Théâtre de l’Atelier
1, place Charles Dullin
75018 Paris
Tel : 01 46 06 49 24
Métro : Anvers / Pigalle / Abbesses
Une pièce de Brian Friel
Texte français d’Alain Delahaye
Mise en scène de Didier Long
Scénographie de Didier Long et Bernard Fau
Costumes de Pascaline Suty
Lumières de Patrick Clitus
Musique de François Peyrony
Avec Léna Bréban (Agnès), Lou De Laâge (Chris), Philippe
Nahon (Mickaël), Lol Naymark (Rose), Claire Nebout (Kate), Florence Thomassin
(Maggie), Bruno Wolkowitch (Jack), Alexandre Zambeaux (Gerry)
L’histoire :
Au cœur de l’Irlande, en ce bel été 1936, la fin des moissons annonce le
rendez-vous tant attendu : le grand bal de la Lughnasa.
Dans la maison familiale, bien loin de tout tumulte et
isolées du monde, les cinq sœurs Mundy s’affairent. Les conversations se
croisent et se bousculent, les moqueries et les rires fusent, d’une tendresse
infinie.
Un jour comme les autres en apparence, si l’espoir qui les
anime secrètement ne s’exprimait soudain : aller danser, se frotter aux
rythmes endiablés, rompre le temps d’un quadrille la ronde des jours qui se
ressemblent, bousculer dans les bras d’un homme la bienséance que la morale
impose. Elles rêvent d’amour, d’étreintes sauvages. Elles rêvent d’un ailleurs
et d’une vie meilleure.
Mickaël, qui avait 7 ans cet été là, se souvient. De sa mère
et de ses tantes, ces cinq femmes remarquables, et de leur sens du devoir. De
l’étrange retour précipité de son oncle, missionnaire en Ouganda, qui a perdu
la mémoire. Et de la visite surprise de cet homme fantasque qu’il sait être son
père…
Mon avis :
Je suis sorti bien circonspect du théâtre de l’Atelier. J’avais la sensation
que cette pièce de deux heures aurait pu durer le double sans qu’il se passe
quelque chose qui sorte de l’ordinaire. Car, ce à quoi nous assistons n’est en
fait que l’ordinaire, le quotidien d’une famille plus que modeste dans
l’Irlande du Nord dans les années 1930.
Sans faire injure aux comédiens qui sont réellement remarquables,
je pense qu’il est plus intéressant de lire cette pièce que de la voir…
Il s’agit d’une chronique. Nous découvrons les membres de la
famille Mundy à un moment X de leur existence en sachant bien vite que la
veille et le lendemain seront en tout point identiques. Il y a là cinq sœurs,
aux tempéraments très différents et dont la cohabitation s’est hiérarchisée au
fil de temps.
Ça se chamaille, ça se dispute, ça se taquine, ça crie, ça
rit, ça se fâche, ça boude, ça chahute, ça danse, et ça s’aime beaucoup,
beaucoup… Bref, rien de plus normal et banal dans ce type de contexte.
Tout ce petit monde est placé sous la double autorité de Kate
(Claire Nebout), l’aînée de la fratrie, et de la religion. Nous sommes en Irlande,
ne l’oublions pas, l’Eglise catholique et ses dogmes pèsent d’un poids très
lourd dans ces milieux humbles. Il est pratiquement impossible pour ces jeunes
femmes de s’en affranchir. Elles vivent donc en permanence dans les affres du
pêché. Certaines plus que d’autres. Leur seul refuge est de rêver, de fantasmer
leur vie. Face à l’industrialisation qui entame son essor, elles savent qu’elles
vont perdre inéluctablement leur petit boulot à domicile et que leur précarité
va s’aggraver. Alors, en attendant, elles s’accrochent à un fol espoir hélas
ponctuel : participer au grand bal de la Lughnasa…
En fait, ce rendez-vous qui marque la fin des moissons, même
s’il est parfaitement réel, il est pour elle un peu illusoire, idéalisé et même
exacerbé. Pour nous aussi, spectateurs, il devient abstrait. On se contente de
les voir vivre en faisant comme si, et on constate comment, chacune à sa
manière essaie d’exister.
En charge des responsabilités, Kate est austère, sévère, limite
revêche. Elle a sacrifié sa vie de femme pour prendre en main l’éducation de
ses jeunes sœurs. Et puis parfois, elle libère son trop-plein d’amour pour
elles. Il faut le talent subtil de Claire Nebout pour réussir à diffuser de
tels sentiments… La deuxième de la fratrie, Maggie (Florence Thomassin) est
tout son contraire. Elle est exubérante, extravertie, fofolle, incontrôlable.
Elle se suffit à elle-même. Elle s’est volontairement construit un personnage
futile pour refuser de voir l’aspect morose de leur vie… Agnès (Léna Bréban), c’est
la sagesse incarnée. Elle est travailleuse, respectueuse. Elle s’est instaurée
en protectrice de la fragile Rose. Mais quand ; pour elle, l’injustice est
trop grande, il lui arrive de péter brièvement les plombs… Rose (Lola Naymark),
c’est la simplette, une petite fille qui n’a pas grandi, capricieuse, rêveuse
et entêtée… Et puis il y a la cadette, Chris (Lou De Laâge), sans doute la plus
« normale ». Elle vit pleinement sa jeunesse. Elle est naturellement
rebelle.
Chacune de ces comédiennes est impeccable. Leur jeu est
précis et crédible. Le problème, c’est qu’on assiste à leur quotidien comme des
témoins désintéressés. A vouloir trop montrer le terne on en obtient une
histoire hélas banale. Comme dans L’Arlésienne
ou Le Désert des Tartares, on attend
toujours qu’il se passe quelque chose…
En dépit de leurs efforts, de leur talent, de leur
investissement, je suis resté à côté de cette pièce. Danser à la Lughnasa, tourne et tourne en rond. Et pourtant, à la
fin de la pièce, en échangeant nos points de vue entre voisins, je me suis aperçu
que certains avaient eu une toute autre approche que moi. Une amie journaliste
qui se trouvait devant moi m’a même affirmé avoir littéralement « décollé »
et pris un plaisir intense à suivre cette chronique d’une famille… Les femmes,
parce qu’elles se projettent sans doute au milieu de cette sororité, ont sûrement
une perception plus personnelle, plus attendrie. Alors, à vous de juger…
Gilbert « Critikator » Jouin
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire