Comédie Bastille
5, rue Nicolas Appert
75011 paris
Tel : 01 48 07 52 07
Métro : Richard Lenoir /
Chemin Vert
D’après la pièce argentine « Renée »
de Javier Ulises Maestro
Adaptation de Stéphan Druet et
Sebastian Galeota
Mise en scène de Stéphan Druet
Décor d’Olivier Prost
Lumières de Christelle Toussine
Costumes de Denis Evrard
Musique de Maxime Richelme
Chorégraphies de Christophe
Ségura
Avec Sophie Mounicot (Monique, la gouvernante), Sebastian Galeota (Jean, le fils / Renata, la veuve), Philippe Saïd (Philippe, le jardinier),
Emma Fallet (Blanche, la bonne), Antoine Berry Roger (Alexandre, le
notaire)
L’histoire : Un richissime patron juif argentin demeurant à
Paris dans une maison bourgeoise, vient de mourir. Un couple de domestiques, la
belle-sœur et le fils s’y retrouvent seuls. Renata, la veuve de ce patron,
disparue des années auparavant, n’a jamais été retrouvée.
Ce terrible quatuor va faire tout
ce qui est en son pouvoir pour toucher l’héritage. Mais quand le jeune notaire
arrive pour régler leurs affaires, leurs plans vont basculer…
Mon avis : La chanson de Nana Mouskouri, L’amour en héritage, ne pourrait absolument pas servir de générique
à cette pièce. En effet, s’il y est question d’héritage, d’amour il n’y en a
point. Ou très peu. Ou il est malheureux.
Renata est une pièce terrible. Sa construction est implacable. Dès
le lever du rideau, on est dans le ton. Il y a deux méchants, une gentille et
un mal-aimé. Les deux méchants, Monique (« Momo ») et Philippe
forment un couple à filer des complexes aux Thénardier. Elle, c’est la
gouvernante. Ça, pour gouverner, elle gouverne ! Autoritaire, acariâtre,
vindicative, elle dirige la maisonnée avec un gant de fer dans une main du même
métal et un cœur en acier trempé. Son mari, Philippe, est moins carré, plus
ambigu. Une chose est sûre, c’est un sale type. Il est sournois, atrabilaire,
intolérant, homophobe et pervers. C’est beaucoup pour un seul homme. Alors,
quand on additionne les deux mentalités, on obtient un couple digne du film Affreux, sales et méchants, sauf que s’ils
sont sales, c’est à l’intérieur.
Evidemment, face à deux tels
prédateurs, il est préférable de courber l’échine et de filer doux. C’est ce
que fait, d’ailleurs très habilement, Blanche, la sœur de « Momo ». C’est
une vraie gentille qui est protégée par sa profonde bigoterie. Tout glisse sur
elle. Je suis pratiquement sûr qu’elle aime sincèrement sa sœur et son
beau-frère. Quant à son neveu, Jean, elle l’adore !
Jean ! Parlons-en de Jean.
Au début, il m’a fait penser à l’enfant incompris et rudoyé des Deschiens qu’incarne
Olivier Broche. Jean est un poète. Il rêve de s’élever, de s’instruire. Il est
dans sa bulle et ses parents ne cessent de le critiquer et de l’invectiver.
Photo Bruno Perroud |
L’intrigue a ceci de très fort qu’elle
va crescendo. A partir du moment où Jean va imposer sa métamorphose en Renata,
tout va échapper au contrôle de Monique et Philippe. Ce ne sont plus eux qui
tirent leurs ficelles pourries. Il leur faut d’adapter. Mais l’appât du gain
est tellement fort, qu’ils vont bien devoir s’y résigner. Bien sûr, tout au
long de l’année que va durer l’histoire, ils vont se laisser quand même aller à
quelques turpitudes (n’est-ce pas Philippe ?).
On comprend a posteriori
l’utilité de quelques scènes que, sur le moment, on a trouvées un peu
superflues (quand Blanche revêt la robe de mariée, par exemple). En fait, ce
que l’on considère comme du remplissage prépare des événements à venir. Un peu
comme dans un polar, l’auteur livre quelques indices matériels ou
psychologiques. A nous de les percevoir. C’est très habile, très intelligent.
Résultat, on est de plus en plus happé par ce qui devient une sorte de
feuilleton découpé en saynètes et tableaux successifs.
C’est qu’un nouveau personnage a
fait son entrée dans le cercle familial : le notaire chargé de régler la
succession.
Je n’en dirai pas plus. Notre
intérêt pour le destin des cinq protagonistes va grandissant. Nous sommes les
témoins à la fois réjouis par les péripéties qui se déroulent sous nos yeux, et
inquiets par leur évolution, par la direction qu’elles prennent. C’est ce qui s’appelle
être captivés.
Photo Bruno Perroud |
J’ai été profondément séduit par
le jeu d’Emma Fallet dans le rôle de Blanche. Elle campe à merveille une ravie
de la crèche, empathique et conciliante. Elle est le seul élément positif, sinon
normal, de cette famille… Dans le rôle austère et violent de Monique, Sophie
Mounicot s’en donne à cœur joie. Elle nous livre un sans faute dans ces figures
imposées. Mieux encore, alors que son personnage est la méchanceté incarnée,
elle réussit parfois à nous dévoiler très subtilement quelques failles, quelque
faiblesse. C’est une femme malheureuse, quoi !...
Philippe Saïd fait de Philippe
une sorte de personnage issu dune bande dessinée de Reiser ou de Vuillemin. Un « gros
dégueulasse » certes, mais qui avance masqué sous une apparence de
monsieur tout le monde. Il en est d’autant plus redoutable et il ne nous
inspire aucune sympathie. Il est donc parfait… Dans le rôle du notaire, Antoine
Berry Roger apporte une note de fraîcheur, de fantaisie, de légèreté et de
candeur. Chacune de ses interventions est de plus en plus attendue. Surtout
que, psychologiquement, son personnage ne cesse d’évoluer. Il faut une grande
finesse pour rendre réaliste cette progression. Il est un des rouages
indispensables à la bonne architecture de la pièce.
Enfin, il y a la magistrale
composition toute en sensibilité de Sebastian Galeota. Ce qu’il réalise tient
de la performance d’acteur. Jamais il ne tombe dans la caricature ou dans la
démonstration. Notre proximité avec la scène dans ce théâtre de la Comédie
Bastille nous permet de scruter à la loupe le jeu des comédiens. Le sien est
époustouflant. Il EST Renata. On est subjugué, séduit même. Sa fascinante prestation
hisse à des niveaux égaux le rire et l’émotion.
Renata est une pièce originale, cynique à ravir (parce qu’elle est
profondément humaine), une pièce qui ne peut laisser insensible.
Gilbert « Critikator »
Jouin
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