mardi 12 octobre 2010

Les Amis du placard


La Pépinière Théâtre
7, rue Louis-le-Grand
75002 Paris
Tel : 01 42 61 44 16
Métro : Opéra

Une pièce de Gabor Rassov
Mise en scène par Pierre Pradinas
Avec Didier Bénureau (Jacques), Romane Bohringer (Odile), Aliénor Marcadé-Séchan (Juliette), Matthieu Rozé (Guy)

Ma note : 7,5/10

L’histoire : Profitant d’une vente promotionnelle dans une grande surface de la région parisienne, Jacques et Odile se sont acheté un couple d’amis. Ils les gardent dans un placard et les sortent régulièrement dans l’espoir de passer de bonnes soirées. Jour après jour, ils se montrent de plus en plus exigeants avec ces amis qu’ils ont tout de même payés assez cher. Et de l’exigence à l’abus, il n’y a qu’un pas…

Mon avis : L’idée de départ est totalement absurde, mais exposée comme elle l’est par le couple Jacques-Odile, on n’a aucun mal à en accepter le postulat et à entrer dans leur jeu. D’emblée, leurs caractères respectifs apparaissent. Jacques est un médiocre, un chafouin, un manipulateur mesquin et fielleux, un misogyne à la petite semaine. Bref, un gros con, méchant, vindicatif et vicieux… Odile est une cruche, elle le sait et elle l’assume sans problème parce qu’elle se connaît bien. Elle est comme ça, beaucoup plus bête que méchante. C’est une suiveuse qui emboîte avec un asservissement total le pas de son tordu de mari. On est chez les Bidochon puissance 10. Il n’y chez eux a pas une once de tendresse, de compassion, et encore moins d’humanité. Ils sont redoutables.
Malgré un prix promotionnel, ils ont fait un gros sacrifice financier pour agrémenter leur petite vie étriquée et solitaire avec la présence d’un couple d’« amis », monsieur et madame Bégon, Guy et Juliette. Alors, ils en veulent pour leur argent.
Plus maltraités que de vulgaires animaux de compagnie, les Bégon sont remisés dans un placard d’où Jacques et Odile les extraient au gré de leurs besoins et de leurs envies. Guy et Juliette ne peuvent que s’estimer satisfaits et reconnaissants envers ceux qui les ont ainsi sortis de la misère. Ils ont avec eux une attitude docile et obséquieuse. Très contents de leur achat, Jacques et Odile font d’eux les jouets de leurs fantasmes. Ça commence par des conversations futiles et des réflexions d’une vacuité sans nom. Puis, au fil de l’histoire, on découvre que les Bégon subissent un véritable mépris malsain. C’est à peine s’ils sont nourris et abreuvés. C’est dur pour nous d’assister à autant de malveillance. D’autant que les Bégon ne sont dupes de rien. Au fur et à mesure des brimades et des privations, on sent la révolte poindre et enfler. Simple question de dignité.

Si vous n’appréciez pas l’humour noir et acide, si vous n’avez pas non plus au fond de vous un goût caché pour la perversité, si vous êtes romantique et sentimental, vous allez souffrir. Les Amis du placard est une pièce sur l’abus de pouvoir, sur l’esprit de possession. Son second degré, partiellement dissimulé derrière des sentiments et des situations primaires, est permanent. C’est d’un cynisme absolu, sans concession… et jouissif.
Si une pièce aussi sabreuse peut se révéler digeste, c’est par la grâce de quatre comédiens qui se donnent à fond à leurs personnages, avec un réalisme et un décalage dignes d’un roman-photo de feu Hara-Kiri. Dans ce registre-là, Didier Bénureau est comme un piranha dans une baignoire. Il est parfaitement infect en vicelard, content de lui, raciste, franchouillard, qui se venge des humiliations de son patron en en infligeant à plus petit que lui. C’est du grand, du très grand Bénureau. Jacques pourrait aisément être un de ses personnages de sketch. A part que son numéro - et quel numéro - dure là une heure et demie. C’est fascinant de le voir tour à tour mielleux ou vitupérant, cauteleux ou agressif… Il a tout le temps une sale idée derrière la tête, il n’aime personne, il considère son épouse comme une andouille et ne se prive jamais de le lui rappeler…
Cette épouse, justement, Odile, interprétée par une surprenante Romane Bohringer. C’est une belle surprise que de la découvrir dans un registre où elle ne s’était jusqu’à présent jamais aventurée. Elle joue les bêtasses avec beaucoup de finesse, toute en acquiescements, sourcil levé, sourires résignés et quand il faut rajouter une couche à l’ignominie, elle n’est pas la dernière. Il faut dire qu’elle a un bon modèle !
Quant à Guy et Juliette, ils sont de parfaits interfaces. Leur jeu à eux est tout en évolution. En présence de leurs acheteurs, ils honorent le contrat qui les lie à eux et ils jouent l’effacement à merveille. Mais dès qu’ils sont seuls, ils reprennent du poil de la bête. Ils ont certes été achetés, mais ils ne sont pas des vendus. Nuance… Aliénor Marcadé-Séchan et Matthieu Rozé, indissociables, expriment une jolie palette de sentiments. De par leur situation, et en raison de l’outrance de leurs « propriétaires », ils jouent très intelligemment la demi-teinte et ils se révèlent bien plus finauds qu’ils ne le laissent croire.
Je ne peux terminer ce papier sans souligner un certain numéro de marionnettes particulièrement savoureux. Je vous laisse le plaisir de la découvrir. C’est une bien jolie métaphore à propos de gens qui seraient des pantins pour les autres…

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