samedi 3 octobre 2015

Danser à la Lughnasa

Théâtre de l’Atelier
1, place Charles Dullin
75018 Paris
Tel : 01 46 06 49 24
Métro : Anvers / Pigalle / Abbesses

Une pièce de Brian Friel
Texte français d’Alain Delahaye
Mise en scène de Didier Long
Scénographie de Didier Long et Bernard Fau
Costumes de Pascaline Suty
Lumières de Patrick Clitus
Musique de François Peyrony
Avec Léna Bréban (Agnès), Lou De Laâge (Chris), Philippe Nahon (Mickaël), Lol Naymark (Rose), Claire Nebout (Kate), Florence Thomassin (Maggie), Bruno Wolkowitch (Jack), Alexandre Zambeaux (Gerry)

L’histoire : Au cœur de l’Irlande, en ce bel été 1936, la fin des moissons annonce le rendez-vous tant attendu : le grand bal de la Lughnasa.
Dans la maison familiale, bien loin de tout tumulte et isolées du monde, les cinq sœurs Mundy s’affairent. Les conversations se croisent et se bousculent, les moqueries et les rires fusent, d’une tendresse infinie.
Un jour comme les autres en apparence, si l’espoir qui les anime secrètement ne s’exprimait soudain : aller danser, se frotter aux rythmes endiablés, rompre le temps d’un quadrille la ronde des jours qui se ressemblent, bousculer dans les bras d’un homme la bienséance que la morale impose. Elles rêvent d’amour, d’étreintes sauvages. Elles rêvent d’un ailleurs et d’une vie meilleure.
Mickaël, qui avait 7 ans cet été là, se souvient. De sa mère et de ses tantes, ces cinq femmes remarquables, et de leur sens du devoir. De l’étrange retour précipité de son oncle, missionnaire en Ouganda, qui a perdu la mémoire. Et de la visite surprise de cet homme fantasque qu’il sait être son père…

Mon avis : Je suis sorti bien circonspect du théâtre de l’Atelier. J’avais la sensation que cette pièce de deux heures aurait pu durer le double sans qu’il se passe quelque chose qui sorte de l’ordinaire. Car, ce à quoi nous assistons n’est en fait que l’ordinaire, le quotidien d’une famille plus que modeste dans l’Irlande du Nord dans les années 1930.
Sans faire injure aux comédiens qui sont réellement remarquables, je pense qu’il est plus intéressant de lire cette pièce que de la voir…
Il s’agit d’une chronique. Nous découvrons les membres de la famille Mundy à un moment X de leur existence en sachant bien vite que la veille et le lendemain seront en tout point identiques. Il y a là cinq sœurs, aux tempéraments très différents et dont la cohabitation s’est hiérarchisée au fil de temps.
Ça se chamaille, ça se dispute, ça se taquine, ça crie, ça rit, ça se fâche, ça boude, ça chahute, ça danse, et ça s’aime beaucoup, beaucoup… Bref, rien de plus normal et banal dans ce type de contexte.
Tout ce petit monde est placé sous la double autorité de Kate (Claire Nebout), l’aînée de la fratrie, et de la religion. Nous sommes en Irlande, ne l’oublions pas, l’Eglise catholique et ses dogmes pèsent d’un poids très lourd dans ces milieux humbles. Il est pratiquement impossible pour ces jeunes femmes de s’en affranchir. Elles vivent donc en permanence dans les affres du pêché. Certaines plus que d’autres. Leur seul refuge est de rêver, de fantasmer leur vie. Face à l’industrialisation qui entame son essor, elles savent qu’elles vont perdre inéluctablement leur petit boulot à domicile et que leur précarité va s’aggraver. Alors, en attendant, elles s’accrochent à un fol espoir hélas ponctuel : participer au grand bal de la Lughnasa…


En fait, ce rendez-vous qui marque la fin des moissons, même s’il est parfaitement réel, il est pour elle un peu illusoire, idéalisé et même exacerbé. Pour nous aussi, spectateurs, il devient abstrait. On se contente de les voir vivre en faisant comme si, et on constate comment, chacune à sa manière essaie d’exister.
En charge des responsabilités, Kate est austère, sévère, limite revêche. Elle a sacrifié sa vie de femme pour prendre en main l’éducation de ses jeunes sœurs. Et puis parfois, elle libère son trop-plein d’amour pour elles. Il faut le talent subtil de Claire Nebout pour réussir à diffuser de tels sentiments… La deuxième de la fratrie, Maggie (Florence Thomassin) est tout son contraire. Elle est exubérante, extravertie, fofolle, incontrôlable. Elle se suffit à elle-même. Elle s’est volontairement construit un personnage futile pour refuser de voir l’aspect morose de leur vie… Agnès (Léna Bréban), c’est la sagesse incarnée. Elle est travailleuse, respectueuse. Elle s’est instaurée en protectrice de la fragile Rose. Mais quand ; pour elle, l’injustice est trop grande, il lui arrive de péter brièvement les plombs… Rose (Lola Naymark), c’est la simplette, une petite fille qui n’a pas grandi, capricieuse, rêveuse et entêtée… Et puis il y a la cadette, Chris (Lou De Laâge), sans doute la plus « normale ». Elle vit pleinement sa jeunesse. Elle est naturellement rebelle.

Chacune de ces comédiennes est impeccable. Leur jeu est précis et crédible. Le problème, c’est qu’on assiste à leur quotidien comme des témoins désintéressés. A vouloir trop montrer le terne on en obtient une histoire hélas banale. Comme dans L’Arlésienne ou Le Désert des Tartares, on attend toujours qu’il se passe quelque chose…
Les comédiens, eux aussi, nous livrent une prestation inattaquable. Bruno Wolkowitc est particulièrement émouvant dans le rôle de Jack. Alexandre Zambeaux apporte au personnage de Gerry son charme, sa fougue, son insouciance et son irresponsabilité. Et Philippe Nahon est d’une justesse totale dans sa mission de conteur qui se mue parfois au gamin de 7 ans qu’il a été… 

En dépit de leurs efforts, de leur talent, de leur investissement, je suis resté à côté de cette pièce. Danser à la Lughnasa, tourne et tourne en rond. Et pourtant, à la fin de la pièce, en échangeant nos points de vue entre voisins, je me suis aperçu que certains avaient eu une toute autre approche que moi. Une amie journaliste qui se trouvait devant moi m’a même affirmé avoir littéralement « décollé » et pris un plaisir intense à suivre cette chronique d’une famille… Les femmes, parce qu’elles se projettent sans doute au milieu de cette sororité, ont sûrement une perception plus personnelle, plus attendrie. Alors, à vous de juger…


Gilbert « Critikator » Jouin

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