rencontres…
Après deux albums à succès, tous deux certifiés albums de
Diamant, et une reconnaissance internationale, après avoir exploré d’autres
styles de musique, en digne fan d’Ella Fitzgerald, Zaz a souhaité revenir aux
sources de sa principale inspiration : le jazz. Comme elle avait déjà
excellé dans le jazz manouche, elle a voulu élargir sa palette en y ajoutant
d’autres couleurs, particulièrement en s’entourant d’un big band.
Elle avait donc le son, restait à y ajouter la lumière et
les images. Son et lumière ? Quoi de mieux justement que la « Ville-Lumière »
pour illustrer ce troisième opus, une ville qu’elle aime d’amour, une ville qui
a été honorée par des dizaines et des dizaines de chansons. Il n’y avait plus
qu’à puiser dans ce riche répertoire, y faire son marché, et sélectionner les
onze titres qu’elle allait enregistrer en plus des deux chansons originales, Dans mon Paris et Paris l’après-midi.
Un choix étant par essence subjectif, et il y avait tant et
tant de chansons sur la capitale, qu’il ne nous reste plus qu’à découvrir quels
ont été ces titres qu’elle a tenu à chanter… Mais avant de les analyser, il
faut également signaler que trois d’entre eux ont été arrangés par le
légendaire Quincy Jones, oui, oui, celui-là même à qui l’on doit entre autres
les orchestrations de The Dude, du
cultissime Thriller de Michael
Jackson et des fameux singles Beat It
et We Are The World… Excusez du peu !
Enfin, pour être exhaustif, Zaz, qui n’aime rien tant que les grands moments de
partage, s’est offert la complicité de trois artistes conséquents : Nikki
Yanofsky, Thomas Dutronc et… Charles Aznavour.
Maintenant, étudions de plus près ces 13 chansons « capitale(s) ».
1/ Paris sera toujours Paris.
Ce titre, qui ouvre l’album, nous met tout de suite dans
l’ambiance recherchée par Zaz, ses arrangeurs et ses musiciens. C’est
dynamique, tonique, joyeux. La rythmique est d’enfer, les cuivres (saxo,
trompette, clarinette) très présents. Zaz s’y amuse visiblement, y prend du
plaisir, se lâche dans une impro en scat très réussie. A noter également les
excellents soli à la guitare et à la clarinette.
2/ Sous le ciel de Paris
Cette fois Zaz retient sa voix (dont elle fait vraiment ce
qu’elle veut. Elle passe en voix de tête avec une facilité déconcertante) pour
une interprétation pleine de douceur. Une douceur que souligne joliment
l’accordéon. Là aussi, le solo de saxo est particulièrement bien venu.
3/ La Parisienne
Cette reprise de Marie-Paule Belle est sans doute le titre
le plus inattendu de cet album. Elle se l’approprie en l’habillant d’une
version « zazzy ». L’arrangement, avec la domination du violon et du
violon swing, colle parfaitement à l’esprit de la chanson. Et le débit sur le
refrain est complètement effréné. Quelle pêche !
4/ Dans mon Paris
Cette chanson originale est un petit bijou à tout point de
vue. Elle s’intègre parfaitement au reste de l’album. L’écriture de cette
balade dans les quartiers populaires de Paris est simple mais efficace et,
surtout, l’arrangement est somptueux. Ici, le jazz manouche a la part belle.
C’est complètement « Grappellien » et « Reinhardtien ».
C’est truffé de sonorités amusantes et l’impro vocale de Zaz façon trompette est
une jolie trouvaille.
5/ Champs Elysées
Très belle interprétation du tube de Dassin : un big
band pour la big avenue. Ça dépote grave.
6/ A Paris
Là encore l’arrangement est particulièrement bien trouvé.
L’idée d’accoler la voix de jazz à celles de deux ténors et de deux barytons et
de les rythmer judicieusement de « snap and clap » crée un climat
vraiment original et très agréable à l’oreille (et même aux deux). La voix,
très devant de Zaz nous confirme, si besoin était, que c’est une sacrée
chanteuse…
7/ I Love Paris – J’aime Paris
En dépit d’une adaptation française plutôt moyenne, voire médiocre
(mais ce n’est finalement pas très important), cette chanson vaut par la joie
de chanter ensemble et la fusion vocale entre Nikki Yanofsky et Zaz. Deux filles
en totale liberté qui flirtent avec l’excellence. Un grand moment de partage et
de communion.
8/ La romance de Paris
Avec son frère de chant Thomas Dutronc, Zaz se sent bien, et
ça s’entend. Ils sont tellement complices ! Unis par un amour commun pour
ce type de musique, ils sont dans le même trip, le même swing ; leurs voix
se marient remarquablement… Outre le solo de Thomas, il faut souligner la
beauté de celui de la clarinette. C’est entraînant, festif et lumineux…
9/ Paris canaille
En adéquation avec l’intention de Léo Ferré, Zaz interprère
cette chanson sur un ton vraiment « canaille ». Accompagnée d’un
harmonica baladeur, elle prend des accents faubouriens, tout cela à une cadence
sur-vitaminée. L’arrangement, inventif, est plein de fantaisie, truffé de
sonorités bizarres, d’assonances, d’arythmies, ce qui a pour don de créer un
climat assez joyeux.
10/ La complainte de la Butte
Ambiance carrément crépusculaire pour une interprétation
bluesy et mélancolique. Ça nous procure une très agréable sensation de vague à
l’âme, soulignée par la présence discrète d’un accordéon plaintif. Après tout,
dans « complainte », il y a « plainte »… C’est bien qu’il y
ait face aux morceaux dominés par le big band ou le jazz manouche, des chansons
où Zaz prend le temps de se poser.
11/ J’aime Paris au mois de mai
Quand la fougue se marie avec la sagesse… Ce devait être
émouvant pour Zaz de se confronter en duo avec le nonagénaire créateur de cette
chanson. Les deux voix sont complémentaires. Même si Aznavour a gardé son sens
inné du rythme, sa voix n’a plus la puissance veloutée d’antan. Du coup, pour
compenser, Zaz est deux fois plus tonique. Avec le big band en prime, on vit un
moment d’une rare intensité. Et j’ai eu l’impression d’entendre Aznavour
sourire de plaisir et de satisfaction devant la vitalité de sa cadette de 56
ans…
12/ Paris, l’après-midi
C’est le deuxième titre original de l’album. Bien que je ne
l’ai pas trouvé à la hauteur du premier (il est beaucoup plus faible au niveau
du texte et du thème), j’ai pris ma part de plaisir grâce à une ambiance
trépidante qui traduit parfaitement le bouillonnement de la vie. Quels
musiciens !
13/ J’ai deux amours
Après une introduction façon 78 tours qui gratte, ce titre
balance gravement. Agrémentée par les wou-wou, les ouah-ouah et le contre-chant
d’une chorale gospel, cette chanson nous fait bouger sur place. Chapeau pour
l’arrangeur qui a eu cette idée magistrale. C’est parfait de terminer l’album
sur cette atmosphère.
En conclusion, le « Paris » de Zaz est tenu. En se
faisant plaisir, elle nous transfuse également une bonne dose de bonheur et de
joie de vivre.
On dirait une vraie « Titi(te) parisienne. Elle en a la
gouaille, la pêche, la sensibilité romantique aussi. Au-delà de sa formidable
performance vocale, il faut vraiment insister sur l’extrême qualité des
arrangements. Ça représente un sacré boulot en amont. Mais le résultat est là.
Sur son petit nuage, Ella Fitzerald a dû souvent claquer des doigts et se
mettre à scater… sur son petit nuage. La « First Lady of Swing » peut
être fière d’elle : elle a essaimé grave…
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