L’Alhambra
21, rue Yves Toudic
75010 Paris
Tel : 01 40 20 40 25
Métro : République / Jacques Bonsergent
Ecrit et interprété par Anne Roumanoff
Mis en scène par Gil Galliot
Présentation :
Qu’elle incarne une productrice de téléréalité prête à toutes les manipulations
pour arriver à ses fins, une touriste américaine qui ne parvient pas à attirer
l’attention du serveur ou qu’elle dresse un portrait au vitriol des parents
d’élèves englués dans leurs problèmes, Anne Roumanoff nous raconte la société
française à travers des personnages de femmes se débattant avec un quotidien
pas toujours facile.
Alternant les sujets légers et les sujets plus profonds, ses
personnages sont toujours finement observés et le trait est juste. Le texte est
ciselé au millimètre. Anne Roumanoff, actrice extraordinaire, a une
spécialité : l’ordinaire. Rions de tout ce qui va mal avant que d’en
pleurer…
Mon avis :
Fidèle à ses habitudes, Anne Roumanoff s’installe pour un long séjour dans une
salle parisienne. Elle se produira ainsi jusqu’au 19 janvier 2016 sur la scène
de l’Alhambra…
Hier soir, pour sa toute première prestation dans la
capitale, elle est apparue déjà très affûtée, nous offrant une heure et demie d’un
show absolument éblouissant.
Pour paraphraser Georges Brassens, on peut sans flagornerie
aucune, affirmer que « tout est bon
chez elle, il n’y a rien à jeter ». Tout au long du spectacle, j’ai
recherché en vain le sketch un peu moins bon, le propos facile, le cliché
éculé. De toute évidence chacun des sketchs – et il y en a seize – a été
travaillé et retravaillé. Telle Mame Lemontu, sa bouchère vedette, elle a
gratté jusqu’à l’os pour éliminer tout gras superflu et ne garder que le dur et
le nerf. Aucun bas morceau sur son étal, que de la haute qualité labélisée « viande
rouge… manoff », bien goûtue et, surtout, bien saignante.
Dans deux mois, Anne aura 50 ans et, à une année près, trente
ans de métier. Visiblement, elle a atteint sagesse et sérénité. Elle entame d’ailleurs
son spectacle en se moquant d’elle-même, de son âge, de ses problèmes
récurrents de poids ; ce qui l’autorise à dire qu’elle est aujourd’hui « lourde
d’expérience », ce à quoi j’ajouterai personnellement qu’avec sa plume
qui, elle, est toujours restée légère et incisive, elle est désormais « hors
ligne ». Elle est tout en haut. Elle fait partie de la demi-douzaine de
nos meilleurs humoristes, tous sexes confondus.
Sur ses seize sketchs, il y en a tout de même douze nouveaux.
Je ne sais pas comment elle réussit à se renouveler autant et aussi vite. Sa
force, c’est de puiser ses sujets dans notre quotidien. En observatrice avisée,
elle se nourrit de ce qu’elle picore dans notre vie de tous les jours.
Contrairement à Monsieur Jourdain qui fait de la prose sans le savoir, elle
pratique l’anthropologie en toute connaissance de cause. Ça, elle l’étudie son
prochain, et sous toutes ses formes ! Tous nos travers, tous les
dysfonctionnements de notre société, toutes les faiblesses de nos institutions,
sont analysés, stigmatisés et, amplifiés sous la loupe de son humour
dévastateur, nous sont resservis sous formes de sketchs particulièrement efficaces.
Anne est une authentique « merformeuse »
(barbarisme pour le féminin de performeur). Elle joue avec son corps et sa voix,
jongle avec les accents ; elle possède une façon ahurissante d’incarner
ses personnages, les faisant dialoguer entre eux en autant de saynètes percutantes
et réjouissantes. S’appuyant sur une écriture au cordeau et un sens de la
formule terriblement aiguisé, elle n’a plus qu’à laisser ses talents de
comédienne faire le reste.
Aimons-nous les uns
les autres est un véritable festival riche et varié. Anne y assène des
vérités, des évidences avec une virtuosité qui force le respect. Elle nous fait
rire avec des choses qui, a priori, devraient nous agacer et nous affliger.
Voire, nous faire honte. A travers sa galerie de portraits, elle évoque Pôle
Emploi, le mariage gay, la phobie administrative, le coaching en bien-être, l’éducation
des enfants, le choix d’une politique extrême, le manque de courtoisie des
Français vis-à-vis des touristes, les problèmes des ados déscolarisés… Tout
nous concerne.
Et son final, qui se décompose en trois sketchs, est en
apothéose (définition du Larousse : « Dernière partie, la plus
brillante, d’une action, d’une manifestation sportive, artistique… »),
avec en entrée Radio Bistro, en plat
de résistance Aimons-nous les uns les
autres, dont la mise en scène est réellement étourdissante d’inventivité
(et quel texte !) et, en dessert, une fable admirablement écrite que je
sous-titrerais « Les animaux malades de la politique »…
Sans complaisance aucune, on ne peut que saluer la
performance scénique et la qualité de ce nouveau spectacle tant dans l’écriture
que dans le jeu. Excellant dans la composition de personnages vraiment hauts en
couleurs, Anne Roumanoff est au sommet de son talent. En rouge et noir, campée
entre deux cœurs stylisés, elle vous accueillera à Alhambra ouvert…
Gilbert « Critikator » Jouin
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