Théâtre Antoine
14, boulevard de Strasbourg
75010 Paris
Tel : 01 42 08 77 71
Métro : Strasbourg Saint-Denis
Une pièce d’Antoine Rault
Mise en scène par Didier Long
Décors de Bernard Fau et Citronelle Dufay
Costumes de Jean-Daniel Vuillermoz
Lumières de Laurent Béal
Musique de François Peyrony
Avec Lorant Deutsch, Stéphane Guillon, Eric Métayer, Marie
Bunel, Urbain Cancelier, Sophie Barjac, Stéphanie Caillol, Philippine Bataille
Présentation :
300 ans après, les questions demeurent les mêmes : comment renflouer les
finances publiques, les ambitions personnelles vont-elles de pair avec
l’intérêt général ?
L’Ecossais John Law, joueur de cartes de génie, prétend
pouvoir sauver l’Etat français de la faillite. Il convainc le Régent d’essayer
son système : faire du commerce et des échanges avec de la monnaie de
papier et des actions. Il vient d’inventer en France l’économie moderne… Au
début, cela marche à merveille. Trop bien même. Bientôt, la machine s’emballe,
tout le monde se met à spéculer, la bourse flambe. Alors, soudain, « la
bulle » (le mot date de là) explose… John Law vient d’inventer aussi la
crise financière.
Mon avis : J’ai
vu et apprécié quelques unes des précédentes pièces d’Antoine Rault (Le Démon de Hannah, L’Intrus), mais c’était
surtout le plaisir que j’avais connu en 2008 avec Le Diable rouge et la formidable interprétation de Claude Rich et
Geneviève Casile qui faisait que j’étais très curieux de découvrir sa nouvelle œuvre.
Antoine Rault est un fin lettré doublé d’un passionné d’histoire.
Ses pièces sont subtiles, raffinées, intelligentes. Il y prend en outre un
malin plaisir à dénicher les points communs entre les événements d’hier et
notre époque. Et dans Le Système, le
parallèle est encore plus fragrant puisque toute l’action tourne autour de l’économie,
de comment on peut remédier à la mauvaise gestion des finances d’un pays avec
des procédés novateurs simples et apparemment efficaces. C’est du moins le vœu pieux
que formule John Law, un banquier et économiste écossais, un visionnaire aussi
génial qu’idéaliste, en proposant une méthode à ses yeux infaillible pour
redresser le Trésor de la France. Petit clin d’œil à l’Histoire, nous sommes en
1715 lorsque Law vient proposer ses services au Régent Philippe d’Orléans. Il y
a donc tout juste 300 ans !
Mais là où les similitudes avec aujourd’hui sont encore plus
troublantes, c’est qu’après avoir réussi pendant trois-quatre ans à redresser
la barre, Law va se retrouver confronté à la cupidité des uns et son beau « Système »
va capoter et amener une crise profonde. Une crise ?... Tout ceci nous
ramène à 2008 et à la faillite du système bancaire américain symbolisé par l’affaire
des subprimes… Un copié-collé fascinant dans lequel Antoine Rault s’est
engouffré avec gourmandise.
Il faut être en bonne forme intellectuelle, pas trop fatigué
par une journée de travail, pour suivre et comprendre des mécaniques
économiques parfois très techniques. On ne pige pas toujours tout. Mais, en
fait, ce n’est pas là le plus important. Ce qui compte en fait dans cette
pièce, c’est ce qu’en font les acteurs.
Et nous avons là un quatuor de comédiens qui, par la qualité
parfaite de leur jeu, font de ce sujet a priori austère un réel divertissement.
Ces quatre-là synthétisent brillamment les tréfonds de l’âme humaine. Quatre
personnages très différents, remarquablement dessinés et détenteurs d’une vraie
épaisseur.
Eric Métayer. On
n’attend pas forcément dans ce registre ce Zébulon effervescent plus féru de
burlesque que de réalité historique. Malgré tout, dans le rôle d’un économiste
rival de John Law, il réussit à introduire une certaine dose de fantaisie avec
ses mimiques et sa gestuelle propres. C’est une très bonne idée que d’avoir
fait appel à lui.
Urbain Cancelier.
Dans le (beau) rôle du Régent, il est épatant. Face à silhouette ascétique de l’abbé
Dubois, aux petits gabarits trépidants de Lorant Deutsch et d’Eric Métayer, il
apporte rondeur toute pateline d’un gros matou. Sous ses airs bonhomme et ses
fringales de bon vivant, se cache un jouisseur misogyne, un politicien
impitoyable prompt au coup de griffe. Sa libido débridée a permis à l’auteur de
glisser quelques scènes légères et coquines amenant de judicieuses ruptures. Un
grand acteur de théâtre, rompu au second degré, qui excelle depuis trente ans dans
la comédie et, plus particulièrement chez Feydeau.
Lorant Deutsch.
Il est toujours bon, Lorant. Là encore, il ne faillit pas à la tâche. Dans le personnage
central de John Law, il se montre tour à tour enthousiaste, brillant,
virevoltant, exalté, naïf, fougueux, profondément sincère, émouvant jusqu’à en
devenir pathétique. Avec lui on comprend qu’être financier, ce n’est pas du
gâteau… Grâce à son haut débit, il fait passer plus vite tous les éléments les
plus techniques de son « Système » ; une sacrée performance.
Stéphane Guillon.
L’humoriste a trouvé avec l’abbé Dubois son premier grand rôle au théâtre. Il
est carrément impressionnant. Il magnifie les nombreux défauts de l’homme d’église
(on ne lui voit d’ailleurs aucune qualité) : il est malin, cauteleux,
impassible, cynique, ambitieux ; il a la dent dure, il est si peu croyant
qu’il n’hésite pas à blasphémer pour faire passer un bon mot. C’est un homme
qui, en s’approchant on ne peut plus près du pouvoir, s’en est d’autorité
investi. Ce n’est pas par hasard si le Régent lui déclare : « Toi, tu
n’as pas de cœur ». Stéphane Guillon est impeccable. Et il a trouvé le ton
juste avec suffisamment de froideur, de distance et de mépris pour en faire un
être infiniment dangereux et inquiétant. Je l’ai trouvé particulièrement bon
dans ce que j’appellerai « la tirade du petit Corrézien », un texte
dont le double sens, tellement bien suggéré, a fait se réjouir la salle.
Si vous aimez les textes intelligents saupoudrés de formules
percutantes, de répliques incisives (dans ce domaine, l’abbé Dubois est particulièrement
bien servi) et d’anachronismes délicieusement volontaires, les beaux costumes,
les décors chauds et des acteurs très imprégnés de leur art, vous ne serez pas
déçu par Le Système.
Petit aparté
personnel : entendre prononcer « Lass » le nom de John Law, m’a
ramené à mes années lycée. Il y avait deux noms dont je n’ai jamais compris qu’on
les prononçât différemment de leur orthographe : Law, donc et de Broglie,
qu’il fallait dire « de Breuil »…
Gilbert « Critikator » Jouin
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