Théâtre de Paris
15, rue Blanche
75009 Paris
Tel : 01 48 74 25 37
Métro : Trinité
Une pièce de Sébastien Thiéry
Mise en scène par Ladislas Chollat
Scénographie d’Edouard Laug
Costumes de Jean-Daniel Vuillermoz
Musique de Frédéric Norel
Lumières d »Alban Sauvé
Avec Muriel Robin (madame Prioux), François Berléand
(monsieur Prioux), Sébastien Thiéry (Momo), Ninie Lavallée
L’histoire :
Un soir, en rentrant chez eux, monsieur et madame Prioux découvrent avec
stupéfaction qu’un certain Momo s’est installé chez eux. Momo est revenu chez
ses parents pour leur annoncer son mariage. Les Prioux, qui n’ont jamais eu
d’enfant, tombent des nues… D’autant que tout semble prouver que Momo est bien
leur fils. Momo est-il un mythomane ? Un manipulateur ? Les Prioux
ont-ils oublié qu’ils avaient un enfant ?... Une comédie désopilante qui
fait exploser les codes de la filiation.
Mon avis : On
n’ira peut-être pas jusqu’à utiliser l’épithète emphatique « momonumental »
pour qualifier cette pièce mais, comme à son habitude, le déroutant Sébastien
Thiéry nous entraîne dans une histoire totalement abracadabrantesque.
Dès les premières minutes, il nous installe inconfortablement
dans un caddy de supermarché, caddy qu’il lâche sans sommation sur les rails
brinquebalants d’un scenic railway au parcours extraordinairement accidenté. Le
pire, c’est que cet engin de fortune va prendre de plus en plus de vitesse
jusqu’à en devenir incontrôlable. La tension est tellement forte que la seule
réaction à avoir pour s’en soustraire, c’est de rire. De rire comme des enfants
qui aiment à avoir peur tout en sachant qu’ils ne risquent absolument rien.
A l’instar de madame et monsieur Prioux, nous sommes plongés
dans l’incompréhension la plus totale. Kafka, c’est de l’eau de rose à côté du
machiavélisme de Sébastien Thiéry. C’est vrai qu’on n’aimerait pas se trouver à
leur place… Inutile ici pour les comédiens de sur-jouer. La situation est d’elle-même
tellement ubuesque qu’il aurait été suicidaire et grotesque d’en rajouter. Les Prioux
sont deux insectes qui se débattent dans une toile tissée par un inquiétant
arachnide. Chacun va essayer de s’en extraire par ses propres moyens sans se
préoccuper de l’autre, ou alors en l’affrontant. C’est vraiment du chacun pour
soi. Question de caractère.
Laurence Prioux est une femme de tempérament. Professionnellement,
elle a l’habitude de commander. Elle est pragmatique, autoritaire, énergique.
Son esprit rationnel va l’amener à tenter de trouver un sens à l’inexplicable… Quand
à André Prioux, il est plus versatile. D’un naturel plutôt placide, en perdant
tout repère, il va se monter pusillanime, pleutre, puis agressif. Il vit un cauchemar
tellement incompréhensible qu’il s’en gratte la tête à s’en écorner le cerveau.
Quelle formidable idée que d’avoir imaginé cette association
d’acteurs ! La confrontation Muriel Robin/François Berléand est une totale
réussite. Ils déploient une telle énergie (celle du désespoir pour François,
celle de l’espoir pour Muriel), qu’ils doivent finir épuisés à l’issue de la
représentation. Ils nous tiennent en haleine du tout début jusqu’à l’ultime
seconde… Pour avoir vu sa prestation dans Deux
hommes tout nus et sa faculté à se glisser dans l’univers absurde de Sébastien
Thiéry, je n’ai pas été surpris par sa performance. Il a cette aptitude à jouer
vrai des événements qui ne reposent sur rien de plausible. Ce qui donne, bien
sûr, encore plus de poids à la dramaturgie.
Quant à Muriel Robin, affûtée comme jamais, elle confirme dans cette pièce l’étendue
de son éventail de jeu. Qu’elle se montre étourdissante quand il s’agit pour
elle de nous la jouer survoltée et extravagante, c’est son fonds de commerce.
Or, ici, elle nous prouve, ainsi qu’elle l’avait déjà montré dans Marie-Line, Mourir d’aimer ou Les Fugueuses, qu’elle sait, sans aucun
artifice, faire vibrer la corde sensible. Voir « Mumu » dans Momo confesser son désir d’être une
maman dépasse la simple écriture d’un synopsis. Dans ce cri, elle met beaucoup
d’elle-même. Là aussi, à travers l’émotion suscitée, ça apporte un supplément
de crédibilité à la pièce. La grande bourgeoise sûre d’elle, fière et altière
voit soudain s’effriter son vernis protecteur vieux de quarante ans. Au diable
la dignité ! S’il faut se comporter en lionne pour sauver un enfant, qu’il
soit ou non le sien (ça, je vous laisse le soin de le découvrir), et bien
allons-y…
On ne peut également passer sous silence le personnage
interprété par Ninie Lavallée. Elle a l’art de nous déstabiliser encore plus à
un moment où on est déjà passablement désorienté. Il faut le faire !
Sébastien Thiéry a écrit là sa pièce de loin la plus
personnelle et la première qui, en dépit de son aspect surréaliste, s’avère
être parfaitement logique. Et puis, pour une fois, il ne nous laisse pas une
conclusion en points de suspension car Momo
a une vraie fin… La performance d’acteur de Sébastien Thiéry dans le rôle de
cet enfant sans gêne parce qu’il est sans gènes est d’autant plus remarquable qu’il
y a mis lui aussi beaucoup de lui-même. Cette part d’intimité injectée dans une
comédie a priori farfelue lui donne une dimension réellement émouvante, un
petit supplément d’âme.
Et il ne me reste plus qu’à lui dire avec reconnaissance et
affection : « Merci pour ce « Momoment »…
Gilbert « Critikator » Jouin
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