Théâtre Edgar
58, boulevard Edgar Quinet
75014 Paris
Tel : 01 42 79 97 97
Métro : Edgar Quinet / Montparnasse / Gaîté
Adaptation et mise en scène d’Erling Prévost
D’après le roman de Jérôme K. Jérôme
Décor de Claude Pierson
Musiques de Christian Germain et Léonard Hamet
Avec Philippe Lelièvre (Harris), Soren Prévost (Jérôme),
Pascal Vincent (George)
L’histoire :
Jérôme, Harris et George sont trois amis hypocondriaques et flegmatiques de la
City londonienne. Persuadés d’avoir contracté toutes les affections possibles
en plus de leur nonchalance, ils finissent par pointer du doigt le mal qui les
ronge : le stress de la vie citadine.
N’écoutant que le courage qu’ils n’ont pas, ils décident de
tenter une folle aventure : remonter la Tamise en barque ! Après
s’être fixés un objectif précis, à savoir ne rien faire, les trois compagnons
canotiers remontent le fleuve de Sa Majesté, accompagnés de Montmorency, le
fox-terrier de Jérôme, premier témoin des aventures de son ringard de maître.
Un voyage ponctué d’eau froide et d’agressions nocturnes, mais qui sera pour
eux un moyen de sceller leur amitié et de trouver les vraies réponses à leur
question existentielle : « Si l’homme n’avait pas été curieux, jamais
on aurait découvert la saucisse de Francfort »…
Mon avis : La
loi des séries, quand elle est positive, a vraiment de très bons côtés. En ce
moment, sur le plan des divertissements, je vis une embellie. Avec ce qu’on vit
actuellement, les salles de spectacle seraient-elles devenues les derniers
refuges où l’on oublie l’espace d’une heure et demie tous les tracas du
quotidien et les dysfonctionnements de ce monde en folie ? Poser la
question, c’est y répondre.
Hier soir, j’ai été littéralement transporté par 3 hommes
dans un bateau sans parler du chien. Il y avait d’abord le plaisir de retrouver
la charmante salle du Théâtre Edgar, reprise et totalement rénovée par un fou
passionné, Luq Hamet, puis la curiosité de voir comment Erling Prévost s’en était
tiré avec l’adaptation du roman de Jérôme K. Jérôme paru en France il y a 120
ans. Un exercice des plus ardus tant ce livre est empli de paradoxes
terriblement britanniques.
Et bien, n’en déplaise à la perfide Albion, le défi a été plus que remarquablement relevé et l’essai d’Erling Prévost a été parfaitement transformé. En orpailleur du verbe, il a dû en passer des heures à "tamiser" ce texte pour n’en garder que les plus pures pépites.
Et bien, n’en déplaise à la perfide Albion, le défi a été plus que remarquablement relevé et l’essai d’Erling Prévost a été parfaitement transformé. En orpailleur du verbe, il a dû en passer des heures à "tamiser" ce texte pour n’en garder que les plus pures pépites.
L’histoire nous transporte à la fin du 19è siècle. Nous
sommes en présence de trois individus atypiques, désoeuvrés, dont la seule
préoccupation est de se regarder le nombril et ce qui se passe en dessous, à l’intérieur
de leurs corps. Plus hypocondriaques qu’eux, tu meurs. Experts en pathologies
diverses et variées, ils se complaisent mollement à analyser les symptômes
virtuels de leurs maladies imaginaires. Ça va loin…
Pour essayer de s’extraire de leur mélancolie intestine, ils
décident de se lancer dans une folle aventure : remonter la Tamise en
bateau ! Sitôt dit, pas sitôt fait ; car il faut organiser les
préparatifs. Et comme nos trois lascars ont le travers chronique de tout
compliquer, l’évaluation de l’intendance s’avère des plus méandreuse. Ils ont
en effet l’art de joindre le futile à l’agréable. Ces marchandages sur les
marchandises à emporter nous permettent de faire plus ample connaissance avec les
profils psychologiques de ces oisifs oiseux. Pour synthétiser, on peut dire que
Harris est le mâle dominant du trio. Il est autoritaire à tendance tyrannique
et il est passé maître dans l’art de la mauvaise foi. Jérôme, lui, est plus
diplomate, plus conciliant, tout en préservant sa part d’égocentrisme. Quant à
George, la tête de Turc des précédents, il est un peu plus primaire, moins
raffiné, gaffeur et bonne pâte…
Nous, les spectateurs, nous sommes en quelque sorte installés
sur une des rives de la Tamise, et on va suivre les péripéties de ces trois
ramiers rameurs le long du fleuve. Et il va s’en passer des choses ! Ou
plutôt des non-événements qu’ils vont affronter avec leur pusillanimité de fins
de race. Bonjour les aventuriers !
Le texte de cette pièce, fidèle à l’esprit de l’auteur, est
un bijou de finesse. C’est de l’écume de mots, de la dentelle légère et
vaporeuse. C’est l’art de construire une histoire sur rien ; sur la vanité
de l’existence de trois paresseux velléitaires. On s’y délecte d’un trésor de
belles phrases qui ne veulent strictement rien dire, mais qui sont si joliment
tournées. Ce texte est un plaisir de gourmet. Et il est servi par trois virtuoses,
trois jongleurs de l’absurde. Leurs échanges sont un pur régal de comédie. Quels
comédiens que Philippe Lelièvre, Soren Prévost et Pascal Vincent ! A la
limite, on s’en tape complètement de leur aventure, ce à quoi on s’attache c’est
la manière dont ils jouent et la façon qu’ils ont de distiller ce texte si
loufoque et décalé. C’est de l’esthétisme pur. Comment font-ils pour ne pas
rire de la bêtise de leurs situations, des incongruités qu’on leur fait dire,
des chansons improbables qu’ils ont à interpréter ? Ah, cet éloge de la
tranche de rosbif, sincère et compassé, qui se termine en gospel. Quel moment
de cocasserie !
La mise en scène, avec utilisation judicieuse de meubles
mouvants, est d’une folle créativité. Elle est au diapason du propos, c’est à dire
saugrenue, drôlissime et, ce qui ne gâche rien, raffinée.
3 hommes dans un
bateau sans parler du chien est une formidable croisière en Absurdie que l’on
passe à contempler trois nonchalants qui passent. Cette pièce déclenche en nous
un rire de qualité, ce rire rare qui ne fait que tressauter les épaules et
procure un plaisir intérieur qui fait chaud au ventre.
Prenez votre billet pour embarquer au Théâtre Edgar, vous
vous y ferez certes mener en bateau, mais ce sera pour votre plus grand
bonheur.
Gilbert « Critikator » Jouin
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