lundi 21 septembre 2015

ça n'arrive pas qu'aux autres

Café de la Gare
41, rue du Temple
75004 Paris
Tel : 01 42 78 52 51
Métro : Rambuteau / Hôtel de Ville

Une comédie de Nicolas Martinez et Benoît Moret
Mise en scène par Nicolas Martinez et Benoît Moret
Scénographie de Virginie Destiné
Chorégraphies de Karine Orts-Briançon
Costumes de Bénédicte Defitte
Lumières de Jean-Luc Chanonat
Avec Ariane Boumendil (madame Moret), Nicolas Martinez (monsieur Moret), Benoît Moret (monsieur Marty), Pascale Oudot (madame Marty)

Présentation : Tout est allé très vite. C’était un mardi. Il était 20 h 00. Ils étaient venus visiter cette maison. Personne n’aurait pu prévoir ce qui s’est passé.
Comment l’alchimie entre quatre personnages peut-elle transformer une simple visite immobilière en un véritable cauchemar ?

Mon avis : Une collègue journaliste m’avait chaudement recommandé cette pièce. Ensuite, j’ai lu des critiques de spectateurs plus qu’élogieuses, pour ne pas dire dithyrambiques, sur le site de BilletRéduc. C’est donc plutôt excité que je me suis rendu au Café de la Gare pour découvrir cette pièce annoncée comme « déjantée », « délirante », « dingue », « haletante »… Tout ce que j’aime, quoi ! En plus, la file d’attente qui s’étirait jusque sur le trottoir de la rue du Temple était annonciatrice de succès. Effectivement, la salle était pleine à craquer lorsque le rideau s’est levé sur la salle de séjour d’un petit pavillon normand.

Une heure et demie plus tard, j’étais perplexe, désemparé. J’avais à peine ri et, surtout, j’essayais de re-tricoter les raisons qui avaient provoqué mon manque quasi total d’adhésion.
Le postulat de départ de la pièce et certains de ses ressorts sont pourtant efficaces. Mais qu’est-ce qui a provoqué, à mes yeux, ce grippage dans les rouages ? Toutes les pièces du puzzle sont en place, mais elles ne s’emboîtent pas.

Voyons d’abord ce qui est positif. Les quatre comédiens sont absolument irréprochables. Ils se livrent sans compter avec une incroyable débauche d’énergie. Les quatre caractères, très différents, sont plutôt bien dessinés. Les antagonismes qui se révèlent peu à peu entre les deux couples composent des éléments très forts en matière de comédie, particulièrement leur différence de niveau social. En dépit de tels ingrédients, l’alchimie ne prend pas.


Le comique de répétition, trop lourd et prévisible, ne fonctionne pas (par exemple « le bout »). Le personnage de monsieur Marty, parano et cyclothymique, est trop outré. Certains de ses comportements sont incompréhensibles. Il y a des longueurs dans la première partie. Ce qui aurait pu être une excellente parodie d’un bouquin de Stephen King, genre Misery, se réduit à une sorte de thriller graveleux et surréaliste… Les annonces à la télévision de l’existence d’un tueur en série dans la région arrivent comme un cheveu dans la soupe. La première nous prépare à un suspense, mais la seconde, en nous apprenant son arrestation, fout tout par terre puisqu’elle anéantit brutalement notre attente… Quant à la fin, elle m’a laissé sur ma faim.
Bref il y a trop d’incohérences dans cette pièce, trop d’approximations, pour qu’elle nous apparaisse plausible. J’adore les grains de folie ou le burlesque lorsqu’ils reposent sur un fond de crédibilité. Ici, nous avons droit à une succession de scènes qui deviennent de plus en plus improbables. J’avoue que j’ai très vite décroché en dépit de l’ardeur des comédiens qui, je le répète, sont vraiment à fond dans leurs personnages.

Je suis convaincu que ce n’est qu’un problème d’écriture. Il faudrait simplement resserrer quelques boulons, gommer certaines facilités complaisantes, éradiquer les illogismes, bref, traiter cette histoire qui pourrait tenir la route (et en haleine) avec un esprit un tantinet plus cartésien ; alors, la sauce prendrait.
Maintenant, peut-être suis-je trop exigeant. En effet, partout autour de moi, les gens hurlaient de rire, tapaient des mains, ovationnaient. Ce qui signifie qu’il y a un public pour ce type de farce et que le bouche à oreille fonctionne favorablement. Ce n’est donc pas par ce que ça ne m’a pas plu que je dois en dégoûter les autres…


Gilbert « Critikator » Jouin

jeudi 17 septembre 2015

La Légende du Roi Arthur

Palais des Congrès
2, place de la Porte Maillot
75017 Paris
Tel : 01 40 68 22 22
Métro : Porte Maillot

Livret de Dove Attia et François Chouquet
Mis en scène et chorégraphié par Giulano Peparini
Décors de Bernard Arnould
Costumes de Frédéric Olivier
Avec Florent Mothe (Arthur), Zaho (Morgane), Camille Lou (Guenièvre), Charlie Boisseau (Lancelot), Fabien Incardona (Méléagant), David Alexis (Merlin)…

L’histoire : Aux temps anciens, le roi de Bretagne, Uther Pendragon, régnait sur un royaume prospère et paisible qui couvrait alors la Grande-Bretagne actuelle et la pointe de la Bretagne française. Mais un jour ce roi fut pris d’une passion soudaine pour l’épouse d’un de ses barons. Le druide Merlin, son illustre conseiller, tenta de l’en détourner. Mais le roi insista tant que Merlin dut céder à sa volonté et l’aida par magie à posséder la femme qu’il désirait plus que tout au monde. En échange, Merlin exigea que le fruit de cette union lui soit confié. Neuf mois plus tard naquit un garçon nommé Arthur. Merlin confia l’enfant à un homme sage, preux chevalier, afin qu’il puisse grandir au sein d’une famille et recevoir une éducation digne et rigoureuse. Peu de temps après, le roi Uther fut blessé au combat. Mais avant de mourir, il planta son épée dans le roc et la nomma « Excalibur l’épée des Rois ». Il jura que seul son successeur serait capable de l’en extraire…

Mon avis : J’ai eu le privilège d’assister hier aux ultimes répétitions de La Légende du Roi Arthur au Palais des Congrès. Et bien je puis vous dire, en totale objectivité, que j’en ai pris plein la vue. Par rapport aux précédents spectacles musicaux de Dove Attia, la technique ayant encore fait d’énormes progrès, la scénographie est proprement incroyable. On se croirait au cinéma tant les effets spéciaux sont réalistes et, surtout, d’un esthétisme à rester béat d’admiration. Par le jeu de projections savamment maîtrisées, on peut par exemple voir une cité médiévale en proie aux flammes, des nuages circuler, s’épaissir et tourner à l’orage avec éclairs zébrant le ciel et roulements de tonnerre… J’ai eu parfois la sensation de rentrer dans un immense jeu vidéo.
Encore une fois, on retrouve la patte, l'inventivité et l'incontestable talent du démiurge (dieu organisateur) Giulano Peparini.


C’est vraiment la splendeur des images qui m’a le plus emballé. Ensuite, j’ai apprécié la beauté des costumes, l’ingéniosité des décors coulissants, la démesure hiératique de la salle du trône…
Ensuite, on retrouve dans ce spectacle tous les ingrédients qui font la spécificité des comédies musicales modernes : chorégraphies impeccables et spectaculaires, combats, duels, cascades, acrobaties façon yamakasi, voltige…


La Légende du Roi Arthur possède une réelle dimension épique. C’est un spectacle plein de bruit et de fureur, de bons et de mauvais sentiments, d’amour et de haine, de trahisons et de grandeur d’âme sous fond de musique celtique.
Une fois encore le casting des acteurs-chanteurs est indiscutable. Dans le rôle d’Arthur, Florent Mothe, loin de Salieri, est méconnaissable. Personnellement, je pense que la grande révélation de ce spectacle sera Fabien Incardona dans le rôle du « méchant » Méléagant. Ce garçon possède une voix incroyable et un look à faire se pâmer les gentes damoiselles. Sa chanson Advienne que pourra est un tube en puissance.
Quant à la note comique, elle est apportée par Olivier Mathieu qui, dans le rôle de Kay, le demi-frère d’Arthur, est particulièrement cocasse.

Vous allez assurément en prendre plein les mirettes et plein les oreilles car ce spectacle, ce n’est pas de la camelote !
Avec La Légende du Roi Arthur, Dove Attia a peut-être atteint son Graal en matière de comédie musicale…


Gilbert « Critikator » Jouin

Christophe Alévêque "ça ira mieux demain"

Théâtre du Rond-Point
2bis, avenue Franklin-Roosevelt
75008 Paris
Tel : 01 44 95 98 21
Métro : Franklin-Roosevelt / Champs-Elysées Clémenceau

Ecrit et interprété par Christophe Alévêque
Mis en scène par Philippe Sohier
En collaboration avec Thierry Falvisaner
Lumières de Jérôme Pérez Lopez
Avec Francky Mermillod à la guitare et à la régie générale

Présentation : Christophe Alévêque se fait Don Quichotte et s’attaque à tous les sujets d’actualité. Il les lamine dans une revue de presse actualisée chaque jour. Il part en campagne et s’en prend à l’éducation, aux adolescents, à la crise, à l’opposition, au gouvernement, aux pluies abusives, au réchauffement et à la mal-bouffe…

Mon avis : Christophe Alévêque aborde la grande scène du Rond-Point l’esprit en vrac et le corps en frac. L’esprit en vrac, ça se comprend, avec tout ce qui va mal en ce bas monde et toutes les horreurs que nous avons vécues et vivons quotidiennement. Alors, comme il est un fervent adepte de la politesse du désespoir, il a choisi de se montrer dans ses plus beaux atours. Cela, pour deux raisons : la première est un besoin d’élégance face à la morosité ambiante et la seconde parce que c’est la tenue d’un concertiste. En effet, pour la première fois, l’humoriste va s’accompagner lui-même au piano. Et joliment bien ! Dans cet exercice musical, il reçoit plusieurs fois le renfort de son complice, le désopilant guitariste Francky.

Pour le suivre et l’apprécier depuis le début des années 90, je peux affirmer en toute honnêteté que ce spectacle est le plus abouti depuis qu’il a cessé de camper des personnages à sketchs pour passer à des prestations qui s’apparentent plus au stand-up. Ce qui se dégage le plus de Ça ira mieux demain, c’est que par rapport aux précédents, il est très, très écrit. Christophe Alévêque se permet parfois d’énoncer des jugements et pensées dignes d’un philosophe au terme desquels on entend la salle se pâmer d’aise. A côté de ça, il se montre toujours aussi percutant avec ce qui constitue son fonds de commerce, à savoir les formules qui tuent, les analyses imparables, les saillies imagées, les métaphores osées, les comparaisons audacieuses…


Or donc, le temps de ce spectacle, Christophe Alévêque jette sa cape de Super Rebelle aux orties (normal, il aime bien quand ça pique !) pour endosser mentalement l’armure de Don Quichotte. Pour une fois, on va entendre dans sa bouche des mots inhabituels comme « rêve » et « consensus ». Les moulins qu’il va combattre, il va tenter de les attaquer moins frontalement. Le problème, c’est qu’il lui est pratiquement impossible de se montrer consensuel. Nous allons donc assister en direct à une lutte interne entre son désir d’apaisement et sa propension viscérale à l’indignation et à la dénonciation. Ce Don Quichotte là a le sang chaud et, en dépit de sa bonne volonté proclamée, son naturel va revenir au galop de Rossinante. Pour notre plus grand plaisir. Il faut le voir arpenter la scène avec une attitude qui n’appartient qu’à lui : timbre de voix aux intonations modulées (j’adore ses gloussements), déplacements et gestuelle désordonnés, silences éloquents, regards appuyés…
Dans ce spectacle, Christophe Alévêque balaie large. Mais lui, quand il balaie, il ne glisse pas la poussière sous le tapis, au contraire. Il nous la balance en pleine figure. Et ça nous fait tousser ou nous étrangler… de rire. D’autant plus qu’il se débarrasse de sacrés moutons dont les plus résistants ont pour nom : les jeunes, la télévision, les forums sur Internet, la manif’ pour tous, les musulmans, les migrants… C’est aussi brillant qu’implacable. Tout simplement parce qu’il y a du fond.


Comme il en a désormais pris l’habitude, il incorpore des chansons dans ses spectacles. Mais, cette fois-ci, le Bourguignon ne fait pas le bœuf comme précédemment. Seul au piano, il nous offre trois grands moments en interprétant trois énormes titres que je ne vous révélerai pas. Sachez seulement que c’est du lourd, du très lourd, que la salle, subjuguée, les reçoit dans un silence quasi religieux avant que d’exploser spontanément en applaudissements enthousiastes.

Ça ira mieux demain ??? Méthode Coué pour essayer de s’en convaincre et de nous rassurer ou réel optimisme ? Comme il n’est pas vraiment du genre béat, je pencherais plutôt pour la première hypothèse. Christophe Alévêque n’est dupe de rien. Pourtant, tout au long de son spectacle il va s’évertuer à essayer de nous prouver que l’on peut faire pousser une jolie fleur sur un tas de fumier.
En conclusion, Christophe Alévêque est toujours, quoi qu’il en dise, aussi « Rebelle », mais il est de plus en plus « Super ».


Gilbert « Critikator » Jouin

samedi 12 septembre 2015

Momo

Théâtre de Paris
15, rue Blanche
75009 Paris
Tel : 01 48 74 25 37
Métro : Trinité

Une pièce de Sébastien Thiéry
Mise en scène par Ladislas Chollat
Scénographie d’Edouard Laug
Costumes de Jean-Daniel Vuillermoz
Musique de Frédéric Norel
Lumières d »Alban Sauvé
Avec Muriel Robin (madame Prioux), François Berléand (monsieur Prioux), Sébastien Thiéry (Momo), Ninie Lavallée

L’histoire : Un soir, en rentrant chez eux, monsieur et madame Prioux découvrent avec stupéfaction qu’un certain Momo s’est installé chez eux. Momo est revenu chez ses parents pour leur annoncer son mariage. Les Prioux, qui n’ont jamais eu d’enfant, tombent des nues… D’autant que tout semble prouver que Momo est bien leur fils. Momo est-il un mythomane ? Un manipulateur ? Les Prioux ont-ils oublié qu’ils avaient un enfant ?... Une comédie désopilante qui fait exploser les codes de la filiation.

Mon avis : On n’ira peut-être pas jusqu’à utiliser l’épithète emphatique « momonumental » pour qualifier cette pièce mais, comme à son habitude, le déroutant Sébastien Thiéry nous entraîne dans une histoire totalement abracadabrantesque.
Dès les premières minutes, il nous installe inconfortablement dans un caddy de supermarché, caddy qu’il lâche sans sommation sur les rails brinquebalants d’un scenic railway au parcours extraordinairement accidenté. Le pire, c’est que cet engin de fortune va prendre de plus en plus de vitesse jusqu’à en devenir incontrôlable. La tension est tellement forte que la seule réaction à avoir pour s’en soustraire, c’est de rire. De rire comme des enfants qui aiment à avoir peur tout en sachant qu’ils ne risquent absolument rien.
A l’instar de madame et monsieur Prioux, nous sommes plongés dans l’incompréhension la plus totale. Kafka, c’est de l’eau de rose à côté du machiavélisme de Sébastien Thiéry. C’est vrai qu’on n’aimerait pas se trouver à leur place… Inutile ici pour les comédiens de sur-jouer. La situation est d’elle-même tellement ubuesque qu’il aurait été suicidaire et grotesque d’en rajouter. Les Prioux sont deux insectes qui se débattent dans une toile tissée par un inquiétant arachnide. Chacun va essayer de s’en extraire par ses propres moyens sans se préoccuper de l’autre, ou alors en l’affrontant. C’est vraiment du chacun pour soi. Question de caractère.


Laurence Prioux est une femme de tempérament. Professionnellement, elle a l’habitude de commander. Elle est pragmatique, autoritaire, énergique. Son esprit rationnel va l’amener à tenter de trouver un sens à l’inexplicable… Quand à André Prioux, il est plus versatile. D’un naturel plutôt placide, en perdant tout repère, il va se monter pusillanime, pleutre, puis agressif. Il vit un cauchemar tellement incompréhensible qu’il s’en gratte la tête à s’en écorner le cerveau.
Quelle formidable idée que d’avoir imaginé cette association d’acteurs ! La confrontation Muriel Robin/François Berléand est une totale réussite. Ils déploient une telle énergie (celle du désespoir pour François, celle de l’espoir pour Muriel), qu’ils doivent finir épuisés à l’issue de la représentation. Ils nous tiennent en haleine du tout début jusqu’à l’ultime seconde… Pour avoir vu sa prestation dans Deux hommes tout nus et sa faculté à se glisser dans l’univers absurde de Sébastien Thiéry, je n’ai pas été surpris par sa performance. Il a cette aptitude à jouer vrai des événements qui ne reposent sur rien de plausible. Ce qui donne, bien sûr, encore plus de poids à la dramaturgie.


Quant à Muriel Robin, affûtée comme jamais, elle confirme dans cette pièce l’étendue de son éventail de jeu. Qu’elle se montre étourdissante quand il s’agit pour elle de nous la jouer survoltée et extravagante, c’est son fonds de commerce. Or, ici, elle nous prouve, ainsi qu’elle l’avait déjà montré dans Marie-Line, Mourir d’aimer ou Les Fugueuses, qu’elle sait, sans aucun artifice, faire vibrer la corde sensible. Voir « Mumu » dans Momo confesser son désir d’être une maman dépasse la simple écriture d’un synopsis. Dans ce cri, elle met beaucoup d’elle-même. Là aussi, à travers l’émotion suscitée, ça apporte un supplément de crédibilité à la pièce. La grande bourgeoise sûre d’elle, fière et altière voit soudain s’effriter son vernis protecteur vieux de quarante ans. Au diable la dignité ! S’il faut se comporter en lionne pour sauver un enfant, qu’il soit ou non le sien (ça, je vous laisse le soin de le découvrir), et bien allons-y…

On ne peut également passer sous silence le personnage interprété par Ninie Lavallée. Elle a l’art de nous déstabiliser encore plus à un moment où on est déjà passablement désorienté. Il faut le faire !

Sébastien Thiéry a écrit là sa pièce de loin la plus personnelle et la première qui, en dépit de son aspect surréaliste, s’avère être parfaitement logique. Et puis, pour une fois, il ne nous laisse pas une conclusion en points de suspension car Momo a une vraie fin… La performance d’acteur de Sébastien Thiéry dans le rôle de cet enfant sans gêne parce qu’il est sans gènes est d’autant plus remarquable qu’il y a mis lui aussi beaucoup de lui-même. Cette part d’intimité injectée dans une comédie a priori farfelue lui donne une dimension réellement émouvante, un petit supplément d’âme.
Et il ne me reste plus qu’à lui dire avec reconnaissance et affection : « Merci pour ce « Momoment »…


Gilbert « Critikator » Jouin

jeudi 10 septembre 2015

Ladies Night

Palais des Glaces
37, rue du Faubourg du Temple
75010 Paris
Tel : 01 42 02 27 17
Métro : République / Goncourt

Une comédie d’Anthony Mc Carten, Stephen Sinclair et Jacques Collard
Nouvelle adaptation d’Alain Helle
Mise en scène de Julien Tortora et Rachel Suissa
Chorégraphies de Mélanie Dahan
Lumières de Sébastien Lanoue
Costumes d’Anne-Sophie Lebocey
Avec Clara Morgane (Glenda), Christophe Canard (Gérard), Arnaud Cassano (Steph), Jacques Courtes (Bernie), Clément Naslin (Benoît), Vincent Piguet (Jacky), Philou (Wes), Jérémy Malaveau ou Julien Tortora (Manu)

L’histoire : Quand Manu a une idée derrière la tête, il ne lâche rien. Déterminé à retrouver la garde de son fils, il va réussir à motiver ses potes de comptoir pour créer… un spectacle de chippendales !
Leurs motivations : se sortir du chômage.
Leurs points faibles : leur physique et leur piètre talent de danseur.
Leurs points forts : l’humour et la solidarité.
Heureusement, sur leur chemin ils seront aidés par Glenda, ex-danseuse, qui les soutiendra et les mènera jusqu’au show final.
Véritable tableau de notre société, cette comédie délirante et émouvante prouve que rien n’est impossible si on a la force d’y croire.

Mon avis : C’est la troisième version de Ladies Night que je vois. J’avais découvert cette pièce il y a quinze ans, avec Olivier Marchal et Lisette Malidor, je l’ai revue en 2012, avec Linda Hardy et Bruno Sanches… Et bien cette nouvelle mouture est largement au niveau des deux précédentes et elle produit le même (fort) impact sur les spectateurs et, surtout, sur les spectatrices.
On connaît l’histoire. Elle a été le thème du film britannique The Full Monty, sorti en 1997, bardé de récompenses en Angleterre et aux Etats-Unis, et qui a connu un formidable succès à travers le monde. Ses six héros sont des naufragés de la vie. Le chômage les a plongés dans une misère sociale (marginalisation, désoeuvrement) et affective (problèmes de couple). Il ne leur reste comme point d’ancrage que leur amitié et le bar de Bernie où ils se retrouvent pour jouer aux fléchettes et boire des bières. Compagnons d’infortune ; ensemble ils se sentent un peu plus forts.
Une annonce parue dans un journal local va bouleverser leur morne existence en leur offrant un but, un projet. Bref, en leur donnant l’opportunité de rêver à nouveau. C’est Manu qui va être l’instigateur de ce challenge insensé. Manu, sans doute le plus paumé de la bande, qui fait n’importe quoi de sa vie, mais qui devient fou à l’idée de se voir déchu des droits sur son fils de 7 ans. Sa proposition de créer un spectacle de strip-tease va rencontrer un écho plutôt favorable chez ses compagnons, d’autant qu’il pourrait y avoir une belle recette à la clé. Qui dit argent, dit récupération de sa dignité et reconquête de sa compagne et de son enfant.


Il se dégage de cette pièce une profonde humanité. Ces six personnages, qui forment une sacrée brochette de bras cassés, vont en effet retrouver une énergie perdue en se lançant à fond dans une entreprise qui frise l’utopie. Qui dit six personnages, dit six caractères. Pour que ça sonne vrai, il faut que les comédiens soient le plus banals possibles, qu’ils nous ressemblent. Pour mener à bien leur folle aventure, ils ont vraiment beaucoup plus de handicaps que d’atouts. Certains ne sont plus très jeunes, d’autres ont des problèmes de poids, un autre n’est pas encore sorti des jupons de sa maman… Ce ne sont vraiment pas des apollons. C’est ce en quoi ils sont touchants.

Le casting est vraiment parfait. Ils sont tous des « right men at the right place ». Malgré tout, il y en a trois qui attirent un peu plus notre attention. Jérémy Malaveau qui, dans le rôle de Manu, apporte une certaine animalité. Il a touché le fond et le projet qu’il a imaginé le regonfle d’une sorte d’énergie du désespoir. Il est en outre extrêmement émouvant dans les séquences où son fils est en cause… Vincent Piguet incarne à la perfection Jacky, un rocker fan de Dick Rivers, un peu fruste, un peu narcissique, très caricatural, terriblement naïf et, forcément, attachant… Et puis il y a Clément Naslin. Son Benoît est le personnage qui provoque le plus d’éclats de rire. Pour l’interpréter, il a pris une voix de fausset, adopté une démarche étriquée ; c’est le petit poussin égaré dans une basse-cour. Cette aventure va, sans qu’il s’en doute, le révéler à lui-même, lui permettre d’exister par lui-même et de couper enfin le cordon ombilical…


J’insiste, tout le monde est bon dans cette pièce. Il faut y ajouter Jacques Courtes, le patron du bar qui sponsorise généreusement les futurs Metallo Boys et bien sûr Clara Morgane qui apporte tout son charme, son autorité et sa force de conviction pour que cette folle entreprise soit un succès.
Enfin, il faut souligner la place prépondérante que tiennent les épisodes dansés dans ce spectacle. Il est amusant de voit l’évolution de nos énergumènes dans cette discipline, de patauds et désordonnés qu’ils sont au début, jusqu’à un étourdissant bouquet final. Et là, chapeau au travail de la chorégraphe Mélanie Dahan !
Je dois avouer que, comme les deux fois précédentes, j’ai été parcouru de frissons au moment où nos Metallo Boys font leur entrée sur scène pour présenter leur show pour la première fois au public. Et, ce qui est également très plaisant à ce moment-là, c’est de voir et d’entendre les spectatrices participer au jeu en encourageant chaudement nos strip-teasers en herbe…


Gilbert « Critikator » Jouin

mercredi 9 septembre 2015

Sophie Aram "Le fond de l'air effraie"

Palais des Glaces
37, rue du Faubourg du Temple
75010 Paris
Tel : 01 42 02 27 17
Métro : République / Goncourt

Ecrit par Sophia Aram et Benoît Cambillard
Mis en scène par Benoît Cambillard

Présentation : L’humoriste dépeint avec tendresse des personnages se débattant avec l’air du temps. Elle s’interroge sur l’état d’un débat public traversé par des idéologies et une actualité dramatique. Entre le chômage, le réchauffement climatique, Eric Zemmour, la montée du FN, Valérie Trierweiler et Charlie… il y a vraiment de quoi rire !

Mon avis : « Le fond de l’air effraie »… Tout le thème du nouveau spectacle de Sophia Aram est contenu dans cette assertion. Les deux années qu’elle vient de vivre ont en effet été particulièrement éprouvantes pour l’humoriste, tant sur le plan professionnel avec la cabale (Petit Larousse : « Manœuvres, intrigues qui visent à provoquer l’échec de quelqu’un ») qu’elle a subie lors de son talk-show sur France 2 à la rentrée 2013, que sur le plan affectif avec l’insupportable disparition de ses amis de Charlie Hebdo. Sacré bagage à trimballer.

Or, ce lourd bagage, la jeune femme va l’ouvrir devant nous et nous en exposer le contenu avec tout le recul nécessaire que permet son sens chronique de l’humour et son tempérament inoxydable de combattante. Tout de go, elle annonce d’ailleurs que c’est pratiquement « impossible de faire léger ». Pourtant, elle va réussir à nous faire rire pendant près d’une heure et demie avec des sujets qui, de toute évidence, ne sont pas vraiment drôles… Le fond de l’air effraie, certes, mais si on occulte un « fond » (que l’on n’est pas loin d’avoir touché) pour y mettre la forme, on peut s’en sortir. C’est donc ce que Sophia s’emploie à faire.


Si, comme l’a écrit Boris Vian, « L’humour, c’est la politesse du désespoir », on peut affirmer que Sophia Aram est très, très, très polie. Evidemment, athéisme proclamé oblige, elle n’ira jusqu’à proclamer que Dieu est humour, mais c’est à travers ce prisme qu’elle va traiter les différents événements qui ont ponctué sa/notre vie ces derniers temps… Pétulante et aérienne, avec son sens acéré de la formule qui fait mouche, elle se livre d’abord à une sorte de revue de presse avant de s’attarder un peu sur les deux plus grands succès littéraires de l’année, les ouvrages respectifs de Valérie Trierweiller et d’Eric Zemmour, avec extraits éloquents à l’appui. Savoureux !

Puis, ses formidables dons de comédienne et sa faculté à prendre n’importe quel accent aidant, elle se glisse dans la peau (et dans la tête pleine de bon sens) de sa tante Fatiha pour nous offrir un brillantissime contre-pied à un phénomène de mode actuel que je vous laisse le plaisir de découvrir… Sophia va ensuite alterner son show entre stand-up et incarnation de personnages. Elle revient sur son gadin télévisuel, décortique les différences patentes entre la Gauche et la Droite, analyse les dérives et les aberrations qui envahissent la toile par internautes interposés, évoque ses rencontres doublement lepénistes sur l’antenne de France Inter… Elle reprend l’accent québécois pour tenter d’expliquer ce qui peut motiver un Canadien à faire le djihad, puis l’accent des cités pour narrer la déception d’une jeune fille partie en Syrie rejoindre les combattants de l’Etat islamique… Sophia Aram est d’une logique implacable. Son sens de l’observation, redoutable, est illustré par des métaphores osées. Elle, elle appelle un chat un chat (quand on n’est pas croyante, les mots, eux, peuvent être crus)…


Le fond de l’air effraie... Ça fait froid dans le dos. Raison de plus pour ne pas se retourner et faire face. Ce qu’elle fait avec un courage énorme car elle en vient enfin à raviver les dramatiques événements du 7 janvier au cours desquels certains de ses plus proches amis ont pris au sens (pas vraiment propre) « Du plomb dans la tête » de la part de fanatiques en pleine « Crise de foi ». La douleur est encore trop vive. Alors, elle va utiliser à son tour ses talents de caricaturistes et de satiriste et parvenir à nous faire sourire avec l’indicible. C’est sa façon à elle de se/nous mettre un baume sur des plaies qui ne peuvent pas cicatriser. Et elle termine avec une apologie du droit blasphème (tout en respectant celui de croire) qui m’a donné à penser qu’elle venait d’inventer un nouveau type de femme engagée : la blasphemen !

Le fond de l’air effraie est un spectacle à part dans l’œuvre de Sophia Aram car il est plus personnel, plus intime. Pourtant, à l’instar des deux précédents, elle parvient à nous faire souvent éclater de rire. Ses mimiques, sa gestuelle, une voix qui distille les horreurs avec douceur, ses images audacieuses, ses propos iconoclastes, son sourire enjôleur et, surtout, sa totale sincérité font qu’elle nous fait vivre une fois de plus un grand moment de drôlerie, de finesse et d’intelligence.


Gilbert « Critikator » Jouin

lundi 7 septembre 2015

Mathieu Saïkaly "A Million Particles"


Fiction France – Polydor / Universal


Affublé du surnom de « farfadet » tout au long de son épopée « nouvellestaresque », c’est en faune interstellaire que Mathieu Saïkaly nous revient pour nous présenter son premier album, A Million Particles »…
Pour l’avoir suivi pendant l’émission et pour avoir eu le plaisir de le découvrir sur une scène champêtre à Cachan, je savais à peu près à quoi m’attendre de la part de ce jeune de 22 ans à la personnalité déjà très affirmée. Pourtant, son opus m’a quand même surpris. Difficile d’imaginer une œuvre plus personnelle. Mathieu ne ressemble à personne, tout au moins artistiquement. Physiquement, peut-être en raison du sang libanais qui coule dans ses veines, il présente une ressemblance avec Mika. Il a également en commun avec lui son goût pour la musique pop, une excellente maîtrise de la langue anglaise et un authentique cosmopolitisme. Or, dans « cosmopolitisme », il y a « cosmos ». Comme dans le titre de la deuxième chanson de son album où il l’associe au mot « cliché » en forme de clin d’œil malicieux.

Il faut écouter plusieurs fois A Million Particles pour en savourer toute sa richesse et toutes ses subtilités. Les qualificatifs qui s’imposent pour le décrire sont sobre, aérien, élégant… Mathieu Saïkaly est un rêveur lucide. Il s’auto-flagelle d’ailleurs carrément en évoquant ses « conneries de romantique ». Romantique, il l’est certes, et il l’assume, mais il est capable d’observations quasi cliniques alors qu’il devrait se trouver en plein lâcher prise amoureux comme dans Poison (Berce du Caucase). Il veut bien planer, mais tout en gardant le contrôle de sa dérive…


J’ai lu dans quelques articles à son propos revenir fréquemment le terme « fragile » pour le définir. Mais quand on lit attentivement les textes de ses chansons, je suis convaincu qu’il est loin de l’être. Qu’il soit sensible et doux, c’est indéniable ; ça ne le rend pas vulnérable pour autant. Dans Canvas, on le sent même un tantinet compliqué, et dans Je t’ai cherchée, il est carrément obsessionnel. On peut même se demander s’il n’est pas fasciné par les parts d’ombre ; les siennes et celles des autres. De même, quand il se projette Dans l’espace, on sent paradoxalement poindre une sensation d’enfermement, un vague sentiment d’insatisfaction. Difficile de trouver sa place quand il y en a trop ? Bizarre… Il nourrit même une certaine méfiance vis-à-vis de l’amour. Apparemment, c’est pour lui un jeu de hasard, la conséquence d’un coup de dés (From Glass To Ice). Ce qui n’interdit pas, au contraire, de tendres moments de partage et de fraîcheur quand il le vit comme dans le superbe duo Dans l’ombre de mes pupilles qui se présente ; selon moi, comme la suite enchanteresse de Pour Bubz.

Visiblement, l’écriture et la réalisation de son premier album n’ont souffert d’aucune concession. A Million Particles est 100% « Saïkalytatif ». Avec son grand sourire angélique, il nous invite dans son univers à la douceur communicative. Il y imprime sa marque, son identité, son sceau. Son truc à lui, c’est tout simplement guitare sèche et voix. Bien sûr, tout en s’en tenant au plus grand dépouillement, il ajoute ce qu’il faut de vaporeux et de céleste en saupoudrant un peu de cordes et de chœurs par ci, par là… L’écriture est soignée, imprégnée d’une recherche évidente de jolies sonorités.
En conclusion, A Million Particles est un album très personnel, original, envoûtant. Je pense qu’il prendra toute son intensité lorsque Mathieu Saïkaly le présentera sur scène. Son espace à lui, c’est là qu’il se tient, c’est là qu’il va prendre son envol et sa réalité. Car il est incontestablement déjà un artiste à part, à particules. A particules mystérieuses et féériques.


Mathieu Saïkaly se produira au Café de la Danse le 5 octobre.