Théâtre de Paris
Salle Réjane
15, rue Blanche
75009 Paris
Tel : 01 42 80 01 81
Une pièce de Neil Labute (Fat Pig)
Adaptée par Marie-Pascale Osterrieth et Charlotte Gaccio
Mise en scène par Marie-Pascale Osterrieth
Décors de Pierre-François Limbosch
Lumières de Laurent Castaingt
Costumes de Charlotte David
Musiques de Jacques Davidovici
Avec Charlotte Gaccio (Hélène), Julie de Bona (Julie),
Bertrand Usclat (Thomas), Thomas Lempire (Quentin)
L’histoire :
Quentin voudrait sortir avec Julie, qui voudrait être avec Thomas, qui la mène
en bateau. Jusqu’au jour où Thomas tombe amoureux fou d’Hélène, une jeune femme
brillante, drôle, sexy, mais qui est ronde… très ronde. Combien d’insultes
devra-t-il entendre avant de se lever pour défendre la femme qu’il aime ? Obligé
de se justifier auprès de ses collègues de bureau, sera-t-il prêt à
assumer ?
Mon avis : J’avais beau être accoutumé à ce que l’on distribue
TOUJOURS d’excellentes pièces dans la salle Réjane du Théâtre de Paris, j’avoue
que j’étais un peu tiède en y venant car le thème de Enorme ! ne me semblait pas très attractif. Or, la
programmation de la salle Réjane perdure dans son sans-faute en mettant cette
pièce à l’affiche puisque j’ai passé une fois encore un vraiment bon moment.
Et, au vu des bravos enthousiastes qui ont accompagné les saluts à la fin, je
n’étais pas le seul à avoir ressenti ce plaisir.
A cela, il y a plusieurs raisons…
D’abord, il faut saluer le
remarquable travail d’adaptation effectué par Marie-Pascale Osterrieth et
Charlotte Gaccio de Fat Pig, la pièce
de Neil Labute bardée de récompenses à Broadway et à Londres. Elles ont eu le
talent d’en faire une comédie à la française, avec des dialogues vifs et
percutants, saupoudrés de quelques allusions et clins d’œil « bien de chez
nous ».
Ensuite, il y a la distribution.
Là aussi, c’est un sans-faute. On a du mal à imaginer d’autres comédiens à la
place tant ils incarnent leurs personnages à la perfection. A certains moments,
ils sont tellement habités qu’on n’a plus l’impression qu’ils sont en train de
jouer.
Dans le rôle d’Hélène, Charlotte
Gaccio est absolument épatante. On peut dire que les gènes ont été bien
transmis, et par la maman (dans le jeu, le sens de l’humour, la sincérité et
l’art de se réfugier dans l’autodérision), et par le papa (dans la capacité à
manier la plume et les mots). On sent qu’elle a mis beaucoup – sinon tout –
d’elle-même dans ce personnage, dans ce qu’elle dit et dans sa psychologie.
Hélène est quelqu’un de foncièrement attachant. Elle est lucide, cash, malicieuse,
pleine de joie de vivre (ah, ce joli rire perlé si communicatif !),
charmeuse, taquine et, surtout, elle s’assume. Elle se protège néanmoins à
grand renfort de pirouettes et de blagues, jusqu’à ce qu’on la découvre
totalement désarçonnée de se voir courtisée.
Hier soir, dans le rôle de
Thomas, Bertrand Usclat était remplacé par Guillaume Pottier. Ce dernier m’a
complètement bluffé. Quelle palette de jeu, quelle finesse, quelle
justesse ! Il était complètement dedans. Il ETAIT Thomas, un jeune homme performant
dans son travail, mais très emprunté, voire coincé, dans ses relations avec les
femmes. Il est doux, rêveur, mal assuré, intègre. Il faut voir la précision de
ses gestes lorsqu’il est dans l’embarras ; ce qui, hélas pour lui, arrive
très souvent.
Thomas a la (mal)chance de
compter sur la présence au bureau de Quentin, un collègue qui est son contraire
absolu. Quentin a l’art de se faire détester. Il est vanneur, cynique, sûr de
lui, mufle. Il se mêle de tout, il trahit sans vergogne et sans remords bref, il
est le félon type. Thomas Lempire l’interprète avec un naturel désarmant. Il
est celui qui met du poil à gratter dans ce qui ne pourrait être qu’une
gentille romance. Mais il est aussi la personne qui synthétise le regard quasi
général que nous portons sur les individus en surcharge pondérale, un regard
qui, avouons-le, est souvent sans complaisance. Il dit tout haut ce que la
plupart d’entre nous pensent tout bas. Son rôle est primordial car il est
déclencheur.
Quant à Julie, elle est également
indispensable au bon équilibre de la pièce. Elle, elle a tout pour elle. Joli
minois, plastique irréprochable, rouage important au boulot, elle devrait être
heureuse et épanouie. Or, c’est une romantique, une sentimentale et, pire
encore, une femme amoureuse qui va se sentir bafouée. Julie de Bona est
impeccable dans ce rôle délicat de femme en souffrance qui essaie tant bien que
mal de sauver les apparences. Alors, elle rentre dans le tas avec une fougue et
une véhémence impressionnantes. C’est un véritable robinet à paroles, une
mouche qui virevolte, qui agace jusqu’à ce qu’on ait envie de l’écraser. Quel
tempérament !
Enfin, et c’est la troisième
grande qualité de ce spectacle, il donne à réfléchir. Il nous place tour à tour
dans les deux camps. Celui des gens physiquement « normaux », représentés
par Julie et Quentin, et dans le camp d’Hélène qui exprime son ressenti. Pour
les premiers, on évoque l’incommodité que l’on a à s’adresser naturellement à
quelqu’un d’enveloppé, on énumère les ostracismes, les lieux communs et les
idées reçues… Quant à Hélène, elle exprime ses difficultés à se faire accepter
par les autres, sa hantise de leurs jugements, sa conscience que l’on n’aime
guère « s’afficher avec une grosse », son exigence d’honnêteté vis-à-vis
d’elle…
Beaucoup de vérités sont ainsi
assénées, souvent crûment. Enorme !
est une pièce « rondement » menée où l’on rit les trois-quarts du
temps (grâce aux dialogues et au jeu hyper-précis des comédiens) mais qui donne
aussi à réfléchir. Il s’en dégage beaucoup d’émotion, mais sans jamais tomber
dans la mièvrerie ou le pathos… Pour toutes les raisons que je vous ai
développées, c’est une pièce qui vaut vraiment le coup d’être vue.
Gilbert « Critikator »
Jouin
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