Studio Hébertot
78bis, boulevard des Batignolles
75017 Paris
Tel : 01 42 93 13 04
Métro : Villiers / Rome
Ecrit par Trinidad, Bonbon,
Hélène Serres, Vanina Sicurani, Corinne Berron
Textes des chansons de Trinidad
Mis en scène par Gil Gaillot
Lumières de Gil Gaillot
Costumes de Sarah Colas
Arrangements musicaux de Pascal
Lafa
Chorégraphies d’Aurore Stauder
Décor de Jean-Yves Perruchon
Avec Trinidad, Fabienne Chaudat,
Agnès Bove, Serena Reinaldi
Présentation : Le féminisme peut-il être drôle ? C’est
tout l’enjeu de ce spectacle.
Suite à l’affaire Strauss Kahn en
2011, Trinidad a eu l’idée de revisiter l’histoire de la condition féminine en
France, des années 50 à nos jours, à travers trois lignées de femmes, celles de
Marcelle, France et Giovanna. L’ouvrière, la bourgeoise et la troisième issue
de la classe moyenne qui semble s’être échappée d’un film de Jacques Tati.
Ces trois femmes au destin
différent ont toutefois un point commun : elles ont travaillé pendant la
guerre et ont gardé la nostalgie d’une indépendance « éphémère »
après le retour des hommes.
Quatre générations de femmes se
succèdent dans ce voyage qui s’étend de la lutte pour l’avortement à la
procréation assistée.
Mon avis : Il est des pièces qui dépassent le stade de simple
divertissement. Et pendant ce temps
Simone veille est ce celles-là. Hommes, femmes et, surtout, adolescents de
tous les sexes se doivent de se précipiter au Studio Hébertot pour assister à
un résumé quasi exhaustif de la condition féminine de ces soixante dernières
années.
Très sincèrement, ce spectacle
vous remet les idées d’aplomb… Dès le début – on se trouve en 1950 - on est
happé par l’histoire de ces trois femmes, Marcelle, Giovanna et France. Elles
sont de condition sociale et de tempérament différents mais leurs soucis sont
les mêmes. Si l’avènement des appareils ménagers leur simplifie la vie sur le
plan domestique, leurs rapports à l’emploi, aux hommes, à l’éducation des
enfants et à la sexualité ne sont pas vécus de la même façon. Il y a tant de
paramètres possibles…
Cette pièce est forte ; très
forte. Elle tire sa force de divers critères : son fonds, sa valeur
historique, son aspect didactique, sa construction, son écriture, sa mise en
scène et le jeu pointu des quatre comédiennes. La condition féminine… Le sujet
n’est pas badin, surtout pas anecdotique. Nous sommes tous concernés. Ce qui s’avère
formidablement habile de la part de son auteure (Trinidad), c’est d’avoir traité
ce sujet sérieux, parfois même grave, sous le biais de l’humour. Pas une seule
fois, alors qu’il y aurait largement de quoi, elle ne tombe dans le travers de l’agressivité,
de l’esprit de revanche ou de l’amertume. Les situations sont toutes hyper
réalistes, mais elles sont considérées et jouées avec une volonté de légèreté.
Pourtant, elle évoque une kyrielle d’événements ou de cas qui sont absolument
révoltants. Les « Trente Glorieuses », par exemple, ne sont pas si « glorieuses »
que cela pour la gent féminine ; servitude, dépendance au mari, droit au
divorce, adultère, interruption de grossesse… c’est un véritable parcours de la
combattante pour réussir à grappiller quelques acquis.
Ce combat-là, on le suit de
batailles en batailles à travers les confidences de trois amies pendant quatre
générations. Des mères à leurs arrière-petites-filles. Ça aussi c’est un point
fort de la pièce. Car on est fidélisés. Le lien n’est jamais rompu. On a nos
repères. On connaît la psychologie de
chacune et ses principaux traits de caractère… Et puis, élément prépondérant de
la pièce, au côté de nos trois héroïnes, il y a un personnage essentiel, celui de
Simone qu’interprète brillamment Fabienne Chaudat. Simone, c’est le phare, la
commentatrice. Elle vient éclairer cette histoire de la femme de faits historiques,
de dates, de lois, de détails… Elle est indispensable. A la fois fil rouge et
nota bene humain, elle interprète avec une cocasserie quasi burlesque des
précisions qui sont, dans l’absolu, plutôt rébarbatives. Or, chacune de ses
interventions, tout en nous informant, nous fait crouler de rire.
Les dialogues sont piquants,
cinglants. Les formules savoureuses abondent. Les parodies sont excellentes. Les
chorégraphies sont drôles et réussies. Le choix des quelques projections sur un
écran de télévisions est particulièrement judicieux. Elles apportent aussi leur
éclairage et permettent de raviver certains souvenirs. Les costumes, restitués
par Sarah Colas, tiennent également un rôle important car ils matérialisent précisément
l’époque abordée.
Et puis il y a les comédiennes.
Outre Fabienne Chaudat, on ne peut dissocier Trinidad, Agnès Bove et Serena
Reinaldi. Formidablement complices et idéalement complémentaires, elles
illuminent ce spectacle de leur présence. Elles savent tout faire : elles
jouent remarquablement la comédie, savent faire passer tous les sentiments,
elles chantent, elles dansent. On est séduit, on les aime, on a envie de les
comprendre, de les aider, de partager avec elles. Elles sont tout simplement
humaines, banales d’humanité. Elles parlent de tout, souffrances, bonheurs,
difficultés, arbitraire, persécutions, satisfactions, plaisirs avec une
justesse qui nous émeut. Elles ne tombent jamais dans le pathos, lui préférant
l’autodérision et l’ironie… Les rires fusent sans cesse, les applaudissements
jaillissent spontanément pour saluer certaines scènes ou certaines saillies.
Entre ces quatre femmes et le public, les passerelles sont immédiatement
édifiées permettant entre elles et nous d’échanger un grand et beau moment de
partage.
Et pendant ce temps Simone veille est, à mon goût, une œuvre majeure,
vitale. Cette pièce devrait diffusée une fois par an sur le petit écran à l’occasion
de la Journée de la Femme (c’est un minimum) et, aussi, présentée à travers la France
dans les lycées et collèges. Elle a une mission d’utilité publique,
fondamentalement humaine. C’est de l’instruction civique élémentaire.
Pourtant, lorsqu’on arrive au
terme de la pièce, lorsqu’on a suivi les péripéties de Marcelle, Giovanna, France
et leurs descendantes durant quatre doubles décennies, on réalise que,
finalement, les choses ont peu changé pour la femme. Hélas, rien n’est jamais
acquis. Ce qui a été conquis, souvent de haute lutte, même lorsqu’il a été
officialisé par une loi, s’avère souvent illusoire. Le statut de la femme est
loin d’être résolu. On peut légitimement douter qu’il le soit un jour tant les
choses restent figées. C’est un long combat où il est impossible qu’il y ait
des vainqueurs et des vaincus. C’est le mouvement perpétuel vers plus de droits
et plus de libertés. Certaines parviennent à les acquérir, d’autres pas. Les
inégalités et les injustices existeront toujours. Raison pour laquelle il faut
rester vigilant. En effet, aujourd’hui, on a parfois l’impression de régresser.
C’est invraisemblable.
Louis Aragon et, par extension,
Jean Ferrat, avaient complètement raison en proclamant « la femme est l’avenir
de l’homme ». D’abord ; c’est elle qui les procrée (du moins pour l’instant)
et puis elle est la seule garante, à travers son instinct maternel, d’un monde aimant,
bienveillant et protecteur (à part bien sûr madame Thatcher et quelques autres).
Hélas, l’avenir a ceci de spécifique avec l’horizon qu’on a la sensation qu’il
recule toujours. C’est pourquoi il faut continuellement placer des « Simone »
en sentinelles pour jalonner le parcours et l’éclairer.
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