Parlophone / Warner Music France
Dix ans ! Dix ans depuis Rouge sang… C’est long, bon sang. Putain
d’ pastis !
Alors, lorsque j’ai reçu le
nouvel album de Renaud, le 8 avril dernier, ça m’a fait tout drôle. Je l’ai
posé sur mon bureau et… je n’ai pas osé l’ouvrir.
Tous les jours, je le regardais,
je le contemplais ; mais je n’avais pas le courage d’en extraire la
galette pour la poser sur mon lecteur. Même pas celui de feuilleter le livret.
J’étais heureux de voir que cet album tant espéré avait enfin vu le jour, mais
de là à l’écouter, il y avait un effort considérable à faire. Je ne me faisais
même pas languir, non, je nourrissais un sentiment bizarre. Comme un amoureux
qui se demande si son rendez-vous avec son ex va être à la hauteur de ses rêves
de retrouvailles.
Eh oui, cette année, le label de
mai arrive en avril. A l’instar du Mistral, le retour est gagnant. Record des
ventes et boucan d’enfer autour de SA résurrection. C’est dire s’il était
attendu cet album. Les jeunes Sauvageons autant que les chauves âgés, les purs,
les vrais morganes de lui, étaient vraiment en manque.
Je le voyais à la télé,
j’entendais Toujours debout puis J’ai embrassé un flic à la radio, et je
me confinais dans ma procrastination. Chaque jour, en m’installant devant mon
ordinateur, le CD de Renaud, en position verticale à cinquante centimètres de
moi sur ma gauche (évidemment), m’attendait. Son silence était terrible, mais
je n’avais pas encore envie de le rompre…
Il faut dire que j’entretiens
avec Renaud une relation particulière. La première interview qu’il m’a
accordée, en décembre 1986, a duré trois heures et demie ! 1986 était pour
lui l’année de tous les malheurs ; une profonde année de déprime. Depuis
le 19 juin, son cœur marchait à l’ombre. Coluche s’était particulièrement mal
conduit… Renaud avait envie de parler, de se confier… J’étais venu avec une
idée préconçue sur le bonhomme, je suis reparti ému, empli d’un sentiment d’empathie
et de grande fraternité. Nous nous sommes revus. Je suis allé chez lui, il est
venu chez moi. Notre amour pour Brassens entre autre nous unissait… En 1996,
lorsqu’il a voulu lui rendre hommage en reprenant une vingtaine de ses
chansons, il m’a invité à venir assister aux séances d’enregistrements dans son
appartement du boulevard Edgar Quinet. Tout cela se faisait dans la plus grande
simplicité, avec peu de mots, peu de démonstrations. Mais avec la compréhension
discrète de deux grands timides. Le partage sans l’expansion… J’ai également
été convié en studio lorsque Romane Serda a enregistré son album éponyme pour y
avoir la primeur de quelques titres…
Bref, sans me montrer ou trop
modeste ou trop arrogant, j’ai la faiblesse de croire qu’il y a entre nous pas
mal d’éléments qui ressemblent à de l’amitié. Nous n’avons pas besoin de longs
discours ou d’exubérantes effusions pour nous comprendre et nous apprécier.
Renaud n’est pas un être que l’on
a envie de laisser béton. Le lien ne s’est jamais rompu entre nous. Y compris
dans ses années noires pendant lesquelles le Renard jouait les Méphisto auprès
de Renaud en essayant de lui dévorer l’âme pour l’offrir au diable. Or, le
carnassier à poil fauve ignorait qu’il avait affaire à un drôle d’oiseau, un
piaf à la chetron et au cœur sauvages : un phénix.
Et c’est ce fameux phénix qui
vient de recouvrer son ramage pour nous revenir à tire d’aile, « désanisé »,
requinqué, motivé comme jamais. Le phénix a surtout retrouvé sa plume.
Résultat, il a pondu treize petits œufs, treize chansons qui viennent d’éclore
à peine couvées. En retrouvant l’écriture, Renaud a repris goût à la vie.
L’encre est sa sève. A l’entendre, les mots, si longtemps confinés dans un
recoin obscur de sa conscience, se sont soudain remis à s’agiter, à se
bousculer tels une armée de spermatozoïdes appelés à féconder un album. Quel
orgasme pour lui ! Il n’osait plus y croire.
Alors, comment se présentent ces
treize enfants nés en état d’urgence ?
Car, enfin, un beau matin du mois
de mai, à quelques encablures de son soixante-quatrième anniversaire, j’ai
enlevé le CD du piédestal moral sur lequel je l’avais déposé et, tout
naturellement, j’en ai posé la galette sur ma platine. L’heure était venue.
J’étais prêt pour les retrouvailles.
Le premier bonheur que j’ai
ressenti, c’était de retrouver son timbre de voix si particulier. J’avais eu tellement
peur qu’il ne récupère pleinement la jouissance de son organe ((m)organe de
lui !). Mes trompes d’Eustache se sont immédiatement détendues,
entièrement offertes à l’écoute.
Bon, j’ai toujours été honnête.
Surtout avec les personnes pour lesquelles j’éprouve de l’estime. Il y a des
chansons que j’ai adorées, il y en a que j’ai appréciées, et il y en a que j’ai
trouvées un peu moyennes.
Mes préférées – il y en a six –
sont, dans leur ordre d’apparition sur le CD : Les Mots, Toujours debout, La vie est moche et c’est trop court, Mon
anniv’ et Ta batterie.
Les Mots.
Sans doute ma préférée. J’aime
bien la ritournelle légère de Renan Luce. C’est un aveu. C’est la traduction du
soulagement que Renaud a dû éprouver lorsqu’il s’est enfin remis à noircir des
pages blanches. Hommage aux mots, à l’écriture, à la langue française. Et aussi
clin d’œil respectueux adressé aux grands aînés, aux modèles : Léautaud,
Brassens, Hugo, Nougaro…
Toujours debout.
C’est la locomotive de cet album.
Un hymne qui concerne tous les « phénix » passés, présents et à
venir. On y a l’impression que Renaud s’est d’abord étonné de se retrouver
ainsi vaillant sur des deux guibolles ; ça l’a ensuite rassuré et, se
sentant de nouveau fort, il a pu donner libre cours à son esprit revanchard envers
certains médias qui, en se nourrissant de rumeurs, l’avaient condamné bien
prématurément. Sa résurrection, si attendue, lui permet également d’adresser de
chaleureux remerciements à son public qui, lui, ne l’a jamais lâché. Il a hâte
de le retrouver et tient à le rassurer quant à sa volonté de revenir sur le
devant de la scène et d’y perdurer.
La vie est moche et c’est trop
court.
« Petite chanson
désabusée » empreinte de nostalgie. Elle exprime la vanité et la rapidité
de la vie. Les mots et les images sont réalistes. La voix, que l’on sent encore
fragile, mal assurée, ajoute encore au contexte très personnel d’un texte qui
aurait pu être sous-titré « Rêveries d’un buveur solitaire ».
Confession d’une extrême lucidité, sans concession. Complainte assumée sur le
temps qui passe trop vite et qui vous ampute aussi de l’amitié de quelques être
particulièrement chers (Brassens, Coluche).
Mon anniv’.
Chanson-cri qui évoque une réelle
lassitude devant de rendez-vous récurrent que constitue le jour de son anniversaire.
C’est bien de le dire aussi fort… La musique est en parfaite symbiose avec
l’esprit de la chanson en ce sens où elle est volontairement répétitive pour
souligner le retour inexorable et systématique de ce jour-là. Il y a un petit
côté mouvement perpétuel dans l’arrangement. Renaud y exprime son ras-le-bol
des manifestations de sympathie, des gestes, des mots, des courriels. Et la
fin, en ad lib, ajoute encore à l’aspect lancinant du rejet… Personnellement,
je lui ai évidemment adressé un texto le 11 mai, en lui précisant bien que
cette date anniversaire ne me servait que de prétexte pour lui témoigner ma
profonde affection.
Ta batterie.
Cette chanson née de la commande
de Grand Corps Malade est primordiale car elle constitue le point de départ de la
remontée de Renaud vers la lumière. Elle est terriblement symbolique et
explicite… Malone, l’Enfant au Tambour, a métamorphosé d’un coup de baguettes
magiques un oiseau mazouté en un flamboyant phénix. Elles ont réveillé le bel
qui boit dormant. Les percussions ont soudain résonné dans le cœur et dans la
tête du papa. Il est particulièrement émouvant de constater que c’est la
batterie de Malone qui a rechargé celle de son père. En musique, c’est toujours
le batteur qui donne le signal de départ puis le tempo. Renaud livre beaucoup
de lui-même dans ce texte intimiste et sans concession. T’as pas cinq
balles ?
Le slam en bonus.
Quelle écriture ! Là, Renaud
exerce sa plume sur la longueur. Il se lâche, son cœur déborde. Dans ce
« slam un peu vulgos », les mots sont volontairement crus. Ce texte
est un judicieux point final à cet album. Plein d’humour et d’ironie, il montre
aussi son immense respect pour les slameurs.
Dans toutes les autres chansons
de cet album, il y a du pur Renaud. Dans chacune, il y a de quoi grappiller, de
quoi savourer, de quoi réfléchir…
J’ai embrassé un flic.
Renaud ne pouvait pas évoquer
cette triste et enthousiasmante journée du 11 janvier qui honorait ses amis-frères
massacrés à Charlie Hebdo. Sur une musique entraînante, « fanfaronne »
même, il témoigne de l’état d’esprit général qui animait cette manifestation
spontanée et (presque) apolitique. On n’aurait jamais osé imaginer que le
chanteur anarcho-énervé ait pu un jour sortir un tel titre… Personnellement, je
n’aurais pas tant répété « je me suis approché ». Il eût été amusant
qu’il écrive d’abord « Je me suis gendarmé » puis « Je me suis
approché » et « J’ai embrassé un flic ».
Héloïse.
Chanson sur l’enfance qui est
devenue un thème classique chez Renaud. Ici, le symbole est très fort puisque
cette douce ritournelle adressé à Héloïse, la fille de « Lolita », a
été composée pas son père et écrite par son grand-père. Quelle belle image on
peut imaginer façon celle du « Kid » de Charlot, deux silhouettes s’éloignant
la menotte de la fillette dans la pogne de son papy.
La nuit en taule.
Petit reportage personnel plutôt
anecdotique. Sur un air qui frise la country music, Renaud raconte un concentré
de garde à vue en termes réalistes et avec, en filigrane, une pincée de
regrets.
Petit bonhomme.
Deuxième chanson sur l’enfance signée
musicalement par ce cher et fidèle Buccolo. Chanson d’amour filial, débordante de
tendresse et d’espoir. De dépendance aussi. Joli appel du cœur.
Hyper Cacher.
Cette chanson est à classer dans
le même registre que J’ai embrassé un flic. Ecrite à la
manière d’un reportage journalistique, elle a valeur de témoignage historique.
Renaud ne veut pas que l’on oublie ces horreurs qui sont autant de funestes
cailloux noirs semés sur le chemin de l’amour et de la confraternité. Après
avoir évoqué le drame, il élève le débat en dénoçant les dysfonctionnements de
cette « époque immonde ».
Mulholland Drive.
Cette chanson (qui n’a rien à
voir avec François Hollande) s’inscrit complètement à part dans cet album. C’est
un petit film, une sorte de road movie à la Jarmusch. L’écriture, très imagée, fourmille
d’images et de name dropping. Plus qu’une fugue, elle évoque une véritable
fuite. En même temps, elle est emplie d’espoir et de confiance pour le futur
car la liberté « est au bout »…
Dylan.
C’est un fait divers, un accident
de la route qui a ôté la vie d’un gamin de 16 ans, qui a remué Renaud. Cette chanson
douloureuse signée Alain Lanty (présence mélancolique de l’harmonica) est un
signal d’alarme, un message adressé aux jeunes qui mettent leurs vies en jeu
lorsqu’ils sortent de boîtes de nuit désinhibés par l’alcool et divers tabacs
(Renaud sait de quoi il parle). C’est triste et touchant, mais la leçon
sera-t-elle entendue. Bouteille à l’amer…
Petite fille slave.
Petite chronique sociale sur la
déchéance que connaissent ces filles venues de l’Est obligées de se prostituer sur
les trottoirs de Paris pour survivre. Un message plein de chaleur et de bienveillance
façon Brassens que Renaud tente de rendre rassurant avec un utopique « Tu
reviendras chez toi ». Mais quand on fait richement rimer « slave »
avec « esclave », croit-on réellement à une rédemption ?
Voilà comment j’ai perçu le cru
2016 de l’œuvre de Renaud. Parfois le « Phénix » s’envole très haut
dans les étoiles. Parfois, il volète, emprunte des chemins buissonniers, s’arrête
pour picorer, avant de reprendre son vol majestueux. Renaud s’inscrira toujours
entre l’aigle et le moineau. C’est ce qui fait à la fois son charme et ses
contradictions. En tout cas, sa longue absence nous aura une fois de plus
confirmé combien il est indispensable à notre quotidien. C’est un allumeur de
réverbères, un éclaireur de conscience. Il fait partie de ces gens très (trop)
rares qui nous aident à voir un peu plus clair.
Pour conclure, j’ai hâte, déjà, d’entendre
son prochain album car je suis sûr qu’il est encore en train d’écrire. Et je
suis convaincu que ce nouvel opus, moins dicté par l’urgence et l’exaltation du
retour, sera très, très haut de gamme.
Gilbert « Critikator »
Jouin
2 commentaires:
Pas mal cette critique ! J'ai de nombreux 45 tours de Renaud , j'aimais bien jusqu'à "Manhattan-Kaboul" et beaucoup moins "les bobos". Disons qu'après avoir entendu ces deux nouveaux tubes, contrairement à vous je Laisse Béton tut comme ce qui a suivit jusqu'à aujourd'hui .. Vous écrivez que 1986 fut pour lui une année sombre , oui, mais ce fut une année triomphale aussi : le million d'albums avec "Mistral gagnant" , le scandale outre-manche du tube "Miss Maggie" puis "mistral gagnant" et "baby-sitting blues" au Hit Parade et une longue et belle tournée ...pas mal cette année mis à part, bien sur , le décès de Coluche le 19 juin. Pourquoi dites vous que Coluche à commis des erreurs ?
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