Théâtre Daunou
7, rue Daunou
75002 Paris
Tel : 01 42 61 69 14
Métro : Opéra / Auber
Une pièce de Colette et Anita Loos
Mise en scène par Richard Guedj
Décor de Stéphanie Jarre
Costumes de Bruno Fatalot
Musique d’Hervé Devolder
Avec Pascale Roberts (Madame Alvarez, la grand-mère), Coline
D’Inca (Gigi), Axelle Abbadie (Alicia, la grand-tante), Yannick Debain (Gaston),
Sophie de La Rochefoucault (Andrée, la mère), Xavier Delambre (Victor)
L’histoire :
Gigi a 16 ans. Sa grand-tante Alicia, sa grand-mère et Andrée, sa mère, petite
chanteuse à l’Opéra Bouffe, l’élèvent avec tous leurs soins…
Mais l’éducation prodiguée par ces trois femmes, pour être
sévère n’en est que plus spéciale. La petite Gilberte est destinée à une
société où les hommes peuvent donner et où les femmes savent exiger…
Ici on bannit l’amour tranquille des gens ordinaires dans le
mariage. On prépare Gigi à la vie excitante des belles qu’on convoite dans les
salons et qu’on admire dans les gazettes à scandales.
Mon avis : Pour
être honnête, je m’attendais à une pièce un peu désuète. Elle a en effet été
écrite par Colette en 1944 et adaptée au cinéma en 1951, puis au théâtre en
1951. Or, si cette comédie a inévitablement vieilli sur le fond, elle reste en
revanche extrêmement moderne sur la forme, la mise en scène et le jeu des
comédiens.
Déjà, c’est une grande délectation que d’entendre des
dialogues d’une écriture d’excellente facture, ciselée, alerte, malicieuse.
C’est donc un aspect non négligeable.
Ensuite, je me suis laissé très rapidement happer par le jeu
des acteurs. Aucun des six n’est dans le même registre. Chacun a sa propre
partition et la joue avec un plaisir communicatif. La complicité entre eux est
en outre évidente, elle passe la rampe. Le fait que trois d’entre eux, donc la
moitié de la troupe (Pascale Roberts, Yannick Debain et Coline D’Inca), jouent
ensemble dans le feuilleton à succès de France 3, Plus belle la vie, y est pour beaucoup. D’ailleurs, je pense que le
mieux est de s’attarder sur leur prestation.
Coline D’Inca. Avec le rôle titre, la jeune fille porte une
sacrée responsabilité sur les épaules. De prestigieuses comédiennes ont incarné
Gigi avant elle, Audrey Hepburn, Leslie Caron, Françoise Dorléac… Le challenge
était d’autant plus délicat à relever que c’est la première fois qu’elle se
produit sur scène. Et bien, impliquée dans presque toutes les scènes, elle est
bluffante de présence et de naturel. Malgré son grand âge - 21 ans ! –
elle se glisse aisément dans la peau d’une gamine de 16 ans. Elle en a toute la
pétulance, la fraîcheur, la joie de vivre. Elle incarne l’insouciance même…
Jusqu’au moment où des sentiments inconnus entrent dans sa vie et dans son
cœur. La métamorphose est spectaculaire, démontrant ainsi un formidable
éventail de jeu. Soudain, elle devient grave, indignée, révoltée. Elle ne
supporte pas qu’on lui dicte sa conduite, qu’on choisisse son destin pour elle.
Elle interprète la perte de l’innocence avec un profond réalisme. Coline D’Inca
contribue largement au ton moderne impulsé par le metteur en scène. C’est
vraiment une sacrée découverte !
Pascale Roberts, dans le rôle de la grand-mère, fait preuve
d’un métier consommé. Elle est toute en subtilités. Amusante avec ses idées
toutes faites (pour elle « mariage » est un gros mot), elle est
débordante d’amour pour sa petite fille. Elle ne veut que le meilleur pour elle
et cherche à lui faciliter la vie. Elle voudrait certainement être plus
maligne, mais sa bonté naturelle est la plus forte. En dépit de son apologie un
peu obsessionnelle de la femme entretenue, elle se révèle pleine de sagesse.
Ses confrontations avec Alexia, la tante de Gigi, sont de grands moments tant
les deux femmes sont différentes sur le plan comportemental. Madame Alvarez est
si aimante qu’on ne peut que l’aimer en retour.
Axelle Abbadie campe avec un entrain jubilatoire cette
grande cocotte qu’est tante Alexia. Elle, elle badine avec l’amour. Ses élans
sont à l’aune de la fortune du parti convoité. Plus il est riche, plus elle
éprouve de sentiments. Elle ne s’embarrasse jamais de périphrases. Elle va
droit au but. Calculatrice, un tantinet vénale, frisant le cynisme,
autoritaire, sûre d’elle et de son pouvoir de séduction, elle adore tirer les
ficelles. C’est une maîtresse femme doublée d’une maîtresse professionnelle. A
travers elle, on voit que Colette les connaissait bien, ces demi-mondaines… Une
grande composition que nous offre là Axelle Abbadie. A l’instar de Monsieur
Plus, chacune de ses apparitions apporte une valeur ajoutée à la pièce.
Yannick Debain, c’est Gaston-le-tonton. Tontaine et tonton.
C’est l’archétype du séducteur. Ce dandy richissime collectionne les conquêtes.
Ses liaisons, souvent tumultueuses, font le bonheur des journaux à scandales.
Quand c’est à son tout d’être trompé, il affecte d’en être chagriné, éveillant
ainsi la compassion de madame Alvarez. Visiblement, c’est un grand enfant gâté
qui aime à se faire dorloter… Yannick Debain est parfait dans ce rôle de
bellâtre somme toute sympathique. Il lui apporte son élégance, sa belle voix
grave et un grand sens de l’autodérision.
Sophie de La Rochefoucault, dans le rôle d’Andrée, la mère
de Gigi, complète ce quatuor de femmes avec énormément se sensibilité. Au début
de la pièce, on la découvre aussi gamine que sa fille, limite irresponsable. Puis,
au fur et à mesure que l’intrigue avance, on la découvre toute autre. Son seul
point commun avec madame Alvarez et la tante Alexia, c’est son amour
inconditionnel pour Gigi. Car, contrairement à elles, elle s’assume. Elle, elle
n’a jamais rêvé de se faire entretenir ; pire même, elle TRAVAILLE !
En fait, c’est une romantique qui cultive son indépendance en rêvant au grand
amour… Sophie de La Rochefoucault apporte une profondeur inattendue à ce
personnage, ce qui la rend très attachante. Sa relation, basée sur la légèreté
avec sa fille, laisse néanmoins filtrer une réelle mélancolie. Vis-à-vis de sa
mère et de sa tante, Andrée est une incomprise.
Xavier Delambre est Victor, l’homme « à tout faire »
d’Alexia. Son pantalon moulant nous fait discrètement comprendre la raison de l’attrait
qu’il exerce sur sa patronne. Ses quelques apparitions, marquées à chaque fois du
sceau du double sens, sont absolument savoureuses.
Gigi est
parfaitement à sa place dans ce charmant écrin qu’est le théâtre Daunou (qui
gagnerait toutefois à être rafraîchi pour retrouver ses ors d’antan). C’est une
pièce agréable, maline, écrite par deux femmes pour les femmes, qui se déguste
comme un délicieux bonbon aux saveurs d’autrefois.
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