Théâtre Hébertot
78bis, boulevard des Batignolles
75017 Paris
Tel : 01 43 87 23 23
Métro : Villiers / Europe
Ecrit et mis en scène par Samuel Benchetrit
Lumières de Pierre Haïm
Costumes de Hanna Sjödin
Avec Guy Bedos (Paul Blanchot), Philippe Magnan (Jules
Tourtin), Manuel Durand (Eric, le médecin, un danseur, …) Audrey Looten
(Jeanne, Lou, une danseuse, …)
L’histoire :
Deux hommes se réveillent dans une salle de réanimation. Ils ne se connaissent
que depuis quelques instants, mais ils ont cette folle idée de fuguer de
l’hôpital pour entreprendre une promenade des plus insolites, ponctuée de
péripéties aussi cocasses, décalées, que surprenantes…
Mon avis : Quelques
notes mélancoliques de piano (fugues pour deux fugueurs ?) accompagnent l’ouverture
du rideau sur la salle de réanimation d’un hôpital. Deux lits côte-à-côte flanqués
chacun d’un support à perfusion sont occupés par deux hommes en pyjama en phase
de réveil… C’est la première image que nous avons de Paul et Jules, deux
malades qui ne se connaissent pas et qui vont tenter de nouer un premier
dialogue. Dès les premiers échanges, on décèle deux caractères très différents.
Paul appartient plutôt à la catégorie des mâles dominants ; il est
directif, bougon, acariâtre, mais sensible aussi. Jules est plus discret, plus
falot, plus conciliant ; il n’aime pas faire de remous.
Pourtant, à l’initiative de Paul, alors qu’on vient de leur
annoncer que leur cancer respectif allait les emporter à très court terme, ils
vont tous deux décider d’adresser un ultime pied de nez à la fatalité en…
fuguant. Il va s’en suivre un court périple nocturne au cours duquel ils vont
faire des rencontres improbables qui vont les conduire à s’oublier un peu
eux-mêmes pour accomplir une sorte de mission charitable. C’est cette
entreprise altruiste qui va constituer le fil rouge de leur pathétique épopée.
Il faut le claironner tout de suite : en dépit de son
sujet, Moins 2, n’est absolument pas
morbide. Au contraire, grâce à des dialogues au tranchant chirurgical, à des répliques
et à des vannes acides, on rit sans cesse ; y compris de et avec la maladie.
Nous avons là la parfaite illustration du fameux aphorisme : le rire est
la politesse du désespoir. Plutôt que de s’en lamenter, Paul et Jules
choisissent tacitement la voie de l’insouciance et du mépris. On découvre ainsi
que Paul est un récidiviste de la fuite. Il fuit ainsi la mort comme il a, par
le passé, fuit la paternité. Il a chroniquement de la fuite dans les idées…
Quant à Jules, on a la confirmation qu’il est un frileux ; physiquement
comme psychiquement.
Au cours de leur escapade, ils croisent des gens. Des
paumés, des êtres en mal-être, des solitaires, qu’ils vont essayer maladroitement,
presque à leur corps défendant, d’aider. S’en suivent des saynètes plus ou
moins réussies, quelques longueurs aussi. J’ai ainsi trouvé que la scène du bal tournait un peu en rond
alors que celle du banc était par trop statique. Puis, avec le recul, je me
suis dit que nous allions au rythme, forcément moins rapide, de deux personnes
usées par la maladie. Il ne leur était donc pas possible d’évoluer ’allaient
donc pas évoluer sur un tempo trépidant.
Comme je l’ai stipulé plus haut, cette pièce vaut
essentiellement par les dialogues et ceux qui les disent, dialogues qui virent
parfois au burlesque. Samuel Benchetrit est visiblement très enclin à l’humour
noir. Parfois même plus sombre encore que noir. Quand on aime cette façon de
voir les choses, on boit du petit lait, on se délecte.
D’autant qu’ils sont servis par un quatuor réellement
réjouissant. Même si ce n’est pas le cas, on dirait que le personnage de Paul a
été écrit en pensant à Guy Bedos. Il y met tellement de lui-même. Avec ses
intonations et son timbre incomparable, sa démarche chaloupée, ses mimiques et
ses réflexions acerbes, il fait du Bedos. Mais derrière son apparente
désinvolture ou ses indignations mordantes, il a l’art de laisser filtrer son
extrême sensibilité, sa grande humanité. C’est évidemment ce qui s’impose à la
toute fin de la pièce. Un seul petit reproche néanmoins : il a parfois
tendance à grommeler, à parler dans sa barbe de trois jours, si bien que les
spectateurs de sa génération qui déplorent une certaine perte d’acuité
auditive, on quelques difficultés à goûter le sel de ses digressions.
Philippe Magnan, que je tiens pour un de nos tout meilleurs
comédiens de théâtre. Il excelle particulièrement dans le cynisme placide, ce qui
n’est pas le cas dans cette pièce, où il interprète un personnage véritablement
humble, une victime qui s’assume et qui n’en souffre pas, mais qui ne veut
surtout pas déranger, se faire remarquer. Il est, par nature, transparent, tant
dans son métier que dans sa famille. Aiguillonné par le coup de folie de Paul, c’est
sans doute la première – et la dernière fois – qu’il va se comporter en
rebelle. Il nous livre une jolie composition volontairement en demi-teinte,
avec pour point culminant un superbe et émouvant monologue.
Autour d’eux, j’ai beaucoup apprécié la grande palette de
jeu de la magnifique et talentueuse Audrey Looten ainsi que la facilité pleine
d’élégance de Manuel Durand à se glisser dans la peau de personnages très
différents.
Moins 2 est une
pièce qui distille beaucoup d’amour et d’humanité. Ils sont attachants ces deux
vieux qui essaient de jouer aux anges gardiens. Et c’est tellement touchant d’assister
en direct en direct à la naissance d’une amitié qui, comme les vendanges du
même nom, a beau être tardive, elle n’en est pas moins extrêmement délectable.
Gilbert « Critikator » Jouin
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