samedi 28 mai 2016

Et pendant ce temps Simone veille

Studio Hébertot
78bis, boulevard des Batignolles
75017 Paris
Tel : 01 42 93 13 04
Métro : Villiers / Rome

Ecrit par Trinidad, Bonbon, Hélène Serres, Vanina Sicurani, Corinne Berron
Textes des chansons de Trinidad
Mis en scène par Gil Gaillot
Lumières de Gil Gaillot
Costumes de Sarah Colas
Arrangements musicaux de Pascal Lafa
Chorégraphies d’Aurore Stauder
Décor de Jean-Yves Perruchon
Avec Trinidad, Fabienne Chaudat, Agnès Bove, Serena Reinaldi

Présentation : Le féminisme peut-il être drôle ? C’est tout l’enjeu de ce spectacle.
Suite à l’affaire Strauss Kahn en 2011, Trinidad a eu l’idée de revisiter l’histoire de la condition féminine en France, des années 50 à nos jours, à travers trois lignées de femmes, celles de Marcelle, France et Giovanna. L’ouvrière, la bourgeoise et la troisième issue de la classe moyenne qui semble s’être échappée d’un film de Jacques Tati.
Ces trois femmes au destin différent ont toutefois un point commun : elles ont travaillé pendant la guerre et ont gardé la nostalgie d’une indépendance « éphémère » après le retour des hommes.
Quatre générations de femmes se succèdent dans ce voyage qui s’étend de la lutte pour l’avortement à la procréation assistée.

Mon avis : Il est des pièces qui dépassent le stade de simple divertissement. Et pendant ce temps Simone veille est ce celles-là. Hommes, femmes et, surtout, adolescents de tous les sexes se doivent de se précipiter au Studio Hébertot pour assister à un résumé quasi exhaustif de la condition féminine de ces soixante dernières années.
Très sincèrement, ce spectacle vous remet les idées d’aplomb… Dès le début – on se trouve en 1950 - on est happé par l’histoire de ces trois femmes, Marcelle, Giovanna et France. Elles sont de condition sociale et de tempérament différents mais leurs soucis sont les mêmes. Si l’avènement des appareils ménagers leur simplifie la vie sur le plan domestique, leurs rapports à l’emploi, aux hommes, à l’éducation des enfants et à la sexualité ne sont pas vécus de la même façon. Il y a tant de paramètres possibles…


Cette pièce est forte ; très forte. Elle tire sa force de divers critères : son fonds, sa valeur historique, son aspect didactique, sa construction, son écriture, sa mise en scène et le jeu pointu des quatre comédiennes. La condition féminine… Le sujet n’est pas badin, surtout pas anecdotique. Nous sommes tous concernés. Ce qui s’avère formidablement habile de la part de son auteure (Trinidad), c’est d’avoir traité ce sujet sérieux, parfois même grave, sous le biais de l’humour. Pas une seule fois, alors qu’il y aurait largement de quoi, elle ne tombe dans le travers de l’agressivité, de l’esprit de revanche ou de l’amertume. Les situations sont toutes hyper réalistes, mais elles sont considérées et jouées avec une volonté de légèreté. Pourtant, elle évoque une kyrielle d’événements ou de cas qui sont absolument révoltants. Les « Trente Glorieuses », par exemple, ne sont pas si « glorieuses » que cela pour la gent féminine ; servitude, dépendance au mari, droit au divorce, adultère, interruption de grossesse… c’est un véritable parcours de la combattante pour réussir à grappiller quelques acquis.

Ce combat-là, on le suit de batailles en batailles à travers les confidences de trois amies pendant quatre générations. Des mères à leurs arrière-petites-filles. Ça aussi c’est un point fort de la pièce. Car on est fidélisés. Le lien n’est jamais rompu. On a nos repères. On connaît la psychologie  de chacune et ses principaux traits de caractère… Et puis, élément prépondérant de la pièce, au côté de nos trois héroïnes, il y a un personnage essentiel, celui de Simone qu’interprète brillamment Fabienne Chaudat. Simone, c’est le phare, la commentatrice. Elle vient éclairer cette histoire de la femme de faits historiques, de dates, de lois, de détails… Elle est indispensable. A la fois fil rouge et nota bene humain, elle interprète avec une cocasserie quasi burlesque des précisions qui sont, dans l’absolu, plutôt rébarbatives. Or, chacune de ses interventions, tout en nous informant, nous fait crouler de rire.



Les dialogues sont piquants, cinglants. Les formules savoureuses abondent. Les parodies sont excellentes. Les chorégraphies sont drôles et réussies. Le choix des quelques projections sur un écran de télévisions est particulièrement judicieux. Elles apportent aussi leur éclairage et permettent de raviver certains souvenirs. Les costumes, restitués par Sarah Colas, tiennent également un rôle important car ils matérialisent précisément l’époque abordée.
Et puis il y a les comédiennes. Outre Fabienne Chaudat, on ne peut dissocier Trinidad, Agnès Bove et Serena Reinaldi. Formidablement complices et idéalement complémentaires, elles illuminent ce spectacle de leur présence. Elles savent tout faire : elles jouent remarquablement la comédie, savent faire passer tous les sentiments, elles chantent, elles dansent. On est séduit, on les aime, on a envie de les comprendre, de les aider, de partager avec elles. Elles sont tout simplement humaines, banales d’humanité. Elles parlent de tout, souffrances, bonheurs, difficultés, arbitraire, persécutions, satisfactions, plaisirs avec une justesse qui nous émeut. Elles ne tombent jamais dans le pathos, lui préférant l’autodérision et l’ironie… Les rires fusent sans cesse, les applaudissements jaillissent spontanément pour saluer certaines scènes ou certaines saillies. Entre ces quatre femmes et le public, les passerelles sont immédiatement édifiées permettant entre elles et nous d’échanger un grand et beau moment de partage.


Et pendant ce temps Simone veille est, à mon goût, une œuvre majeure, vitale. Cette pièce devrait diffusée une fois par an sur le petit écran à l’occasion de la Journée de la Femme (c’est un minimum) et, aussi, présentée à travers la France dans les lycées et collèges. Elle a une mission d’utilité publique, fondamentalement humaine. C’est de l’instruction civique élémentaire.
Pourtant, lorsqu’on arrive au terme de la pièce, lorsqu’on a suivi les péripéties de Marcelle, Giovanna, France et leurs descendantes durant quatre doubles décennies, on réalise que, finalement, les choses ont peu changé pour la femme. Hélas, rien n’est jamais acquis. Ce qui a été conquis, souvent de haute lutte, même lorsqu’il a été officialisé par une loi, s’avère souvent illusoire. Le statut de la femme est loin d’être résolu. On peut légitimement douter qu’il le soit un jour tant les choses restent figées. C’est un long combat où il est impossible qu’il y ait des vainqueurs et des vaincus. C’est le mouvement perpétuel vers plus de droits et plus de libertés. Certaines parviennent à les acquérir, d’autres pas. Les inégalités et les injustices existeront toujours. Raison pour laquelle il faut rester vigilant. En effet, aujourd’hui, on a parfois l’impression de régresser. C’est invraisemblable.

Louis Aragon et, par extension, Jean Ferrat, avaient complètement raison en proclamant « la femme est l’avenir de l’homme ». D’abord ; c’est elle qui les procrée (du moins pour l’instant) et puis elle est la seule garante, à travers son instinct maternel, d’un monde aimant, bienveillant et protecteur (à part bien sûr madame Thatcher et quelques autres). Hélas, l’avenir a ceci de spécifique avec l’horizon qu’on a la sensation qu’il recule toujours. C’est pourquoi il faut continuellement placer des « Simone » en sentinelles pour jalonner le parcours et l’éclairer.

Gilbert « Critikator » Jouin

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